Voyage au bout de la picole dans les méandres du pavillon « outre-mer »

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Voyage au bout de la picole dans les méandres du pavillon « outre-mer »

Ti-punch, rhum vieux et mignonnette : j'ai suivi la route du rhum au Salon de l'agriculture.

C'est la pluie qui m'accueille lorsque je passe le tourniquet de la halle d'exposition de la Porte de Versailles. La dernière semaine du Salon de l'agriculture a été rythmée par les averses, les manifestations anti-viande et les bordées d'œufs ou de quolibets à destination des candidats à l'élection présidentielle venus défiler.

Pour rappel, le Salon de l'agriculture a lieu depuis plus de 50 ans et accueille chaque année plus de 600 000 personnes. 8 pavillons se répartissent différents échantillons du patrimoine agricole et gastronomique français. Ça commence par l'élevage et les laitiers du Pavillon 1, dont les allées sont envahies d'enfants et de poussettes, jusqu'aux différents produits de la terre ou de la mer. C'est là, caché sous des montagnes d'aligot-saucisse et des litres de pinard, que se trouve un royaume un peu à part ; les DOM-TOM.

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À la veille de la fermeture de l'édition 2017, l'atmosphère est plus austère que les années précédentes. Mais, malgré la morosité, j'ai décidé de combattre les premières giboulées et la grisaille par un voyage improvisé dans les Antilles.

Toutes les photos sont de l'auteur

Pour moi, faire une route du Rhum, c'est tomber dans l'inconnu. À l'heure de l'apéro et au moment de sortir quelques bouteilles, mon palet se dirige généralement vers des liqueurs des pays de l'Est à base de pomme de terre. Les quelques cuites au rhum que j'ai faites ont toujours eu des résultats assez catastrophiques ; des pertes de mémoire angoissantes aux paralysies totales me clouant au plumard le lendemain.

Par plaisir et aussi par sécurité, j'embarque pour ce voyage dans les îles avec mon pote Patxi, fin connaisseur du breuvage des Antilles, et Adrien, fin connaisseur des Antillaises.

Avant de partir s'enfiler des alcools allant de 37 et 50° ou plus, on effectue un petit tour par le Périgord où l'on dévore quelques sandwichs au foie gras, aiguillettes de canards et oignons confits. Le tout arrosé de quelques bières triple en provenance des Hauts-de-France pour échauffer les gamma GT. Ensuite, direction le hall opposé, labélisé beaucoup trop sobrement « Régions et produits de France et d'outre-mer » mais surnommé « le 5.1 ».

Une fois les portes battantes passées, l'odeur de sucre ainsi que les couleurs vertes et jaunes nous réveillent du froid et de l'humidité extérieurs. Un contraste avec les autres pavillons qui restent assez sobres niveau colorimétrie et son.

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« Il vaut mieux commencer par des cocktails. Pour mettre la machine en route »

Ici, la plupart des stands passent de la musique comme en boîte, mixant son des îles, avec quelques danseurs en tenue traditionnelle qui s'adonnent à des chorégraphies, avant d'enchaîner avec le dernier Rihanna. Un bordel sonore magnifique que semblent apprécier le public et les agriculteurs de toute la France venus s'échapper quelques instants pour venir goûter, comme nous, le célèbre breuvage sucré.

« Il vaut mieux commencer par des cocktails », annonce Patxi. « Pour mettre la machine en route ». On décide de se rendre au fond du hall, vers le comptoir avec le plus de son. Décision est prise de commander piña colada, punch coco et rhum planteur. Dès la première gorgée, on comprend assez vite qu'on s'est fait avoir comme des touristes. Deux points communs à ses trois cocktails : l'assassinat au niveau des prix et l'utilisation d'un rhum industriel noyé dans le sucre, le jus de fruit et la noix de coco.

Car il y a rhum et rhum. Oubliez l'industriel que tout le monde fait péter en boîte ou en soirée, avec le pichet de Coca pas frais, comme le Saint James, le Havana ou le Bacardi. Tous ses alcools sont des rhums faits à partir de mélasse issue du raffinage du sucre de canne. Ils sont à distinguer avec ceux de fabrication « agricole », fabriquée avec un jus de cannes à sucre, surnommé le vesou. Ce dernier est uniquement préparé en métropole ou dans les Antilles sous des appellations AOC crée en 1996. Depuis plusieurs années, une guerre est déclarée entre les producteurs d'outre-mer qui fabriquent un rhum agricole véritable traditionnel et les grosses firmes de spiritueux qui inondent le marché avec leur liquide industriel.

