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Food

Mon embarrassante passion pour le riz en sachet cuisson

Grain de folie. Comment j'ai renié plusieurs siècles de tradition culinaire familiale sans raison apparente.
Ian Burke
Brooklyn, US
Riz Sachet Cuisson
Photo de Ian Burke

Ma chère maman, j’espère que tu n'es pas en train de me lire.

J’ai grandi en mangeant du riz. Du bon riz blanc. Le genre de riz à l’ancienne qui imprègne la maison de bonnes odeurs et qui devait déjà parfumer l’appartement de ma mère, à Bogota, où elle est née en 1967. Quand elle a quitté la Colombie avec sa famille pour immigrer légalement aux États-Unis deux ans après, il était tout à fait naturel qu’en plus d'une bonne dose de fierté latina et d'une solide éthique de travail, ils emportent avec eux la célèbre recette de riz de ma grand-mère.

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L'équation du riz parfait

Ma grand-mère nous a malheureusement quittés en 2014. Elle a quand même eu le temps de transmettre sa recette à ses cinq enfants. Il n’y est pas du tout question de température de cuisson ou de mesure quelle qu’elle soit. Juste une simple liste d’ingrédients et une idée générale du temps que le plat doit passer sur le feu. La qualité du riz dépend de l’énergie qu’on a dépensée à le bichonner. Il faut juste savoir quand est-ce qu'il est prêt, grâce à un sixième sens qui se développe uniquement chez ceux qui ont grandi avec ce truc. Et, coup de bol, c’est le cas de ma mère.

À l’image de nombreuses cuisinières hispaniques, elle est particulièrement fière de son riz. Quand j’étais jeune, il était impossible de faire un repas sans qu’une montagne de grains – comparable à celle de coke dans Scarface – ne s’élève fièrement d’un côté de l’assiette, faisant littéralement de l’ombre au reste. Cela s’explique très simplement. Ce riz était, et est encore aujourd’hui, de la bombe. Que Dieu ait pitié de vous si vous avez la mauvaise idée d'y ajouter une petite touche perso. Je me rappelle encore le mépris dans les yeux de ma mère lorsque mon grand-père paternel, arborant un large sourire, se servait une énorme cuillère de riz à chaque fois qu'il était au menu avant de le recouvrir abondamment de ketchup.

La préparation du poulet me prenait une dizaine de minutes alors que la recette de riz de ma grand-mère demandait une heure de mon temps. Vous savez ce qui cuit en moins d’une heure ? Le riz en sachet cuisson.

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Avant que je ne quitte la maison de mes parents, ma mère m’a appris à préparer ce fameux riz. Selon elle, la recette de ma grand-mère était notre plus grande richesse. Le truc le plus important que je pouvais emporter à la fac – en dépit de toute logique puisque les chambres de la résidence universitaire ne disposaient pas de cuisine.

Finalement, j’ai emménagé dans un appart’ avec un espace – certes minuscule – cuisine. C’était la première fois que j’étais véritablement seul. Loin du campus, de son règlement intérieur et de sa cantine. Pour le jeune « adulte » que j’étais (c’est comme ça que je me décrivais à l’époque), c’est le dernier point qui s’est avéré le plus problématique. Heureusement, je savais faire du riz et du poulet sauté. Le seul souci ? La préparation du poulet me prenait une dizaine de minutes alors que la recette de riz de ma grand-mère demandait une heure de mon temps.

Vous savez ce qui cuit en moins d’une heure ? Le riz en sachet cuisson.

Mon idylle avec les sachets débute en octobre 2017. Mon voisin, qui est aujourd’hui mon colocataire, Jake me présente son meilleur pote, celui qui allait bientôt hanter mes nuits : le riz long grain en sachet cuisson 10 minutes 500 g Uncle Ben's.

Si vous n’avez jamais consommé ce genre de came, ne vous y mettez pas. Parce qu’une fois qu’on a goûté le punch et l'adrénaline qu'un gros sachet de riz blanc parfaitement cuit en 10 minutes procure, on en devient accro. En tout cas, c’est ce qui m’est arrivé. Après avoir vu Jake préparer son riz Uncle Ben's, je lui ai demandé de me dépanner d’un sachet que j’ai emporté chez moi. Puis je l’ai cuisiné, et ma vie n’a plus jamais été la même.

