Ce que la cuisine française doit aux heures sombres de l'Histoire
Illustration : François Dettwiller

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Ce que la cuisine française doit aux heures sombres de l'Histoire

Du siège de Paris à la Seconde Guerre mondiale : comment les périodes de vaches maigres ont influencé nos modes alimentaires.
François Dettwiller
illustrations François Dettwiller
Paris, FR

Au cours de l’Histoire, les Français ont souvent été contraints de se creuser la tête pour remplir leur gamelle et survivre. Entre le siège prussien de 1870 et le rationnement drastique vécu lors de la Seconde guerre mondiale, ils ont parfois dû se débrouiller avec pas grand-chose.

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« Pas grand chose » étant alors synonyme de ragoût de rats d’égouts, de pain fait avec de la farine d’os broyés voire de steak d’éléphants. Si certains des aliments consommés pendant ces périodes d’austérité ne figurent plus au menu, il reste quelques spécialités héritées de ces temps de disette qui, étonnamment, sont encore consommées aujourd’hui.

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La chicorée

La chicorée est une boisson particulièrement populaire dans le nord de la France, même si on la retrouve dans tout le pays. Elle est consommée à la place du café lorsque l’on souhaite éviter la caféine. Mais il n’en a pas toujours été ainsi.

Le pays a découvert le café en 1669 et sa population l’a rapidement adopté. Lorsque le Café Procope a ouvert ses portes en 1686, il est rapidement devenu l’endroit où il fallait être. On pouvait y croiser Rousseau, Diderot et Voltaire (et plus tard, Benjamin Franklin ou Robespierre).

En 1806, le blocus continental imposé par Napoléon coupe court à tout commerce avec les Britanniques, réduisant par là même le nombre et la quantité de produits importés disponibles. Privé de café, le bon peuple de France se tourne vers la seule alternative satisfaisante ; la chicorée.

L’exil de Bonaparte permet le retour du café dans les foyers français. Mais la chicorée n’a pas dit son dernier mot. Elle reviendra en force au cours des deux guerres mondiales, comme le souligne Patrick Rambourg, historien spécialiste de la cuisine et de la gastronomie.

« Quand la denrée recherchée devient inaccessible financièrement, on s’oriente forcément vers autre chose », explique-t-il. Et à l'époque, il était plus facile – et moins coûteux – de se procurer de la chicorée produite en France, en Belgique ou dans le nord de l’Europe, que du café, ajoute-t-il.

« Dans l’imaginaire français, la chicorée reste un substitut au café. Dès lors que l’on en boit, c’est que l’on est vraiment dans une période difficile »

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Autre atout, la chicorée montre une bien meilleure résistance que d’autres boissons qui s’étaient substituées au kawa – notamment des mélanges à base de gland ou d’orge qui ont connu leur heure de gloire avant de tomber dans l’oubli.

Aujourd’hui, même si l’on peut trouver du café dans n’importe quel magasin, jours fériés inclus, certaines personnes optent néanmoins pour la chicorée – ou un mélange de café et de chicorée – séduites par son goût légèrement sucré et l’absence de caféine.

Ce qui ne l’empêche pas de conserver cette image un peu austère. « Dans l’imaginaire français, la chicorée reste un substitut au café. Dès lors que l’on en boit, c’est que l’on est vraiment dans une période difficile », note Patrick Rambourg.

La viande de cheval

Le siège de Paris par l’armée prussienne a donné lieu à l’une des plus longues périodes de famine jamais connues dans la capitale. Vous ne serez donc pas étonnés d’apprendre que ses habitants, affamés et désespérés, mangeaient tout ce qui leur tombait sous la main.

Pour les plus pauvres, ça pouvait être des rats chopés dans la rue (ou le fameux pain à la farine d’os susmentionné). Pour les plus riches, les menus étaient parfois composés d’animaux du zoo. Vers la fin de l’année 1870, des bouchers se sont ainsi attaqués au Jardin d’Acclimatation et à ses grands herbivores - antilopes, chameaux et autres zèbres.

À Saint-Quentin, des civils dépècent un cheval, le 3 septembre 1944. Photo via Flickr user Photos Normandie.

Parmi les dernières victimes de l’appétit des Parisiens, les deux éléphants du zoo, Castor et Pollux. Avant de se régaler avec des « antilopes aux truffes » ou du « civet de kangourou », les Parisiens avaient épuisé une autre source de viande ; le cheval.

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Dans les années 1870, les boucheries chevalines avaient pignon sur rue et le cheval était souvent au menu des familles parisiennes qui pouvaient se le permettre

Alors que le pape Grégoire III avait aboli la consommation de viande chevaline en l’an 732, les Français en ont mangé le plus tranquillement du monde pendant des siècles jusqu’à ce que cette pratique redevienne légale, en 1866 – à temps pour endiguer l’assaut prussien.

Dans les années 1870, les boucheries chevalines avaient pignon sur rue et le cheval était souvent au menu des familles parisiennes qui pouvaient se le permettre. Aujourd’hui, il est beaucoup moins populaire en cuisine (merci Spanghero) même si on peut en trouver dans les grandes villes comme Paris.

La viande de cheval a pourtant toujours été appréciée pour sa maigreur et son goût « intéressant ». Elle a même longtemps été l’ingrédient clé de la recette originale du steak tartare.

Les légumes « oubliés »

Il y a 10 ans, dans un petit marché parisien, vous auriez eu toutes les peines du monde à trouver un rutabaga ou un artichaut de Jérusalem (plus communément appelé topinambour). Et il y a une bonne raison à cela.

Pendant l’Occupation, la France connaît une forte pénurie alimentaire. Seuls les légumes les plus résistants occupent encore les étals des commerçants. Pour survivre, il faut donc s’enfiler de grandes quantités de rutabaga, navet, topinambour et autre panais.

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La ratisseuse de navets, Jean-Baptiste Siméon Chardin, 1738.

Quand le rationnement prend fin en 1949, les familles françaises qui ont survécu à cette période de vaches maigres ne sont pas super motivées à l’idée de manger à nouveau ces légumes qui, consommés en quantité, peuvent provoquer des désagréments intestinaux.

« Les gens étaient obligés d’en manger plus que de raison durant la Seconde guerre mondiale parce qu'il n’y avait rien d’autre. »

« Ces aliments ont longtemps eu une connotation négative. Les gens étaient obligés d’en manger plus que de raison durant la Seconde guerre mondiale parce qu'il n’y avait rien d’autre », rappelle Patrick Rambourg.

Il y a une dizaine d’années, ces légumes ont été progressivement réintroduits sur les étals grâce à des chefs qui s’y sont intéressés et leur ont donné ce surnom de « légumes oubliés ». Mais Rambourg me met en garde. Il ne faut pas prendre ces traditions trop à la légère.

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« On ne se rend pas compte de la providence et du contexte de prospérité dans lequel on vit aujourd’hui, dit-il. Ceux que l’on appelle aujourd’hui les ‘légumes oubliés’ l’ont été par la force des choses, à cause d’événements historiques et tragiques. Mais ils ont marqué la culture alimentaire française pendant des décennies. »