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Je suis Français et samouraï du saké

Un titre chevaleresque qui m'engage à aimer le produit, à le faire connaître et à défendre son honneur partout dans le monde.
Alexis Ferenczi
propos rapportés par Alexis Ferenczi
Paris, FR

L'erreur la plus courante avec le saké, c'est de croire que c'est un spiritueux. En France, quand on entend le mot « saké », on pense encore à l'eau-de-vie – pour ne pas dire le tord-boyau – servi dans un petit verre coquin et parfois offert en digestif à la fin du repas. Cette idée, fortement ancrée dans la tête de mes compatriotes et qui surprend beaucoup les Japonais, est fausse.

Même s'il est transparent, ce qui je l'accorde prête à confusion, le saké n'est pas un alcool blanc à 40°. Il n'est pas distillé et, n'en déplaise à certains, il n'est pas brassé. Je dis souvent que ce n'est pas un vin, même s'il pourrait se consommer de la même manière, et que ce n'est pas une bière, même s'il est produit à partir d'une céréale.

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LIRE AUSSI : L'homme qui a empêché le « pur saké » de disparaître à jamais

C'est mon métier de danseur contemporain qui m'a amené au Japon. À l'origine, j'ai une formation plutôt scientifique mais j'ai toujours voulu garder une position un peu ambivalente ; les pieds sur la terre tout en conservant un rapport à la création.

De la danse, je suis passé à l'aïkido. Comme les gens que je côtoyais étaient de bons vivants, j'ai commencé à aller dans des restaurants, à boire des grands vins puis du saké alors que ça ne m'intéressait pas plus que ça au départ. Je n'avais même pas de connaissance particulière en gastronomie. Mais je me suis pris au jeu.

J'ai voulu me rendre au Japon de plus en plus souvent, pour m'imprégner de la culture. Avant même de parler la langue, j'avais commencé à étudier ce qu'on appelle la « voie du thé » dans une école très traditionnelle. On est au début des années 2000 et la culture locale me fascine. J'y passe un an, grâce à une bourse culturelle.

J'ai bien vu, quand j'allais au Japon, que les gens s'adressaient à moi de manière différente. Notamment parce que j'ai la posture du budoka [pratiquant d'arts martiaux]. De dos, on pourrait presque croire que je suis Japonais.

Cette culture du saké était en train de disparaître quand ce corps de métier a été imaginé – un peu comme la confrérie des chevaliers du Tastevin. L'idée était de redorer le blason de cet alcool.

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Le titre de « saké samouraï » a été crée par le Syndicat National des Producteurs de Saké qui regroupent plus de 99 % des producteurs. Aujourd'hui, il a pour vocation de faire la promotion du produit. Mais à la base, l'organisme avait été fondé pour servir de caution aux prêts bancaires nécessaires à l'achat de riz par les producteurs.

Depuis les années 1970, la production de saké ainsi que sa consommation, ne font que baisser – elle a même été divisée par trois au Japon sur cette période. La tendance mondiale, c'est que les gens boivent moins d'alcool, mais les Japonais se sont surtout mis aux vins et à la bière.

Cette culture du saké était en train de disparaître quand ce corps de métier a été imaginé – un peu comme la confrérie des chevaliers du Tastevin. L'idée était de rehausser l'image de l'alcool essentiellement sur le marché intérieur. Mais ils se sont rapidement rendus compte que le seul marché en expansion était celui de l'export.

Et c'est pour cette raison qu'ils ont commencé à remettre ce titre à des étrangers – en moyenne un ou deux samouraïs par an. Les premiers sont issus du monde anglo-saxon où le marché du saké était en avance, puis en 2012, mon tour est venu.

Au Japon, il y a une forme de pragmatisme qui mélange les religions. On est baptisé à la naissance mais les funérailles se font selon les rites bouddhistes – la perspective de réincarnation est prise en compte. La cérémonie de « saké samouraï » ressemble au mariage shinto.

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Après la purification et la cérémonie, je suis sorti. On m'a remis un diplôme de « saké samouraï » et quelques petits cadeaux.

Une religion assez simple qui s'articule autour d'un système de purification et d'ablution. Les mariées sont en blanc et les hommes portent des sortes de kimonos noirs avec un kama [une sorte de jupe-pantalon]. Je me suis donc rendu dans le plus ancien sanctuaire shinto du Japon, le Shimogamo-jinja à Kyoto, accompagnés de prêtres.

Après la purification et la cérémonie, je suis sorti. On m'a remis un diplôme et donné quelques petits cadeaux. Ce titre de « saké samouraï » reconnaît un engagement sans faille à aimer le produit, à en dire du bien, à le faire connaître et à le soutenir.

