Le meilleur café du monde se trouve dans la merde

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Le meilleur café du monde se trouve dans la merde

À Bali, on boit le kopi luwak, un café d'exception réalisé à partir de grains qui ont été partiellement digérés et chiés par un petit animal sauvage.

À Bali, le café fait partie du paysage. Si vous êtes un touriste, on essayera toujours de vous embarquer pour une visite guidée dans une plantation ou on essayera de vous vendre du kopi luwak, le célèbre café local réalisé à base de grains de café fermentés. Grains de café qui ont été partiellement digérés et chiés par un petit mammifère tout mignon qui ressemble un peu à une belette.

La première fois que j'ai entendu parler de cette spécialité, je dois avouer que je pensais vraiment que c'était un attrape-touriste – mais le jour où je suis venue définitivement m'installer ici, ma curiosité n'a cessé de grandir et il fallait que je sache ce qui se cachait derrière ce mystérieux café.

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Le luwak – que l'on appelle aussi civette palmiste – est un petit mammifère nocturne qui se nourrit des baies bien mûres du caféier. Il est omniprésent dans toutes les plantations de café de Bali. Comme l'organisme de la petite bête ne lui permet pas de digérer complètement le « noyau » de la baie du caféier (le même noyau qui donnera en fait plus tard, le grain de café), il s'en débarrasse en le chiant et délivre par la même occasion la matière première à l'un des meilleurs cafés du monde.

Des baies de caféiers en pleine croissance. Toutes les photos sont de l'auteur.

En bouffant la baie directement sur l'arbre, la civette s'épargne la corvée de devoir décortiquer totalement la cerise de café pour extraire le grain de la chair. Le café que l'on extrait grâce à ce grain partiellement digéré, est supposé moins amer – en partie grâce aux enzymes contenues dans le système digestif de la civette.

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C'est la raison pour laquelle une tasse de kopi luwak atteint la cinquantaine d'euros où que vous soyez dans le monde. Il y a quelques années, la demande pour ce produit a soudainement explosé et pour garantir un volume de production constant, de plus en plus de producteurs de café peu scrupuleux se mettent à chasser les civettes sauvages pour les mettre en captivité et les gaver de baies de café.

Un morceau de merde de civette qui contient, accessoirement, les meilleurs grains de café du monde.

Eddie Sudana, le proprio du Satu Satu café à Canggu n'est pas de ce genre. Ses grains viennent de Pagga, le petit village dans lequel ses parents exploitent deux hectares de terre pour cultiver du café. C'est aussi là qu'il a grandi, dans cette région au climat et au sol volcanique parfaite pour cultiver les caféiers.

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Eddie avait promis de m'emmener visiter la plantation familiale. Ce dimanche matin, quand nous arrivons dans le domaine situé à une heure et demie au Nord de Canggu, c'est sa mère qui nous accueille avant de disparaître dans la cuisine. Un instant plus tard, la voilà revenue avec des tasses d'un café Arabica brûlant et un plateau de bananes.

Eddie's mother

La mère d'Eddie Sudana qui possède une plantation à Canggu.

Cela fait trente ans que les Sudana possèdent cette plantation. Ils sont très fiers de dire que les civettes qui leur servent à produire leur café évoluent en totale liberté.

« C'est de la triche. Je dis toujours à mes parents, 'ne les enfermez pas dans des cages' », me dit Eddie quand je lui demande ce qu'il pense du café obtenu à partir de civettes retenues en captivité.

Tôt dans la matinée, ses parents et leurs employés vont ramasser les crottes de civette. Ensuite, ils les lavent et les mettent à sécher au soleil sur de grands plateaux. Cela prendra deux semaines et heureusement, ça ne sent pas trop mauvais. Une fois séchés, les grains sont envoyés près de Denpasar pour être torréfiés.

Les grains de Luwak en train de sécher au soleil.

La saison de récolte de ce « café-crotte » s'étale de juin à septembre. En moyenne, 13 tonnes sont ramassées. La famille Sudana commercialise ses grains dans trois cafés de la région (y compris celui d'Eddie) et vend aussi une partie de sa production à un marchand de Dubaï via leur site internet.

Afin de bien me montrer la différence entre un kopi luwak « éthique » et son « imitation », réalisée à partir de grains de civettes retenues en captivité, Eddie m'emmène visiter deux plantations voisines. La première est très petite et très sale. Les civettes sont parquées dans de petites cages entreposées dans un couloir sombre. Je m'avance un peu et distingue une petite silhouette en train de dormir. La seconde exploitation est vraiment mieux : les cages y sont plus grandes, installées à l'air libre et pourvues de petites boîtes où les civettes peuvent dormir tranquillement. Mais ça reste une triste vision. Les civettes y sont tenues isolées et les baies de café constituent leur seule nourriture.

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Une civette en cage.

Car le régime d'une civette sauvage n'est pas composé exclusivement de baies de café : elle équilibre son alimentation avec d'autres fruits comme les ramboutans ou les mangues. Les civettes captives, elles, ne peuvent manger que des baies de café. Leur café-crotte est donc de moins bonne qualité.

Il n'existe pas de législation autour de ce business. Impossible donc de savoir si le kopi luwak que vous pouvez trouver vient d'une plantation comme celle des Sudana ou bien d'un élevage douteux. Et malheureusement, il est plus probable de tomber sur des grains issus de civettes en cage.

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Plus tard dans la semaine, je me rends à Satu Satu pour goûter au luwak des Sudana. Si la culture du café est si étendue ici à Bali, c'est à cause de l'influence de l'Australie toute proche. Dans les rues, des cafés décorés à l'occidentale et servant des cafés-crème voisinent les warungs (de petits restaurants balinais) où les plats ne coûtent pas le quart d'une tasse de café. Au café d'Eddie, une tasse de kopi luwak vaut un peu moins de deux euros.

Luwak french press at Satu Satu cafe in canggu, Bali

Le Satu Satu café utilise une cafetière à piston pour préparer le café-crotte.

Le « café-crotte » se sert traditionnellement noir mais le café Satu Satu propose également un kopi luwak dilué au lait, le compromis parfait pour les bule (les touristes). Je choisis la version noire afin de pouvoir vraiment sentir les arômes de ce café exceptionnel. Contrairement à l'Arabica que nous avions dégusté sur la plantation, ce café a un goût très acide. Je laisse l'ami qui m'accompagne finir ma tasse. Finalement, je me demande si, ici, consommer du kopi luwak ne relève pas davantage de la distinction sociale que du goût.

Mais si une civette en a chié pour pondre ce café, alors je peux bien faire honneur à son œuvre.