Peu importe le bœuf tant qu'on a la betterave

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Peu importe le bœuf tant qu'on a la betterave

Dans le potager de Tommy Banks, chef étoilé du Black Swan, on bichonne les légumes pour les rendre au moins aussi appétissants que de la viande.

Je suis dans le Yorkshire du Nord, à l'intérieur d'une grange. Des tresses d'oignons pendent du plafond. Je suis entouré de grands bidons en plastique remplis de liqueur d'aubépine et de pots de miel. À ma gauche, je remarque aussi des caisses en bois remplies de patates, d'ocas du Pérou et de betteraves crapaudines qui s'empilent au pied du mur.

Tommy Banks est en train de me montrer ses légumes. Le chef du Black Swan, un restaurant étoilé perdu dans le petit village de Oldstead, pas loin du parc national des North York Moors, cultive lui-même tout ce qui sera ensuite utilisé au restaurant.

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Son jardin potager traverse actuellement ce qu'il appelle « la saison maigre », c'est-à-dire la période de soudure entre la fin de l'hiver et le début du printemps, quand rien n'est plus à récolter mais rien n'est encore sorti de terre. Tommy doit donc faire avec ce qui lui reste.

« Quand on me demande si c'est de la cuisine de saison, je ne sais pas trop quoi répondre. Ces légumes respectent la saisonnalité mais comme je les ai conservés, je les cuisine hors saison », se justifie Tommy.

Betterave crapaudine du jardin potager du Black Swan. Toutes les photos sont de l'auteur.

Banks utilise les légumes plutôt deux fois qu'une. En été, c'est l'abondance dans son jardin : des pousses germées, des choux, des carottes, des pois, des herbes en veux-tu en voilà. L'huître potagère – qui a vraiment le goût du bivalve (pas de chance, Tommy est allergique aux crustacés) – est plantée à côté des serres-tunnel qui abritent la chicorée, les citrons, les radis et les pousses de chou frisé. Il vient également d'y installer 2 000 plants de céleri qu'il devra bientôt transférer en pleine terre.

Tommy utilise donc ses légumes lorsqu'ils viennent de pousser, en saison. Il fait ensuite des réserves avec le rab de frais en préservant ses légumes en pickles ou en les stockant dans une cave ou bien au congélateur. C'est une sorte de circuit fermé – une manière d'exploiter la terre et d'en récolter les fruits sans rien gâcher.

« En fait, je considère l'hiver comme la période la plus intéressante pour venir manger au Black Swan », confie Tommy. « Pendant des siècles, on a dû conserver la nourriture pour avoir à manger pendant la saison froide. Aujourd'hui, il faut se renouveler en cuisine, être plus créatif. »

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Les feuilles de ce chou vont être transformées en « coques à tacos ».

Il poursuit : « Il y a une forte demande pour une cuisine locale, écolo, de saison. C'est bien. Ça a un impact. Maintenant en Grande-Bretagne s'il nous manque un ingrédient, on peut l'importer. Mais avant, quand on ne pouvait pas faire venir des produits de l'étranger, c'est comme ça que les gens mangeaient. Cultiver des plantes dans le nord de l'Angleterre, ce n'est pas facile – on a des gelées jusqu'en mai. »

Tommy prépare donc des pickles de carottes et stocke ses betteraves dans des caisses dans une cave. Et il a également trouvé comment faire lui-même de l'ail noir confit.

« On achetait de l'ail noir tout fait – de la bonne came – mais ça coûtait super cher, » explique-t-il. « Avec mon père, on a donc fait des recherches. [Ses deux parents sont agriculteurs et travaillent avec lui au Black Swan] Il faut garder l'ail au chaud, à environ 60 °C, pendant plusieurs jours. J'ai vérifié le chauffe-eau de notre chambre d'hôtes et il était tout pile à la bonne température. Je me suis dit que je tenais là un bon filon, donc on a testé. Et on a fait notre propre ail noir. »

Le chef du Black Swan fait fermenter son stock d'ail noir.

Pareil pour l'huître potagère : « C'est cinquante centimes la feuille donc j'ai construit mon propre système d'irrigation pour pouvoir cultiver ce que je veux. Ce n'est pas facile mais ça en vaut la peine. »

Tommy prépare aussi des « coques à tacos » avec les feuilles des choux, de Bruxelles ou autres, qui ont trop monté en graine. Il les fait frire dans du beurre et les remplit avec de la joue de bœuf. Il transforme aussi des topinambours en sirop et en caramel et il prépare sa propre huile avec des feuilles de chou-fleur.

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Alors que tout le monde commence à prendre conscience qu'une trop forte consommation de viande peut poser des problèmes pour la santé et pour la planète, la cuisine de Tommy nous rappelle que les légumes aussi peuvent être sympas à manger.

Tommy me propose un aperçu de sa marchandise dans les cuisines du Black Swan. Il me fait d'abord goûter des fraises vertes et des pousses de fèves. Je m'émerveille devant un flacon écarlate de vinaigre de pollen de fenouil.

Chevreuil, câpres et sauce à la bière.

Mais Tommy n'est pas 100 % végé. Il doit son étoile au Michelin à sa façon de redécouvrir les produits locaux du Yorkshire – et la viande en fait partie. Son tartare de gibier en est l'exemple parfait.

« Quand j'avais 13-14 ans, j'allais avec un pote dans les bois. On buvait de la bière et on fumait. On piochait dans les réserves de son père et on allait squatter dehors », me raconte Tommy tout en préparant un plat. « Et l'autre jour j'étais dans ce bois pour aller cueillir de l'oseille et je suis tombé sur des canettes de bière et des mégots de cigarettes dans une sorte de grotte. C'est au-dessus de cette grotte qu'on chasse notre gibier. Donc je me suis dit que j'allais créer quelque chose à partir de cet endroit. »

Banks dans la cuisine du Black Swan.

Il assaisonne son gibier d'une pointe de piment fermenté et de quelques câpres. Il enveloppe ensuite le tout d'un jaune d'œuf et d'une sauce à la bière. Enfin, il saupoudre par-dessus une pincée de cendres d'oignon. Bref, on a là du chevreuil, de la binouze et un cendard.

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Tommy me fait ensuite goûter des Saint Jacques braisées au chalumeau, accompagnées de purée d'artichaut et de ses feuilles croustillantes. Le tout, avec un bouillon de moules et de rhubarbe.

« Si je te dis 'des coquillages avec de la rhubarbe et du jus de moule', ça ne va pas te mettre l'eau à la bouche. En fait, on remplace simplement le vin blanc et le jus de citron par des produits locaux équivalents. Le Yorkshire est connu pour sa rhubarbe forcée et j'estime qu'on devrait plus s'en servir. »

Betterave crapaudine cuite dans la graisse de boeuf, servie avec des oeufs de cabillaud, de la crème de chèvre et des crackers de graines de lin.

Mais le plat de Tommy qui rend le plus bel hommage à sa terre natale, c'est sans doute sa betterave crapaudine, lentement cuite dans de la graisse de bœuf. Le plat signature du Black Swan est accompagné d'œufs de cabillaud, de crackers de graines de lin, de crème de chèvre et d'un filet de sauce barbecue.

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« C'est le plat qui a fait notre réputation, » commente Tommy. « C'est assez ironique puisque c'est un légume qui remplace la viande. Son goût est très fort, comme de la barbaque, alors que ce n'est que de la betterave. »

C'est dingue tout ce qu'on peut faire avec une caisse de terre et une cave. Et un peu de génie aussi, quand même.