La survie de l'humanité dépend de son aptitude à manger sa propre merde
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La survie de l'humanité dépend de son aptitude à manger sa propre merde

Oubliez les insectes. L'alimentation du futur sort de votre rectum et il serait temps de considérer vos déjections comme une source valable de nutriments.

Aujourd'hui, un panel de plus en plus conséquent d'experts, dotés des meilleures intentions du monde, aimerait vous convaincre – chiffre à l'appui – que l'avenir de votre alimentation est à chercher du côté des insectes. Ça n'a rien d'inédit puisqu'il y a déjà pas mal de monde sur Terre qui en bouffe. Et ce lobbying actif n'a pas révolutionné les habitudes de consommation. Peu ont pris le train en marche et troqué leur cheeseburger contre des grillons.

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Pourtant, les insectes ont plein de bons côtés. Ils sont bourrés de protéines, de graisses ou de minéraux et produisent nettement moins de déchets ou de gaz à effet de serre que les élevages traditionnels. Leur entretien nécessite aussi beaucoup moins de terres et d'eau.

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Pour toutes ces raisons – et bien d'autres encore – j'ai passé les quatre dernières années à étudier le potentiel nutritionnel des insectes avec mes collègues du Nordic Food Lab à Copenhague. On a goûté des douzaines d'espèces vivant dans plus de dix pays répartis sur les six continents : des rares reines termites du Kenya aux larves de charançon rouge d'Ouganda et du Pérou en passant par les frelons géants et mortels du Japon. La plupart sont des mines nutritionnelles et ont très bon goût. Bref, il y a vraiment un potentiel à exploiter

Je me demande même si on ne pourrait pas – ou ne devrait pas – aller encore plus loin. Pourquoi s'arrêter aux insectes ? Pourquoi se satisfaire de leur rendement quand on peut faire plus ? Ce genre de raisonnement ne mène qu'à une seule conclusion logique : laissez-nous boucler la boucle. Laissez-nous construire une chaîne alimentaire fermée. Laissez-nous manger notre caca.

Cette proposition « excrément » humble n'est pas tirée par les cheveux. Je peux tuer dans l'œuf les doutes et les préjugés. Un des principaux contre-arguments voudrait que nos déjections ne puissent pas constituer, niveau nutrition, un aliment. Comment les déchets produits par notre alimentation pourraient être assez riches pour nous maintenir en vie ? La réponse tient dans sa transformation. En fait, les crottes sont une substance assez complexe. En plus des déchets issus de nourritures absorbées, elles sont composées de substances plutôt utiles : des protéines non-digérées ou non-absorbées, des graisses, des glucides, des micro-nutriments, des vitamines, des minéraux et même des enzymes. On y trouve aussi des fibres, de l'eau, des cellules mortes – des globules rouges ou encore des cellules de la paroi intestinale – et plein de micro-organismes qui constituent la flore intestinale.

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Josh Evans, Andreas Johnsen and Roberto Flore

Josh Evans (au milieu) accompagné d'Andreas Johnsen et de Roberto Flore du Nordic Food Lab au Japon sur le tournage du docu BUGS.

En général, 50 % de l'énergie contenue dans notre alimentation reste dans la matière fécale. Il y a donc potentiellement quelque chose à en tirer. En utilisant le système d'épuration des eaux ainsi que des techniques établies de fractionnement, il est possible – en principe – d'obtenir des composants nutritionnels purs et sains. Ces composants pourraient être combinés à nouveau pour former de nouveaux produits permettant de répondre à nos besoins nutritionnels. Et ces technologies deviendront de plus en plus sophistiquées avec le temps.

Un autre contre-argument s'intéresse au taux de récupération. Imaginons un instant que la matière fécale devienne notre seul aliment : même en supposant que 50 % de l'énergie ingérée n'est pas absorbée par le corps, chaque cycle de digestion va réduire de moitié cette quantité d'énergie nutritionnelle – et dans cette hypothèse, on part du postulat que la matière fécale ingérée contient directement les bonnes quantités de protéines, de graisses et d'autres nutriments essentiels.

