On achève bien les chevaux

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On achève bien les chevaux

Jusqu’à récemment, j’ignorais tout de la façon dont la viande chevaline était produite : de l’abattage des bêtes à la transformation de la bidoche jusqu’à son arrivée dans nos assiettes. Mais ça, c'était avant.

Dans la formation de chef que j'ai suivi au Pays-Bas, on m'a toujours enseigné que je ne devais avoir absolument aucun problème avec la viande chevaline. Du coup, vous l'aurez compris, je n'ai aucun problème avec cette viande. Cela dit, jusqu'à il y a peu, j'ignorais tout de la façon dont elle était produite : de l'abattage des bêtes à la transformation de la bidoche jusqu'à son arrivée dans nos assiettes.

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Paard 3 en 4

Toutes les photos sont de Rebecca Camphens.

Selon Jolina Murris, pour se faire une idée, il faut remonter le processus jusqu'à sa source : le cheval – ou plus précisément, les propriétaires du cheval. Jolina est en charge de paardenarts.nl, un site professionnel réalisé par des vétérinaires équins à l'attention des propriétaires de chevaux. Quand un cheval se blesser ou devient simplement trop vieux – idéalement, après avoir vécu une existence paisible pendant plusieurs années –, il reste peu de choix aux propriétaires. La première option est de laisser l'animal mourir naturellement. La seconde option est l'euthanasie réalisée par un vétérinaire. Elle est suivie d'une crémation et coûte entre 480 et 1 725 €.

Comme cela représente une dépense conséquente, certains préfèrent choisir une troisième option : l'abattoir. Aux Pays-Bas et en Europe, il existe de nombreuses réglementations concernant l'abattage des chevaux. D'abord, l'animal ne doit pas souffrir pas de blessure importante. Ensuite, il ne faut pas qu'il ait ingéré des substances qui pourraient engendrer un problème de santé publique. Enfin, il faut que l'animal ait un passeport en cours de validité avec l'attestation d'un vétérinaire prouvant qu'il est apte à être abattu. Enfin, si toutes ces conditions sont réunies, le propriétaire du cheval touche entre 200 et 300 € en échange du corps du cheval – le prix varie en fonction du poids de l'animal, de son âge et de sa condition physique.

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Selon une étude réalisée en 2014 par Wakker Dier, une organisation luttant pour les droits des animaux, un Hollandais mange en moyenne 76 kg de viande par an. Sur cette quantité, seulement un kilo serait de la viande de cheval. Avant, il y avait plus de boucheries spécialisées dans la viande chevaline aux Pays-Bas mais maintenant, la plupart de la viande de cheval produit au Pays-Bas est exportée en Belgique et en France, où la demande pour le produit est plus importante.

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Pour comprendre comment on achève un cheval, je suis allé visiter un abattoir spécialisé dans la viande chevaline à Van de Veen in Nijkerk. J'ai ensuite enchaîné par la visite de Van Beek, une boucherie chevaline d'Utrecht pour observer toute la chaîne de production : à partir du moment où le cheval vivant est abattu jusqu'à ce que la viande soit préparée puis arrive sur l'étal du boucher.

Le propriétaire de l'abattoir est Jan Van de Veen. Il nous accueille à l'extérieur du bâtiment et nous fait rentrer par une porte à l'arrière. Avec le photographe, on remarque une odeur particulière : un mélange d'odeur de cheval, de sang et d'autre chose que je n'arrive pas à identifier.

Jan kijkt vakkundig toe

« Café ? », nous propose Jan.

Il nous suggère également de mettre des tabliers blancs pour éviter que nos habits ne soient tachés par des éclaboussures de sang. Effectivement, ça doit être utile : les tabliers qu'il nous donne sont déjà pleins de giclées bordeaux.

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À l'étage en dessous, les chevaux entrent un par un dans des cages en métal. Chaque animal subit une ultime vérification avant d'être amené jusqu'à l'abattoir, en général une semaine avant la date prévue. « On aurait dû en recevoir sept aujourd'hui, mais j'ai dû en refuser trois. Ils ne répondaient pas aux critères », explique Jan.

Jan kijkt neer op het dode beestje

Jan revient ensuite avec le troisième cheval de la journée, un vieux pépère de trente-cinq ans. Deux poneys pendent déjà dans le réfrigérateur – les deux bêtes ont été abattues plus tôt dans la matinée. L'abattage commence par un coup de jus envoyé dans la tête du cheval. C'est assez flippant : l'électrocution est censée être suffisamment violente pour détruire l'activité cérébrale. Les 270 kg s'écrasent subitement sur le sol en béton – ça a l'air efficace.

Ensuite, le cheval est soulevé par l'une de ses jambes et il est amené dans un autre espace. Jos, artisan boucher chevalin, va trancher la carotide et récupérer le sang encore chaud dans un grand bassin noir. Le liquide sera plus tard récolté par une entreprise spécialisée dans l'équarrissage. Un peu plus tard, un autre cheval arrive (il a à peine un an et demi) : il sera électrocuté, puis saigné.