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J’allais chez Jake et je lui taxais quelques sachets par-ci par-là. Je me disais : « Si ce n’est pas moi qui en achète, c'est comme si je n'étais pas vraiment en train d’en consommer. »

Au début, je ressentais trop de honte – et de culpabilité – pour aller m’acheter ma dose moi-même. Mais j'étais obnubilé. J’allais chez Jake et je lui taxais quelques sachets par-ci par-là. Je me disais : « Si ce n’est pas moi qui en achète, c'est comme si je n'étais pas vraiment en train d’en consommer. »

Avec le temps et à mesure que mon répertoire culinaire s’étoffait, je me suis retrouvé contraint de faire appel de plus en plus souvent aux sachets cuisson pour pouvoir m’en sortir. Un jour, la queue entre les jambes, je me suis rendu en magasin pour me réapprovisionner auprès de mon « dealer » qui m'attendait et affichait un sourire charmeur sur la boîte.

Si vous vous demandez pourquoi j'ai abandonné une recette familiale séculaire pour tomber dans le riz destiné à la consommation de masse, je vous répondrais en sortant la carte de l'étudiant trop occupé pour consacrer une heure de son temps à une casserole de riz. Avec Uncle Ben's, c’est très facile : on met le sachet dans l’eau, on attend 10 minutes, on ouvre le sachet d’un coup de ciseaux, on passe un petit coup de torchon sur lesdits ciseaux avant de les remettre, discrètement, dans le tiroir à couverts (c’est mal mais que celui qui ne l'a jamais fait me jette la première pierre) et PAF ! C’est prêt.

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Notez que, pendant la cuisson, je sens généralement le regard réprobateur de ma grand-mère posé sur moi. Mais j’ai appris à vivre avec. Si vous voulez comparer les deux recettes, voici celle de ma grand-mère :

Le riz de Leonor

- 1 tasse de riz Canilla (il faut absolument que ce soit ce riz-là et pas un autre)

- presque 500 ml d’eau

- de l’ail en poudre

- de l’oignon en poudre

- du sel

- de l’huile d’olive

1. Mettez tous les ingrédients dans une casserole. Allumez le feu.

2. Mélangez une fois avant que l’eau ne commence à bouillir. Ne plus mélangez sous peine de faire de la bouillie.

3. Quand l’eau est à ébullition, baissez le feu et laissez mijoter. Couvrez.

4. Laissez cuire jusqu’à ce que ce soit prêt (généralement, entre 20 et 30 minutes).

5. Résistez à l’envie irrépressible de mélanger.

6. Servez.

Et celle d'Uncle Ben's :

Le riz en sachet cuisson Uncle Ben's

- 1 sachet de riz

- de l’eau

1. Portez l’eau à ébullition puis mettez le sachet dans l’eau.

2. Laissez cuire 10 minutes.

3. Ouvrez le sac et servez.

Vous voyez ce que je veux dire ?

Pendant pas mal de temps, j'ai dit à ma mère que je faisais le riz de la même façon que ma grand-mère. Je lui envoyais des photos de mes dernières créations culinaires en lui assurant que s’il n’y en avait pas sur les photos, c’est parce qu’il était encore dans la casserole – techniquement, c'était le cas puisque le sachet plastique qui contenait le riz était, de fait, dans la casserole. Au bout d’un moment, le mensonge est devenu trop complexe et difficile à tenir. Je me suis donc trahi.

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Pendant les vacances de printemps que je passais chez mes parents, alors que je plongeais ma fourchette dans l’assiette de riz maison que ma mère avait préparé, les mots sont sortis de ma bouche sans que j’y pense. « Le riz de grand-mère m’a beaucoup manqué. » Une autre fois, lors d’un grand repas de famille, ma mère me demandais de « lancer le riz ». J'oubliais la poudre d’oignon. « C’était un test… et bin c’est réussi ! » (Malin, pas vrai ?)

Un jour, alors que l’énorme sac de riz Canilla prenait la poussière dans le placard de ma cuisine, j’ai décidé de jeter l’éponge. Je ne pouvais plus vivre dans le mensonge. (La publication imminente de cet article étant un autre facteur de cette prise de conscience.) J’ai raconté la vérité à ma mère qui, à ma grande surprise, a plutôt bien accueilli la nouvelle.

On s'est assis autour de la table sur laquelle j’avais pris la plupart des repas de mon enfance et je lui ai tout avoué. Les mensonges, les tromperies, les salades racontées pendant tout une année – tout ! Après un moment de silence qui m’a semblé durer une éternité, je l’ai regardée dans les yeux, prêt à être renié, à perdre mon héritage et à être foutu au minimum à la porte à grands coups de pompe.

« Dégueu », a-t-elle dit. « Tu peux lancer le sèche-linge ? »


Cet article a été préalablement publié sur MUNCHIES US

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