Il a bien quelques solutions à proposer ici. La première, qui est aussi la plus viable, est celle des microbes. Comme je l'ai déjà expliqué, nos crottes sont riches en bactéries intestinales et en champignons. Il suffit de cultiver ces composants à grande échelle. Avec plus de recherches, nous pourrons sans doute ajuster leur métabolisme pour qu'ils produisent d'autres composants nutritionnels nécessaires et ainsi générer les 50 % d'énergie manquante dans les crottes.

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Beaucoup reste sceptique quant à l'idée de voir un jour l'espèce humaine se nourrir de ses excréments. Les recherches psychologiques suggèrent pourtant que le dégoût n'est pas inné et peut donc être désappris.

Une autre solution serait d'utiliser des élevages préexistants. Une fois qu'on n'aura plus besoin de manger toutes ces vaches et ces animaux, on pourra les remettre en liberté et il suffira d'aller récolter certaines de leurs déjections pour les transformer de la même manière.

Dans le futur, l'éthique animale et végétale va devenir une question sensible. Les seuls organismes vraiment nécessaires pour notre subsistance seront quelques microbes – qu'on ne peut même pas concevoir comme différents de nous-mêmes puisqu'ils sont déjà en nous. Au final, rechercher les méthodes pour assurer la récupération de 100 % (ou plus) des composants nutritionnels pourrait être un boulot assez divertissant. C'est à ça que sert la Silicon Valley non ?

Même si je démontre qu'un recyclage de vos crottes est possible, il y a un écueil et pas des moindres : c'est dégueulasse. Franchement, qui veut bouffer ses crottes ? Beaucoup reste sceptique quant à l'idée de voir un jour l'espèce humaine se nourrir de ses excréments. Les recherches psychologiques suggèrent que le dégoût n'est pourtant pas inné et que cet acquis pourrait, par conséquent, être désappris.

La seule solution responsable est de produire nous-même nos aliments en nous fournissant directement à la source : notre rectum.

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De nombreux animaux ont d'ailleurs des comportements coprophages – c'est-à-dire qu'ils mangent leurs déjections. Les éléphants, les hippopotames, les koalas, les pandas et d'autres encore naissent avec un système digestif stérile : les petits doivent donc manger les crottes de leur mère pour s'inoculer une flore intestinale adéquate. Les chiens, les lapins, les singes et d'autres animaux ont aussi été observés en train de faire des festins de crotte – les leurs ou celles d'autres espèces (on ne sait pas pourquoi, mais le fait est qu'ils le font).

L'être humain est moins facile. Récemment, il y a eu un débat autour de « l'eau recyclée », celle en provenance des égouts qui passe par tout un système de filtrage et de traitement sanitaire. Bien que cette « eau recyclée » soit bien plus saine que celle du robinet, beaucoup ont refusé de la boire. On observe néanmoins un changement à ce niveau. Si l'on peut retenir une chose de l'histoire de l'industrie alimentaire et du marketing, c'est que changer la forme d'un aliment peut aider les gens à l'accepter. Par exemple, personne n'a de problème avec la farine issue des criquets ou la graisse issue de la mouche-soldat.

En gros, il est possible de faire caca et de le manger. Et c'est ce qu'il faudrait essayer de faire. L'auto-coprophagie n'est pas seulement possible mais c'est aussi la seule option sur le long terme pour l'espèce humaine, éthiquement et écologiquement parlant. Avoir une alimentation diversifiée, c'est compliqué, largement inefficace et un problème sans fin pour la planète.

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La seule solution responsable est de produire nous-même nos aliments en nous fournissant directement à la source : notre rectum. Contrairement à ce que certains technocrates veulent nous faire penser, l'avenir de l'alimentation n'est pas dans les insectes. Parce que le problème est le même pour tous : ces produits doivent se nourrir à une source qui finira par se tarir.

Pourquoi vouloir réformer quand on peut faire une révolution ? Pourquoi attendre sagement notre fin quand on peut s'élever et choisir notre destin ? Mes amis, je vous le dis : l'auto-suffisante absolue est possible, elle est à notre portée. Et elle commence, logiquement, à la porte de sortie qu'est notre anus.

Josh Evans est étudiant à l'Université de Cambridge. Il était l'un des principaux chercheurs du Nordic Food Lab à Copenhague et on peut le voir dans le documentaire BUGS.