En scaphandre à la découverte de la véritable ivresse des profondeurs

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En scaphandre à la découverte de la véritable ivresse des profondeurs

J’ai passé ma journée avec des mecs en scaphandres partis planquer du pinard dans la Méditerranée dans l'espoir de le rendre meilleur.

Il fait déjà chaud quand j'arrive dans le petit port de la presqu'île de Saint-Mandrier, dans le Var, à 9 heures ce matin d'août. Pas un brin de vent, des vagues de 30 centimètres : le temps idéal pour foutre la production des vins de la région à l'eau, à en croire le directeur de l'Ecole nationale des scaphandriers, Jérôme Vincent, qui m'attend devant son zodiac pour embarquer.

Pour moi qui suis originaire du Sud-Est de la France, le Bandol, c'est comme de l'eau bénite. Je ne dirais pas que je carbure à ça, mais en été, sur les coups de midi, une bouteille de rosé bien frais pour accompagner le chant des cigales, c'est la tradition du coin. En faire planquer une cargaison dans la Méditerranée par des scaphandriers, par contre, c'est une première dans l'histoire de l'œnologie.

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Toutes les photos sont de l'auteur.

Cette initiative pour étudier le vieillissement des vins du domaine a été lancée conjointement par l'Association des Vins de Bandol et l'œnothèque des Vins de Bandol, avec la collaboration de l'École Nationale des Scaphandriers (ENS). « Les scaphandriers sont les seuls habilités à effectuer des travaux sous la mer », m'explique Jérôme. Dans ce cas précis, il s'agit d'un vrai chantier : creuser dans les profondeurs méditerranéennes, construire une cave aquatique, y déposer les bouteilles en les recouvrant tour à tour de sédiments.

Leurs 40 kilos d'équipements enfilés, les scaphandriers reçoivent les dernières instructions avant de plonger à 40 mètres.

Et pour déployer de tels efforts sous l'eau, de simples plongeurs bouteilles ne font pas l'affaire. Avant de creuser, les scaphandriers ont d'abord dû trouver un spot tranquille, «à l'abri des pirates ». Apparemment dans le coin, tout se sait très vite. Encore plus quand il est question de débusquer l'équivalent d'un véritable trésor à picoler.

Un scaphandrier récupère les dernières bouteilles avant d'aller sous l'eau.

Quinze domaines différents participent à l'opération pour un total de 240 bouteilles, dont le millésime 2011 pour le rouge, et la cuvée 2014 pour les bouteilles de blanc et de rosé. Pendant un an et demi, la moitié du pinard reposera à 40 mètres de profondeur dans une eau de 15 à 20 degrés, pendant que l'autre moitié, 120 bouteilles en tous points identiques, vieillira de manière classique en cave.

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Sous l'eau, les scaphandriers déchargent le pinard pour le déposer dans des caissons qui seront recouverts de sable. Photo : Jean de Saint Victor de Saint Blancard.

Il existe tout un tas de facteurs qui ont une influence sur le vieillissement du vin : ici, on veut pouvoir comparer les effets des courants marins ou de la température. Sous l'eau, le vin bénéficie de conditions optimales, que l'on imagine propices à sa bonification : de très faibles variations de pression et de températures, un noir complet et très peu de vibrations. « Le vin de Bandol a la réputation de bien supporter les traversées en mer et même d'être bonifié par le bercement de la houle », explique le président de l'AOC Bandol, Guillaume Tari. Dans le microclimat bandolais, les vallées de vignes descendent sur la côte. C'est la mer qui régule la maturité du mourvèdre, le cépage de base du Bandol. « Paradoxalement, en Méditerranée, le coefficient de marées est très faible mais le mourvèdre est très sensible aux cycles lunaires » , poursuit-il.

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Bandol Scaphandre 5

Les bouteilles ont été scellées avec de la cire pour que le bouchon ne soit pas propulsé à l'intérieur, sous l'effet de la pression. Photo : Oenothèque des Vins de Bandol.

Le petit zodiac nous emmène sur le théâtre des opérations (un lieu tenu secret) où l'on retrouve une douzaine d'élèves scaphandriers qui nous attend sagement en rang d'oignon. Un petit groupe composé exclusivement d'hommes, âgés de 19 à 48 ans. C'est leur dernière mission avant la fin de leur formation, qui a duré deux mois. Quelques-uns (dont un certain André, le doyen de la promotion) sont absents ce jour-là : ils ont préféré réviser la théorique de leur examen final, qu'ils doivent passer trois jours plus tard, me souffle-t-on.

« On dirait pas, mais scaphandrier c'est beaucoup de théorie et de calculs », tient à me préciser Brice, un grand brun aux cheveux longs de 23 ans. Il est originaire de Montpellier et est soudeur, maintenant il veut pouvoir souder sous l'eau : « C'est un délire, faut aimer la soudure. »

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Cette lance galeazzi, un lance-jet puissant, a permis aux scaphandriers de creuser sous l'eau la tranchée où vont être enfouies les bouteilles.

Il me tend une lance galeazzi (un lance-jet puissant à la forme douteuse) qui leur a permis de creuser — sous l'eau — la tranchée où vont être enfouies les bouteilles. Il n'aime pas le vin, mais il trouve ça cool d'aller à 40 mètres cacher un petit trésor régional. Son pote Jordan est plus pragmatique : « J'espère qu'ils nous inviteront à la dégust' quand ils sortiront tout ça de l'eau.» Il a 25 ans et est routier depuis qu'il en a 18. Maintenant, il veut être scaphandrier et travailler dans le nucléaire. De toute évidence, tous espèrent que la vinification aquatique va fonctionner : « Si ça marche et que la technique se généralise, ça va nous rapporter pas mal de boulot dans le coin. »

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Bandol Scaphandre 6

Jojo, instructeur scaphandrier, est aux manettes de la grosse grue qui balance les 120 bouteilles à 40 mètres de fond.

« On touche plus à rien, on envoie le bordel ! » Derrière ses manettes, Jojo, l'instructeur scaphandrier démarre la grue qui fait descendre les 120 bouteilles. Elles ont été scellées à la cire pour que le bouchon de liège ne soit pas projeté à l'intérieur avec l'augmentation de la pression. Les scaphandriers enfilent leurs 40 kilos d'équipement – baudrier, casque jaune, chaussures de plomb et bouteille de secours – et entament la descente, deux par deux.

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Photo : Jean de Saint Victor de Saint Blancard.

Sur le pont, Pascal Périer, le directeur de l'oenothèque des vins de Bandol, regarde la ruche à vin disparaître sous l'eau. Si la vinification est réussie et que le vin remonté de la mer s'avère meilleur que celui qui a vieilli en cave, l'œnologue fera un beau coup de com sur le potentiel de vinification des rosés du pays. « On ne pense pas toujours à les faire vieillir. J'ai gouté des rosés de Bandol qui avaient plus de 20 ans et qui étaient absolument sidérants. »

Avant de remonter à la surface après deux heures d'opérations, les gars en habits de cosmonautes, complètement euphoriques, immortalisent la fin de l'opération en posant devant les caissons, des bouteilles du Domaine de la Bégude à la main. Ils les ressortiront dans 18 mois. Ce sera probablement l'occasion, au sec et les pieds sur terre cette fois-ci, de goûter une fois de plus à l'ivresse du vin made in Bandol.