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Après avoir fini nos breuvages sans grande difficulté – mais légèrement contrariés –, on décide de remonter l'allée latérale pour rejoindre un stand bardé de médailles. « Le Punch d'Home est quadruple médaillé cette année », m'explique fièrement le patron, Pascal Flouriot. « Notre entreprise s'appelle 'L'esprit du Rhum', car on se rapproche des 38 degrés avec nos rhums arrangés à 42. »

Le stand du rhum d'Home

Pascal et son équipe passent la moitié de leur temps dans les îles, ramenant les fruits et la canne à sucre, pour tout brasser ensuite en métropole. Pendant que j'échange quelques mots avec le proprio, mes deux acolytes ont déjà commencé la dégustation avec un employé, goûtant toutes les bouteilles devant eux. On enchaîne rhum vanille, orange, pomme cannelle et, ce qui reste le meilleur pour moi, citron-gingembre. Un goût tellement incroyable que l'on repart avec une bouteille et quelques mignonnettes.

« P'tits punch et Ti-punch ce n'est pas pareil »

Il est temps de passer à la vitesse supérieure et, quelques mètres plus loin, le stand de Guadeloupe propose un défi kamikaze : des Ti Punch à 3 euros. « P'tits punch et Ti-punch ce n'est pas pareil », m'annonce le patriarche derrière sa machine à sorbet au rhum. « On est à plus de 50°, enfin peut-être même plus ». À la fin de son explication, il en profite pour taper un grand coup de louche sur la tête de son fils histoire d'accélérer le service.

Ce sont les yeux légèrement embués par les premiers effets des verres précédents que l'on déguste ces Ti-Punch, beaucoup trop bien servis. Pour rappel, la recette est simple et radicale ; un citron vert écrasé dans le fond du verre, recouvert de sucre de canne et noyé dans du rhum. blanc ici, pour une efficacité bien visible et dès la première gorgée.

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Le repas pris quelques heures plus tôt a maintenant été désintégré par les différentes variations de température des liquides. Nous titubons à la recherche de quelques acras de morue et d'un collier de saucisse à la papaye des Antilles. Le tout est englouti en quelques secondes et prend le chemin de nos gorges anesthésiées. À l'extérieur, l'air frais fait du bien à tout le monde et permet de retrouver quelques neurones. C'est décidé, on va s'envoyer une des mignonnettes achetées plus tôt avant de rejoindre la Martinique pour un dernier tour de piste.

Le bar de dégustation d'AOC de rhum vieux est déjà pris d'assaut à notre arrivée. Après s'être faufilé difficilement jusqu'au comptoir, Patxi, les yeux pleins d'émotions, me montre les différentes bouteilles de rhum vieux ambré qu'il faudrait goûter. Adrien, les yeux pleins d'émotions lui aussi, remarque les trois beautés des îles derrière le comptoir. « Ça ne rigole pas ici, c'est de l'origine contrôlée », nous fait remarquer l'une d'entre elles ce qui nous ramène illico à la réalité.

Trois rhums sont servis et représentent chacun une partie de l'île – notamment où il est produit. On commence par le plus jeune, La Favorite, 4 ans d'âge, malheureusement un peu jeune et manquant de complexité. Puis un Bally, 7 ans d'âge et plus agréable au palais. On finit par un Depaz XO, un hors d'âge de 20 ans, qui se boit comme de l'eau. Il a un arrière-goût de figue et un parfum qui reste en bouche. En s'échangeant les verres et au bout de quelques gorgées, il faut avouer que le rhum jeune commence à avoir le même goût que le vieux.

Alors que je note les noms et les âges sur mon carnet, avant d'avoir tout oublié le lendemain matin, un mec de 140 kg avec un accent belge me bouscule et me montre mon stylo. « Qu'est-ce tu fais avec ce 'pencil'. C'est hyper dangereux ça ! » avant de se barrer et de renverser son verre.

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C'est à ce moment-là que j'ai compris qu'il n'était que 17h30 et que tous les mecs autour de nous étaient démolis. La nuit tombe à peine à l'extérieur, mais les yeux sont embrumés et dilatés à fond. Certains dansent même autour de nous. L'heure qui suit jusqu'à la fermeture, est confuse et je perds toute notion du temps. On a parlé longtemps ou quelques minutes, je ne sais plus, avant de continuer à errer dans le salon.

Adrien a ressorti quelques saucisses que nous avons gobées en silence, avant de rejoindre le Pavillon 1 où sont stockés les bovins. Pile à l'heure pour nous affaler sur des barrières pour observer, halluciné, la tonte de quelques moutons dans l'arène d'affrontement, tout en attaquant les dernières mignonnettes.