La pizza-tortilla qui fait saliver tout le Mexique

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La pizza-tortilla qui fait saliver tout le Mexique

Une galette de maïs croustillante, des haricots, du fromage et la sensation que la vie vaut vraiment la peine d'être vécue.

Quand j'étais gamin, c'est mon abuelita (ma grand-mère quoi) qui faisait la loi dans la cuisine – du moins jusqu'à ce que l'âge la rattrape. Originaire de Oaxaca, elle m'a tout appris de la glorieuse invention qu'est la tlayuda – aka la pizza mexicaine – qui fait que la vie vaut vraiment la peine d'être vécue.

Au marché, elle achetait deux douzaines de tortillas d'Oaxaca, qui font à peu près la taille d'un volant de routier, du lard et du queso fresco, un fromage si frais qu'il s'effritait dès qu'on le touchait du bout des doigts. Une fois rentrée, elle écrasait les haricots bouillis dans un pot en argile avec une feuille d'avocat et ajoutait une petite touche de salsa roja un poil épicée.

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Ensuite, elle plaçait la tlayuda dans une comal (une poêle à tortillas) et attendait patiemment qu'elle soit assez chaude pour y étaler une bonne couche d'asiento (le lard non raffiné) puis d'y ajouter la purée de haricots et les morceaux de frometon.

Mon abuelita est morte il y a 12 ans et je n'avais jamais retrouvé une version de la tlayuda semblable à la sienne avant d'atterrir à Santisima Street. C'est dans ce coin de Mexico City que Gildardo Soto, gourou et expert de la pizza mexicaine fait de la magie.

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Une tlayuda. Toutes les photos sont de l'auteur.

Derrière son petit étal, assis à côté d'un baquet de nieve quemada (une crème glacée fumée et crémeuse) Soto est entouré d'autres classiques de la gastronomie d'Oaxaca ; du tejate (boisson laiteuse faite de maïs et de cacao), des chapulines (sauterelles), des nenguanitos (biscuits au lard et panela) et du mamón, un gâteau sucré servi en tranches.

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« Les tlayudas ne sont jamais faites de la même manière. Je considère par exemple qu'il ne devrait pas y avoir de radis ou d'autres légumes », explique Soto en cuisinant. « Une bonne tlayuda doit être élaborée à partir de maïs et rien d'autre. » Vu le nombre de clients, il n'a que très rarement l'occasion de se détourner des plaques de cuisson. « Je vais au marché tôt le matin, vers 8h environ, pour choper mes ingrédients. Et je pars vers 22h. »

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Soto a déménagé à Mexico City au début des années 1990. Il a commencé par des petits jobs comme assistant-mécano ou vendeur de café dans la rue. Les affaires n'étaient pas super bonnes. Il a même vendu des peluches, des souvenirs et des produits de beauté.

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Quand son fils de 2 mois est tombé gravement malade en 2000, Soto a été obligé de liquider toutes ses économies de vie pour payer les frais médicaux. Sa famille lui a tendu alors la main et offert un poste dans un magasin spécialisé d'Oaxaca, pour l'aider à sortir de ses dettes. Aujourd'hui, c'est lui qui tire fièrement les ficelles.

« Ma tante, Areli Soto López, travaillait ici. C'est elle qui m'a appris tout ce que je sais », dit Soto en plaçant une tortilla sur la plaque. Il dépose un morceau de steak tasajo à côté. Le grésillement de la graisse se mélange à la musique qui sort d'une petite radio. Le cuisinier dépose l'asiento sur la tortilla avant une généreuse portion de purée de haricots. « Je n'aime pas quand ils sont trop liquides alors j'essaie de les faire le plus épais possible. »

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Il attrape un morceau de queso fresco et l'émiette au-dessus de la tlayuda. « Beaucoup de gens font l'erreur d'utiliser du fromage vraiment salé. Moi je préfère quand il ne l'est pas car le lard a déjà tout le sel dont vous avez besoin ». Il recouvre de chou la gigantesque sphère qui ressemble vaguement à une pizza et voilà. Le taf est fait.

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« Normalement, on ne fout pas de chou, de tomates rouges ou de radis sur les tlayudas. Une authentique d'Oaxaca n'est composée de rien d'autre que d'asiento, de haricots, de queso fresco et de viande », explique-t-il.

Mais il est prêt à s'adapter au palais des habitants de Mexico City. Il plonge méthodiquement une cuillère en plastique dans l'épaisse sauce rouge faite avec des chiles de agua, qu'il verse en spirale sur la tortilla de maïs.

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Le steak de tasajo libère son odeur caractéristique grasse et salée. Soto attrape le morceau de viande avec sa main gauche et le coupe avec des ciseaux d'un geste sec de la main droite. Les rubans de barbaque pleuvent sur les tlayudas comme des garnitures de pizza.

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« J'adore faire ce truc », explique Soto. Il me tend une tlayuda sur une assiette de Styrofoam. « Certaines personnes ici pourraient froncer un peu les sourcils à la vue d'un homme dans la cuisine, mais je veux montrer d'où je viens et la fierté que j'en tire. »

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La tortilla est ferme, croustillante. Elle laisse échapper toutes les saveurs d'Oaxaca. La feuille d'avocat donne aux haricots un arôme délicieux et un soupçon de chile de arbol grillé leur donne un petit coup de fouet. Le steak est tendre et salé, juste assez pour ne pas submerger le palais.

Alors que je mords à pleines dents la tlayuda, je cherche une saveur qui me rappellerait celle de ma grand-mère. En vain. Mais cette pizza est assez bonne pour que je revienne m'en mettre plein le bide deux fois par semaine.