À Marseille, le bon fromage se deale en bas des tours

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À Marseille, le bon fromage se deale en bas des tours

En plein cœur des quartiers nord, coincée entre les collines et les barres d’immeubles, il existe un petit coin de verdure dans lequel Marie Maurage fait paître ses bêtes et produit le meilleur fromage de la région.

La brousse est née en Provence, le Lubéron a son banon. Mais dans les Bouches-du-Rhône – là où j'habite – le bon fromage se fait aussi rare que les fans du Paris Saint-Germain. Heureusement, on m'avait refilé un mystérieux plan frometon : une vraie douceur lactée que l'on ne pouvait trouver qu'en allant traîner en plein cœur des cités des quartiers nord de Marseille.

La légende urbaine dit que là-bas, au pied des tours, il y a une ferme et qu'autour de cette ferme, il y a des vaches et des chèvres qui paissent en semi-liberté. Le tout dans un petit coin de verdure improbable. Il ne m'en fallait pas plus. Voilà comment je me suis retrouvée, les récepteurs de caséine en alerte, à partir en expédition dans ce quartier qui fait plus souvent la une des journaux pour ses plaquettes de shit que pour ses cagettes de fromage.

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La ferme de la Tour des Pins, dans le quartier du Merlan. Toutes les photos sont de l'auteur.

Arrivée sur place, j'ai fait la rencontre de Marie Maurage, dans sa ferme bio de 6 hectares coincée entre les collines et les barres d'immeubles gris à perte de vue. Marie, c'est une sorte d'agricultrice du bitume qui vit la vie de la ferme à l'heure de la ville. À peine avais-je eu le temps de faire la connaissance de Jojoba (son fidèle compagnon) que j'ai été happée dans le tourbillon de ses journées bien remplies : il était 10 heures du matin, c'était l'heure de loucher les fromages à la main et il n'y avait pas une minute à perdre. Le rythme est soutenu, Marie produit toute seule environ 2 400 fromages chaque mois. « Tu te déchausses, tu te mets où tu peux, tu me poses tes questions et après on ira déjeuner, je t'ai préparé une petite sélection de mes fromages… », m'a-t-elle expliqué en posant l'une des règles du quotidien à la ferme : l'effort avant le réconfort.

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Marie produit plus de 2400 fromages de vache et de chèvre par mois, tous louchés à la main.

Malgré son allure fluette, ses grands yeux bleus et son rire enjoué, Marie a un tempérament d'acier. Et du courage justement, on pourrait se dire qu'il en faut pas mal pour prendre la décision de venir s'installer seule ici.

« La première fois que j'ai mis un pied dans cette ferme, j'ai trouvé ça extraordinaire et incroyablement vert alors que je voyais les quartiers nord comme un endroit tout rabougri », se souvient-elle amusée. Elle a raison : ça sent bon le foin, les poules caquettent, les oies se tirent les plumes et les vaches pâturent, on a presque du mal à réaliser que l'on est sous les fenêtres des cités. L'exploitation agricole fait figure d'ovni dans ce quartier du 14e arrondissement très vertical, où même l'œil à du mal à se frayer une perspective. Mais Marie a su la trouver dans ces 6 hectares de verdure où gambadent chèvres et vaches en semi-liberté. Cette ferme de la Tour des Pins, qui appartient à la municipalité depuis les années quatre-vingt, elle l'a récupérée il y a un peu moins d'un an avec tout un tas de projets en tête et une vraie volonté de faire quelque chose de positif dans des quartiers où les initiatives peinent souvent à décoller.

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« Mes amis étaient très étonnés, voire assez sceptiques, quand je leur ai dit que je voulais m'installer à Marseille… C'est bien loin de ma vie d'avant où j'exploitais une ferme à Briançon (dans les Hautes-Alpes, N.D.L.R.). Je ressemblais plus à l'image d'Heidi, perchée dans mes montagnes ! Je reconnais que c'est un projet improbable dans une ville improbable – mais c'est ce contraste qui me plaît. »

J'aimerais que tout le monde puisse manger bio et bon. Ce n'est pas parce qu'on est pauvre qu'on doit manger de la merde !

Cette diversité qu'elle est venue chercher dans une ville qu'elle décrit « humainement très riche », elle l'a retrouvée aux contacts de ces « minots » qui viennent découvrir – souvent pour la première fois – l'exploitation laitière et apprendre le travail à la ferme autour de différentes activités.

On envoie un message positif et on montre que l'on peut faire des choses différentes dans un quartier, aussi sensible qu'on le prétend être.

