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Non, nous ne sommes pas des « femmes chefs ». Nous sommes des chefs, point.

Dominique Crenn est la première femme à avoir obtenu 2 étoiles Michelin aux États-Unis. Dans cette tribune, elle dénonce la misogynie de certains de ses collègues masculins.

En 2016, elle était élue « Best Female Chef » par le World's 50 Best, après avoir été, aux États-Unis, la première femme à décrocher deux étoiles Michelin. Elle, c'est Dominique Crenn, véritable rock star à San Francisco où elle a installé son Atelier Crenn. Il y a deux ans, elle avait réagi sur MUNCHIES aux propos du chef britannique Tom Kerridge qui, même s'il aimait « voir des filles en cuisine », prétendait « qu'elles n'ont pas dans le ventre ce qu'il faut pour être chef et c'est probablement pour ça qu'il y en a si peu ». Alors que récemment, le prix culinaire Véronique Abadie récompensant les « femmes de chef » faisait polémique, la réponse de Dominique Crenn a un écho toujours aussi fort aujourd'hui. La voici.

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On me pose souvent cette question : « Qu'est-ce que ça fait d'être une femme chef ? ».

Même si je l'entends depuis des années, je suis à chaque fois prise au dépourvu. Je suis une femme et je l'ai toujours été. Comment pourrais-je savoir ce que « ça fait » puisque je ne connais pas d'autre chose ? Parce que c'est mon métier, je suis chef 24 heures sur 24 maintenant et je le serai probablement encore dans un futur proche.

Du coup, je tâtonne toujours un peu pour trouver la réponse. Je me sens obligée de dire un truc super intelligent pour que les sexistes en prennent de la graine et pour que les autres femmes chefs se sentent encouragées. Il faut satisfaire les féministes tout en évitant d'emmerder mes collègues masculins (que j'admire beaucoup et dont j'apprécie l'esprit de camaraderie). Je les ai observés durant toute ma carrière en coulisses répondre à la question : « Qu'est-ce qu'un chef ? » – pas un homme chef – et je me languis de pouvoir les imiter.

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Nous sommes peut-être tous chefs, mais visiblement, je suis censée être aussi quelque chose de plus. Un peu comme si l'on m'avait nommée porte-parole de la commission sur l'égalité des sexes. Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit : je veux aider et améliorer le sort des femmes chefs dans l'industrie de la restauration – voire le sort de tous les chefs en général – mais j'ai vraiment peur d'être cataloguée comme une femme d'abord et un chef ensuite. C'est le propre d'un stéréotype que de rester figé.

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J'attends avec impatience le jour où je parviendrais à exprimer une idée capable de faire bouger les lignes pour toutes ces talentueuses femmes chefs qui me succéderont – ou même mieux, le jour où toutes les femmes seront considérées comme des chefs et pas « des femmes chefs ».

Un chef a décidé d'utiliser ses privilèges pour porter un jugement sur 51 % de la population mondiale ? Il a fait ce qu'aucune femme chef ne ferait.

Bien sûr, les remarques absurdes faites par Tom Kerridge sont l'exemple parfait d'un sujet que je suis contrainte d'aborder alors que mes collègues masculins peuvent l'ignorer.

Je me retrouve de nouveau à devoir parler à cette obscure mentalité misogyne qui fout la chair de poule à de nombreuses nanas. Pourtant, beaucoup de gens se demandent aujourd'hui pourquoi certains parlent encore des femmes comme des citoyens de seconde zone qui se baladent dans un monde d'hommes et ne font que des conneries, attendant que des mecs leur disent comment faire leur boulot.

Un chef a décidé d'utiliser ses privilèges pour porter un jugement sur 51 % de la population mondiale ? Il a fait ce qu'aucune femme chef ne ferait. Vous imaginez une de nous dire sur les hommes ce qu'il a dit sur les femmes en cuisine ? Impossible. Nous ne mangeons pas de ce pain-là.

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J'ai reçu plus de mille mails me demandant d'envoyer paître ce chef ou de lui répondre. Voici ce que j'ai à dire.

Par le passé, je me serais probablement moquée de ces commentaires. Aujourd'hui, je n'ai qu'un seul souhait : Tom, pouvez-vous prendre cinq minutes de votre temps pour examiner la façon dont vos commentaires touchent vos collègues, celles qui aspirent à faire notre métier et même les femmes en général ? Pouvez-vous demander aux femmes qui vous entourent leur réaction ? Ce qu'elles ont honnêtement pensé de vos propos ? Comment ont-ils le pouvoir de blesser les femmes qui tentent d'atteindre leur potentiel et de nourrir leur passion ?

Écoutez-nous. Nous ne voulons pas voler quoi que ce soit à nos collègues masculins, nous voulons simplement être à la même table que les autres et pouvoir dialoguer avec notre art. Car nous voulons aussi avoir la possibilité de nous exprimer.