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À la gloire du « Gourmet solitaire » de Jirō Taniguchi

L’auteur de manga, décédé samedi 11 février, avait dessiné une des plus belles odes à la gastronomie japonaise.
Alexis Ferenczi
Paris, FR

« Il faut un sacré courage pour entrer la première fois dans un restaurant inconnu, quand on y pense. Un de ces petits bistrots comme il y en a partout avec en plat du jour un foie de porc à l'ail à la poêle à 680 yens, salade de tofu froid incluse. »

Cette réflexion, c'est le héros du Gourmet solitaire, le manga de Jirō Taniguchi, paru en 1997 au Japon et en 2005 en France, qui la fait entre deux repas. Elle vaut pour tous ceux qui ont un peu de mal à bouffer avec moins de 20 collègues le midi.

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Le Gourmet solitaire Jiro Taniguchi

Ce salary-man plutôt sympa, n'est pas le critique gastronomique lambda. Il ne boit pas une goutte d'alcool et bosse dans l'import-export. Pour lui comme des milliers de gens, manger seul dans un restaurant est un acte de bravoure.

À force de l'accompagner dans ses déplacements professionnels et ses pérégrinations gastronomiques, on le croit sur parole. Et on commence à l'envier un peu aussi. Notamment parce qu'il partage avec le lecteur un point commun : il a la dalle.

Taniguchi est mort samedi 11 février à l'âge de 69 ans. L'auteur était connu pour ses mangas de type gekiga (qu'on pourrait ranger dans la catégorie des « romans graphiques ») Ses hits ? Quartier Lointain ou L'Homme qui marche. Comme certains musiciens de jazz, il était plus adulé en France que dans son pays natal.

Le Gourmet Solitaire Jiro Taniguchi 2

Le Gourmet solitaire est son œuvre qui s'est le mieux vendue dans l'archipel – plus de 400 000 exemplaires. Peut-être parce qu'au-delà de scènes de vie très quotidienne, il y célèbre la gastronomie japonaise mieux que n'importe quel guide du Routard.

Dans son manga – qui a aussi séduit Kei Kobayashi, un des chefs japonais les plus talentueux – chaque chapitre porte le nom d'une spécialité et le nom de la gargote où elle est dégustée, de Tokyo à Ozaka en passant par le restau familial ou la supérette du coin.

Il n'y a rien qui puisse vous mettre plus en appétit que ses dessins précis d'un bol d'udon fumant, d'un bento d'anguille grillée, d'un sandwich au porc pané, d'œufs de morille, de légumes confits ou de haricots noirs sucrés en gelée.

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Le Gourmet Solitaire Jiro Taniguchi 3

Avec Le Gourmet solitaire, Jirō Taniguchi se sert aussi de la nourriture pour parler de la société japonaise, de son Histoire – comme le réalisateur Yasujirō Ozu dans Le Goût du riz au thé vert. Interrogé par Arte, Benoît Peeters souligne que l'auteur maîtrise à la perfection « l'infra-ordinaire ».

Ici, ce sont les discussions de mangeurs compulsifs et anonymes sur le curry-katsu dans des adresses on ne peut plus banales. En bonne madeleine proustienne, le repas ravive parfois quelques souvenirs.

Dans les interviews qu'ils donnent, Taniguchi se défend d'être un gourmet. Même s'il raconte s'être inspiré de sa propre expérience pour dessiner ce manga, il insiste souvent sur la simplicité et la modestie de la cuisine.

Le Gourmet Solitaire Jiro Taniguchi 4

À Télérama, il confiait : « Si les scènes de repas sont très présentes dans mes livres, c'est parce que se nourrir est une des activités essentielles de la vie humaine et que, donc, traitant du quotidien, je ne peux qu'y donner une large place. Quand je lis ou regarde des films, je suis toujours très intéressé par les scènes de repas : on y voit beaucoup d'une culture, des habitudes d'un pays ou des gens ».

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En 2016, Casterman sortait un deuxième volume du Gourmet solitaire – entre-temps adapté en série par la télévision japonaise. Dans Les Rêveries d'un gourmet solitaire, Taniguchi envoyait son goûteur à Paris s'enfiler un couscous et des tripes dans un petit troquet algérien.

Un vrai gourmet en somme.