Het paard wordt nadat het gedood is naar de slachtruimte gehezen

Une fois exsangue, on découpe les jambes et la tête du cheval. Il faut pour cela inciser la peau avant de couper doucement et méticuleusement chaque membre. Jan nous explique que « rien ne se perd : la peau est vendue pour quelques euros et ils en font des chaussures hors de prix. J'en ai moi-même une paire. Elles m'ont coûté 300 euros mais ce sont de vrais chaussons ».

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Bloedstollend spannend
Het paard wordt op zijn rug gelegd om de huid er makkelijker te kunnen afsnijden

Les jambes sont vendues aux apprentis forgerons et les autres parties (celles que les humains ne mangeront pas) sont destinées à la consommation animale. Tous les organes sont utilisés. Le jour où nous avons été accueillis, l'abattoir recevait également deux autres visiteurs venus d'une université ; ils étudient un vers qui vit dans les intestins des chevaux.

Une fois que la tête, les intestins et les jambes sont prélevés, un autre boucher intervient : Harnold. C'est lui qui s'occupe de scier la carcasse en deux pendant que Jos écorche la tête. D'un coup, c'est beaucoup plus soutenable pour moi de les regarder travailler : je ne regarde plus un cheval, je regarde de la viande, comme on la voit sur l'étal d'un boucher.

Het paardenhoofd

Une fois que la carcasse est découpée en deux, elle est rangée dans le réfrigérateur à côté des deux poneys tués le matin même.

Jos is vakkundig de huid van het hoofd aan het halen
Harnold zaagt het paard doormidden

Je demande à Jan s'il y a une grande différence gustative entre un cheval jeune et un plus vieux : « Absolument. Les vieux chevaux sont un peu plus durs et leur viande s'accorde mieux avec du vin rouge. Les chevaux que l'on a abattus aujourd'hui vont rester ici tout le week-end pour que la viande repose. Ensuite, ils iront à la boucherie. » Chaque semaine, Jan amène environ deux chevaux à la boucherie Van Beek d'Utreck, mais « parfois seulement un et demi », en fonction de la taille des chevaux.

Harnold laat ons zien wat hij nog afsnijd

Jan a tué des animaux toute sa vie. Il a commencé par des porcs et des bœufs et puis, il y a vingt-cinq ans, il s'est spécialisé dans les chevaux. Il s'occupe en moyenne de dix à quatorze chevaux par semaine.

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« Avant, j'abattais les bêtes sur place, quand c'était encore autorisé. Si un fermier voulait abattre un cochon ou une vache, je passais. Pour un cochon, je faisais payer 25 florins (environ 13 euros) mais comme une vache représente plus de travail à abattre, j'étais mieux payé, explique Jan. C'était l'âge d'or de l'abattage, mais c'est bien fini ce temps-là. »

Jos et Harnold

Une semaine plus tard, on se retrouve à Utrecht dans la boucherie chevaline Van Beek. Avec une tête de cheval en guise d'enseigne, le petit magasin est facile à repérer entre les épiceries turques et marocaines du quartier de Lombok. La vitrine est tout embuée, on rentre donc pour apercevoir le magasin. Un couple de personnes âgées est en train d'acheter l'un des produits phares de la boucherie : des saucisses de cheval fumées.

« Vous voulez goûter une tranche de saucisse ? » nous demande Anneke, l'une des propriétaires.

Worsten

Pour un vendredi matin, le magasin tourne plutôt bien. Anneke nous explique que c'est parce que les gens viennent des villes voisines pour avoir des saucisses fraîches. Chacune pèse plus d'un kilogramme. « C'est le samedi qu'on a le plus de monde, les gens font la queue pour essayer d'avoir la première saucisse préparée de la journée. »

Paardenvlees
Vlees

Pendant qu'elle découpe des steaks, Anneke nous annonce que la boucherie fêtera son 79e anniversaire ce mois-ci. Une fois sa tâche terminée, elle nous montre les différents morceaux de viande chevaline. Plus la viande est foncée, plus elle vient d'un cheval âgé, et plus elle est claire, plus elle vient d'un cheval jeune. Toute la viande qu'ils achètent est consommée ; les morceaux qui ne peuvent pas être consommés tels quels sont broyés pour en faire des saucisses. Les autres morceaux peuvent être utilisés pour faire de l'ossenworst (une saucisse crue), des hamburgers ou encore du steak tartare.

Paardenhaas

En goûtant cette saucisse de cheval fumée, je me demande pourquoi on ne mange plus de cheval. Tous les professionnels du secteur que j'ai rencontré à l'abattoir et à la boucherie Van Beek, l'une des dernières boucheries chevaline des Pays-Bas, sont d'accord sur une chose : le cheval est la meilleure viande du pays puisqu'aucun cheval n'y est élevé spécifiquement pour être transformé en steak. Mais les gens n'ont plus l'habitude d'en manger, c'est presque devenu tabou. Et putain, vous savez quoi ? C'est bien dommage.