Des vaches et des chèvres pour voir au-delà des barres, c'est l'objectif de Marie.

« Cette ferme est là pour les enfants ! Je veux leur montrer qu'il y a autre chose que du béton au pied de chez eux. Mais ici, ça reste une vraie ferme avec de la production, je ne veux pas en faire un zoo où tout le monde viendrait voir des animaux confinés ! » Dans ce petit poumon vert, Marie tente de redonner un souffle à ce quartier et montrer au reste de la ville qu'il est possible de faire passer un message positif et de redorer ces arrondissements souvent montrés du doigt. Un retour à la nature et aux valeurs simples pour sortir d'un quotidien parfois un peu lourd : « Ils repartent de chez moi en ayant découvert qu'on peut manger différemment. J'aimerais que tout le monde puisse manger bio et bon. Ce n'est pas parce qu'on est pauvre qu'on doit manger de la merde ! D'ailleurs, les bobos riches m'emmerdent ! »

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Après avoir louché ses fromages et nettoyé son atelier, Marie m'a invitée à partager le déjeuner chez elle, dans sa maison située juste au-dessus de la ferme. « Tu fais comme chez toi, d'ailleurs tu peux préparer la salade et mettre le couvert pendant que je me change ! », m'a-t-elle lancé, toujours dans cette dynamique « d'effort/réconfort ». Ses moments de pause sont rares et sacrés et c'est comme si elle avait sauté sur l'occasion de ma visite pour me déléguer un peu de sa charge quotidienne – on mange plutôt bien, donc ça me convient.

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Le cheptel comporte 40 chèvres et 3 vaches à lait, dont 2 Jersiaises.

Autour d'un repas concocté avec les légumes de son propre potager et accompagné des fromages de son cru, elle m'a fait part de la dureté de la vie d'agricultrice, de la difficulté à trouver du personnel qualifié pour l'aider. Elle a aussi évoqué sa vie de femme, « engagée depuis toujours ». « Le bio, c'est une vision globale de la vie », a-t-elle insisté en parlant de son mode de vie.

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Dont acte, plusieurs fois par semaine elle revêt son habit de militante. Elle est à la tête de l'association Bio de Provence qui agit en faveur d'une agriculture biologique locale et met en avant la production en circuits courts. « Les deux vont de pair : Si tu manges uniquement local alors tu soutiens des agriculteurs de ta région sans en affamer d'autres à l'autre bout du monde, et c'est très bien, mais tu ne fais pas de geste pour l'environnement ! »

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Mais depuis que j'ai débarqué dans cette oasis de verdure en milieu urbain (et donc potentiellement pollué), une question me trotte dans la tête : Est-ce que l'on peut faire du bio en plein centre-ville ?

« Parce qu'on habite en ville on ne fait pas de bio ? La pollution atmosphérique est partout ! À Briançon on voyait arriver les gros nuages noirs de Turin et il n'y avait pas le mistral pour les chasser ! », s'est alors un peu agacée Marie. « On a tellement fait bouffer de la merde aux citadins que maintenant, dès qu'ils tombent sur un produit tracé, ils sautent dessus… » La demande des citadins est bien réelle et ne cesse de croître, en témoigne la constante augmentation des exploitations bio, des démarches collectives et des nombreuses épiceries paysannes qui ne cessent de gagner du terrain.

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« Il y a mille choses à faire à Marseille, avec toutes ces terres agricoles non exploitées, cette richesse culturelle… on pourrait en faire une ville témoin de la souveraineté alimentaire ! » Un droit pour tous à une alimentation saine, produite avec des méthodes durables, c'est ce qui semble être ce pour quoi elle s'est battue toute sa vie. « Et puis en le faisant ici, dans ces quartiers, on envoie un message positif : on montre que l'on peut évoluer et faire des choses différentes dans un quartier, aussi « sensible » qu'on le prétend être. »

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À la force de ses convictions, Marie pourrait soulever des montagnes, encore faut-il que son projet soit entendu. Et quand on sait qu'avec ses fromages, elle contribue déjà à faire évoluer les mentalités, là où l'on a préféré cloisonner les habitants et leurs idées, quelque chose me dit qu'elle est sur la bonne voie.

Les bons fromages de Marie s'achètent à la Ferme pédagogique la tour des pins, 2 traverse Cade, 13014 Marseille. Tel : 04 91 63 26 68

Cet article a été initialement publié sur MUNCHIES en octobre 2015