Aujourd'hui, j'essaie de faire un pont entre les deux pays. J'accompagne les producteurs Japonais qui essaient de faire connaître leur produit en France et, une partie de mon travail consiste aussi à « éduquer » le grand public et les professionnels, sommeliers, chefs ou même caviste.

Je m'adapte à la demande ; un palace, un restaurant trois étoiles, un bistrot de quartier, un bar à vin ou une épicerie italienne qui veut mettre un peu de saké parce que ça va bien avec le fromage demande des attitudes différentes.

Je suis parfois agréablement surpris par l'utilisation que font certains chefs du saké. Il est aussi arrivé que je me dise « Mais comment ont-ils pu faire ça ? ». Vider une demi-bouteille d'un très grand cru dans un plat alors qu'un saké beaucoup moins cher aurait été plus efficace – la subtilité du premier n'ayant pu amener la richesse en acide aminé qui relève le goût. Mais ce qui est bien, c'est que les gens expérimentent.

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Sur les bouteilles de saké, il n'est pas rare de voir le mot « cépage ». Faut-il vraiment rappeler que, contrairement au raisin, le riz ne pousse pas sur des petits arbustes ?

Je peux aussi les aider à redécouvrir un saké qu'ils ont déjà à leur carte. Aujourd'hui, ça part dans tous les sens. J'ai déjà reçu des SMS du type : « On a tel plat ce soir, qu'est-ce qu'il faut que je mette comme saké avec ? » Même pas bonjour, à peine on s'est croisé une fois comme ça et parfois, je ne connais même pas le nom du restaurant.

On peut aborder le saké de manière très technique, mais l'essentiel selon moi, c'est de pouvoir donner l'information et le contexte qui permettra de mettre en valeur le produit. Comme le vin.

Pouvoir dire qu'avant de venir un des plus grands producteurs de saké, untel était banquier à New York, que sa famille allait mettre la clé sous la porte de leur maison du saké et qu'à 30 ans, il s'est réveillé, a retrouvé sa culture et est retourné au Japon.

Sylvain Huet. Photo de Sébastien Roubaud.

Le vocabulaire du saké a souvent été très mal traduit. Par exemple, parler de brasserie de saké est une hérésie. Il n'est pas touillé ou mélangé. Le terme anglais « brew » est beaucoup plus large – on l'utilise aussi pour le thé et le café, dans le sens d'extraire.

Parfois je lis aussi le « riz malté » pour parler du koji [riz transformé par un champignon microscopique]. C'est une aberration parce que le riz est poli. Le maltage est une opération qu'on fait pour la bière, pas pour le saké.

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Sur les bouteilles, il n'est pas rare de voir le mot « cépage ». Faut-il vraiment rappeler que, contrairement au raisin, le riz ne pousse pas sur des petits arbustes mais doit être repiqué tous les ans dans des rizières ?

Les Français connaissent le mot manga et ne disent pas « tartine de poisson » quand ils vont manger des sushis. Du coup, je bataille un petit peu contre ceux issus du monde de la bière ou du vin qui ont été injustement plaqués sur le saké.

Le saké est un outil créatif génial. Il n'a pas de tanin comme le vin et son acidité est beaucoup plus faible, ce qui le rend très souple et permet, d'une certaine manière, de le marier avec une multitude de mets. C'est aussi un exhausteur de goût qui apporte une harmonie et peut faire ressortir les saveurs d'un produit.

Il a toute sa place dans la cuisine française, qui a énormément de points communs avec la cuisine japonaise – coquillages, huîtres et poissons sont des produits qui vont naturellement avec le saké. Par contre, il ne doit pas entrer en compétition avec le vin. Ce dernier gagnera toujours.

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En 2016, les Japonais n'ont exporté que péniblement 3% de leur production. Il y a quelques années, c'était 2% et encore avant moins d'1%. Ce n'est pas beaucoup, mais ça progresse. Ces cinq dernières années, j'ai rendu visite à plus de 300 maisons du saké – je travaille à l'élaboration d'un ouvrage encyclopédique sur le sujet.

Parfois, on me dit : « Tu es plus Japonais que nous ! Tu connais parfaitement le saké ! ». Je réponds que, plus je découvre la culture japonaise et plus j'en apprends sur la culture française. Je vois ça comme une sorte d'échange. Mon parcours m'a permis d'éviter certaines résistances culturelles, de créer des liens et, je l'espère, d'avoir amené les gens un peu plus loin.


Sylvain Huet est l'organisateur du Salon du Saké qui a lieu du 7 au 9 octobre à Paris, au New Cap Event Center, dans le XVeme arrondissement. Fondateur de l'Académie du Saké, il a été le premier Français à recevoir le titre prestigieux de « Saké Samouraï », reconnaissance délivrée par l'ensemble des producteurs de saké au Japon.