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Anatomie d'un plat coup de poing : l’œuf poché au beurre noir

C'est l'histoire d'une sauce toxique à base de beurre brûlé et d'une recette qui a inspiré quelques cocards.

Les annales de la cuisine française sont un véritable cabinet de curiosités culinaires. Il est des plats d'hier improbables qui peuplent les livres de recette : intitulés racistes ou misogynes, ingrédients cancérigènes ou kamikazes. À l'heure du locavorisme et des régimes restrictifs, n'y a-t-il pas meilleur moment pour dépoussiérer les vieilles traditions de nos ancêtres ?

Dans son livre Je sais cuisinier, une petite bible de la tambouille catégorie bonne franquette, la patronne des cuisinières normandes (et accessoirement de toutes les grands-mères de France), Ginette Mathiot prend ses précautions et prévient que le beurre noir est « déconseillé du point de vue de l'hygiène alimentaire ».

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En d'autres termes, il faut comprendre que c'est l'une des pires substances qui puisse circuler dans votre corps – juste après l'eau de Javel. Une légende dit même que le beurre noir est tellement malsain qu'il est interdit dans les restaurants.

Toutes les histoires ont une première fois et il doit bien y avoir un mec, un jour, qui a eu la brillante idée de faire fondre du beurre dans une poêle et de l'oublier assez longtemps pour le laisser brunir et pire : noircir. Une fois la graisse bien cramée et absolument cancérigène, l'apprenti cuisinier a même réservé ce beurre brûlé dans un plat hors feu, déglacé sa poêle avec une cuillère de vinaigre de vin et mélangé le tout. Le beurre noir était né, bravo champion.

Si la fameuse raie au beurre noir est une institution, il est un autre plat qui fit fureur pendant plusieurs siècles : les œufs pochés au beurre noir.

Motte de beurre, Antoine Vollon.

Mais pourquoi le beurre noir est-il si méchant ? « Généralement, on fait brunir les aliments pour provoquer la réaction de Maillard. Cette réaction chimique donne aux aliments une saveur toute particulière (barbecue, peau du poulet rôti, croûte du pain, etc…). » Explique Victoria Elbaz, spécialiste des questions de nutrition « Mais cette caramélisation des protéines détruit les acides aminés et rend les aliments moins digestes. Aliments qui, par ailleurs, deviennent potentiellement cancérigènes et toxiques ».

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Et ce n'est pas tout. « Chaque matière grasse (végétale ou animale) a ce que l'on appelle un point de fumée : la température critique à partir de laquelle un corps gras se décompose. Le beurre a un point de fumée plus bas que l'huile (130 °C contre 232 °C pour l'huile raffinée). Cuire du beurre à plus de 200 °C entraîne la formation d'oxystérols, un dérivé indigeste du cholestérol et dégradent les vitamines présentent dans le beurre ». (D'où l'intérêt de frire les aliments avec du beurre clarifié, C.Q.F.D.).

Le panier d'oeufs (1788), Henri-Horace-Roland Delaporte.

À qui fut servi le premier beurre noir de l'histoire ? À un ogre ? Un ennemi ? Un aveugle ? L'histoire ne le dit pas. Par contre on sait à quel ingrédient il fut associé. Les poissons ont toujours eu sa primeur et, au premier chef, la raie. Mais si la fameuse raie au beurre noir est une institution, il est un autre plat qui fit fureur pendant plusieurs siècles : les œufs pochés au beurre noir.

Les synonymes d'œil au beurre noir se sont appliqués à filer la métaphore ; cocard, cocarde et coquillard rappellent évidemment l'œuf originel.

La recette est à la fois simple et complexe. Dans une casserole, faites bouillir l’eau avec le vinaigre. Cassez un œuf et laissez-le glisser dans l’eau bouillante avec délicatesse. À l’aide d’une cuillère en bois, ramenez le blanc sur le jaune pour les rassembler. Laissez frémir à feu doux pendant 3 minutes et 30 secondes puis retirez l'œuf avec une écumoire. Égouttez-le sur un torchon propre, puis disposez-le sur un plat. Salez, poivrez. Nappez les œufs pochés avec le fameux beurre.

C'est aussi cette recette qui a donné vie à l'expression « œil au beurre noir » dont l'existence est attestée depuis le XVIe siècle. D'ailleurs, les synonymes « d'œil au beurre noir » se sont appliqués à filer la métaphore ; cocard, cocarde et coquillard rappellent évidemment l'œuf originel.

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Toutes les histoires ont une première fois et il faut ici avoir une pensée émue pour ce type qui, à l'époque, s'est mangé une vilaine droite qui lui a fait gonfler l'œil. D'abord rouge cramoisi, l'hématome est devenu petit à petit noir au contour d'un œil gonflé comme un œuf poché. Le bonhomme a dû penser trouver du réconfort dans une auberge. Il s'est sûrement dit qu'il se taperait bien un bon gueuleton pour se remettre de ses émotions.

Avec sa gueule de grognard et ses derniers sous, il a commandé un œuf qu'il devait aimer poché et il s'apprêtait sûrement à le dévorer quand un voisin de table remarqua la ressemblance entre le plat et l'ecchymose. Le pauvre type a dû faire marrer tout le monde et nul ne doute qu'il y eut, ce soir-là, d'autres yeux servis au beurre noir.