Un macaron chez les Perses

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Un macaron chez les Perses

Behrang et Alice, un couple franco-iranien, ont tout quitté à Paris pour s’expatrier en Iran et se lancer dans la pâtisserie.

C'est un long bâtiment assez vétuste qui ne paye pas de mine. Étendu sur 130 mètres carrés, ce centre de production est situé au coeur d'un complexe d'installations électriques. À deux pas de là, il y a l'aéroport international Mehrabad, excentré à l'ouest du centre-ville de Téhéran ; à quatre pas, la majestueuse tour Âzâdi, l'un des symboles de la capitale iranienne. Au premier coup d'oeil sur le lieu, on a bien du mal à imaginer qu'on produit ici la crème de la pâtisserie. Et que ces délices nourrissent ministres et diplomates de passage à l'ambassade française de Téhéran – comme Jean-Marc Ayrault ou Michel Sapin il y a quelques mois.

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Behrang et Alice dans leur atelier de confection. Toutes les photos sont de l'auteur.

On rentre dans un bureau. Là, le logo d'une affiche interpelle. Dans une réplique d'entrée de bouche de métro style art nouveau est inscrit « Paris 1900 », le nom de la société. « On pensait à la Belle époque, on voulait affirmer l'identité française par le nom », sourient Behrang Shafi et Alice Leblanc, les patrons. Il y a encore deux ans, ce couple vivait à Paris. Lui, un franco-iranien de 37 ans, né quelques mois après la Révolution iranienne de 1979, était ingénieur depuis 10 ans dans une boîte de conseil. Elle, une Française de 36 ans, l'œil attentif sur le pays d'origine de son conjoint, était prof d'anglais. Avec une passion chez Alice : la pâtisserie. En parallèle à son métier, elle fait des petits stages et répond à des commandes de particuliers. Malgré sa formation accélérée suivie à la maison Lenôtre, elle dit ne pas être « du sérail ». Lui n'est pas un fana du biscuit mais veut lancer son activité, être à son compte. « Vous devriez ouvrir une boutique à Téhéran ! », leur dit-on.

Le couple s'y rend, en mai 2015, pour plusieurs semaines, et reviennent ravis. « Il y avait une force qui nous poussait à venir ici, avec énormément de signaux positifs », se souvient Behrang. Leur retour en France – aux prises avec un chauffeur de taxi parisien mal luné et la crèche qui annonce ne plus avoir de place pour leur enfant – finit par les convaincre de s'installer là-bas pour de bon. Chose faite en novembre 2015, quelques mois seulement après la signature du fameux accord sur le nucléaire iranien, confirmant l' « ouverture » et le retour au premier plan du pays sur la scène internationale.

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Au départ, Behrang Shafi voulait embaucher les meilleurs pâtissiers de Téhéran, avant de se raviser : « S'ils avaient déjà de l'expérience, ça n'aurait pas forcément collé avec ce qu'on voulait faire. On a préféré formé nos salariés qui partaient tous de zéro. »

Ils sont loin d'être les seuls à choisir cette destination. Selon nos informations, le nombre de résidents français inscrits à l'ambassade a augmenté de près de 30% au début d'année par rapport à 2011. Parmi eux, Xavier Monard et Romain Quenet, qui ont lancé « Tartine », une boulangerie-pâtisserie. « On n'est pas dans une logique de concurrence avec eux, observe Behrang. Au contraire, il y a une forme de solidarité entre Français. De toute façon, nous sommes sur des créneaux différents ».

Chez « Paris 1900 », priorité à la production de luxe. Macarons à 1 euro la pièce (« ce qui est très cher pour ici »), tartelettes au citron, bûches, sablés à la bretonne, « gâteaux signature », petits fours… Après seulement quelques mois d'activité, l'ambassade de France à Téhéran leur passe les premières commandes : « Ça a démarré avec les diplomates, commence à énumérer le patron. Puis on nous a demandé quelques desserts, puis la cantine… » Avec les visites permanentes, les commandes sont hebdomadaires. Ils ont récemment fait le service pour la journée de la francophonie devant des dizaines d'ambassadeurs étrangers. À la fête du 14 juillet dernier, ils ont fourni plusieurs milliers de pièces pour nourrir près de 2 300 personnes. « Les retours sont extrêmement positifs, assure Behrang. C'est un prestige d'être arrivé jusqu'ici, ça nous pousse à élever le niveau. Mais on l'imaginait, on l'espérait dans notre stratégie haut de gamme. Parfois, l'ambassade nous pousse à sortir des sentiers battus ! » Exemple avec le célèbre baba au rhum où le rhum a dû être remplacé… par du sirop de rose. Histoire de ne pas heurter les sensibilités et les règles en vigueur de la République islamique.

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En privé, on n'hésite pas à dépenser beaucoup d'argent pour du salé, sucré… Même pour un « petit » mariage, on va dépenser pour plusieurs dizaines de milliers d'euros.

Même si chez eux le mot d'ordre est de suivre les recettes traditionnelles françaises, sans adaptation au goût iranien, ils se ne s'interdisent pas quelques clins d'oeil. Exemple avec l'utilisation de la pistache ou du safran, deux denrées pour lesquelles le pays compte parmi les plus grands producteurs au monde. Les profiteroles ? Avec un coulis de griottes iraniennes. « Beaucoup d'Iraniens ou franco-iraniens qui ont voyagé nous disent qu'on les transporte jusqu'à Paris. Ils ont le sentiment de retrouver le goût français à la virgule près ». D'autres sont moins sensibles : « Certains voient les pâtisseries comme des patates qu'ils achètent au kilo, a pu constater Behrang. De la même façon en France, certains n'ont pas le palais assez fin pour faire la différence entre du bon vin et de la piquette ! » Selon le couple, la pâtisserie est pourtant prisée des Iraniens. Entre le « très ancestral » gâteau baklava jusqu'au pâtisseries inspirées par les États-Unis (« layer cake, cupcake, génoises crèmes à la déco très girly »), « Paris 1900 » pense avoir trouvé sa place. D'autant que selon Behrang, le traiteur de luxe représente « un énorme marché ». En Iran, c'est bien connu, il y a l'espace public et la vie à l'intérieur des quatre murs. « En privé, on n'hésite pas à dépenser beaucoup d'argent pour du salé, sucré… Même pour un « petit » mariage, on va dépenser pour plusieurs dizaines de milliers d'euros. Même si je paye mon employé à 300 € par mois, il n'hésitera pas à mettre 20 000 € pour son mariage ».

C'est pourquoi les commandes à 150 ou 200 € sont fréquentes – elles ont même doublé de volume entre aujourd'hui et janvier dernier : « On ne nous appelle plus pour trois pâtisseries. » Outre l'ambassade, un client important « avec une relation de confiance établie mais sans contrat d'exclusivité », « Paris 1900 » compte une centaine de commanditaires avec une clientèle majoritairement internationale.

En attendant l'arrivée d'un camion frigorifique pour les livraisons, le couple fait appel à « Snapp », l'équivalent du Uber iranien. Une boutique pourrait voir le jour pour cet été. Leur aventure iranienne n'est pas prête de s'arrêter.