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Food

Un journaliste anglais atomise le restau d'un palace parisien

Jay Rayner signe dans le Guardian une des critiques les plus méchantes de l'histoire de la gastronomie et refait le portrait du restaurant Le Cinq de l'hôtel George V.
Alexis Ferenczi
Paris, FR

« Ça devait être un repas sympa dans un des plus célèbres palaces de France. »

Le sous-titre de la critique du restaurant Le Cinq publiée dans la rubrique culinaire de The Observer, le supplément week-end du Guardian, ferait un bon pitch de film catastrophe. Parce que forcément, il annonce que rien ne se passera comme prévu dans la salle à manger du George V.

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Le Cinq, c'est le restaurant trois étoiles au Michelin du palace parisien. Sa cuisine est dirigée par Christian Le Squer, élu chef de l'année 2016 par ses pairs, et qui, selon les mots de l'inspecteur envoyé par le guide rouge, possède « une science et une virtuosité qui ont l'art de savoir se faire oublier ».

De l'autre côté du ring, il y a Jay Rayner, auteur, musicien de jazz et accessoirement, une des plumes culinaires qui comptent de l'autre côté de la Manche. Le second est allé manger chez le premier, confiant à l'idée de découvrir un des « gastros » de la capitale. Bilan ? Une note de 600 euros, des souvenirs « ternes et dérangeants » qu'il tente déjà d'oublier et une critique au vitriol.

Rayner enchaîne les « punchlines », de la salle « décorées avec différents tons de taupe, biscuit et d'allez vous faire foutre » aux plats. Ici une sphérification qui fait penser à un implant mammaire pour Barbie, là un canapé ressemblant « à un préservatif qui serait resté trop longtemps dans la poussière d'une épicerie ».

Pour Sébastien Demorand, il faut remonter à la grande époque des années 1960 ou 1970, pour retrouver des plumes acerbes qui savaient être drôles parce que méchantes, et vice versa

En mode Anton Ego, le méchant de Ratatouille, Rayner dézingue une « bouillie de Saint Jacques dont l'acidité rappelle moins le yuzu que le produit qu'on utilise pour entretenir les pièces en laiton », un plat d'oignons gratinés « à la parisienne » qui est « noir comme un cauchemar et aussi collant que le sol d'un appart après une boom » ou un pigeon demandé à point mais servi « si rose qu'on s'attend à le voir voler après quelques coups de défibrillateurs ».

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Contacté par MUNCHIES, Sébastien Demorand, ancien critique gastronomique du Gault & Millau qui rappelle qu'il ne l'est plus, souligne que si la presse française n'est pas nécessairement plus consensuelle, on ne trouve plus ce niveau de « franchise un peu brutale ».

Pour lui, ce niveau de violence n'existe plus. Il faut remonter à la grande époque des années 1960 ou 1970, pour retrouver des plumes acerbes qui savaient être drôles parce que méchantes, et vice versa. « Chez François Simon ou André Gayot par exemple. »

« Jay Rayner est beaucoup plus cash parce qu'il y a un rapport au métier de journaliste qui n'est pas le même. Les journalistes anglo-saxons n'hésitent pas à y aller franco dans l'expression de leurs opinions car ils défendent aussi cette indépendance auprès de leurs lecteurs », explique celui qui est aujourd'hui à la tête du Bel Ordinaire.

Je constate aussi que ce n'est pas la première fois que la presse anglaise s'attaque de manière aussi virulente à une institution française, souligne François-Régis Gaudry

François-Régis Gaudry, critique gastronomique, est encore plus catégorique. « On n'est jamais à l'abris d'un accident mais c'est un peu trop violent pour être vrai. Je trouve qu'on est dans le lynchage de A à Z. Je constate aussi que ce n'est pas la première fois que la presse anglaise s'attaque de manière aussi virulente à une institution française et qu'elle ne peut s'empêcher de le faire avec une forme de perfidie. »

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« Je ne suis pas un adepte de la critique au lance-flammes. Lui, il y est allé pleine piste à 300 km/h. Ça ressemble àun coup de poignard dans le dos de la part de quelqu'un qui manifeste surtout sa mauvaise humeur. C'est un peu suspect qu'il n'ait vraiment gardé rien de positif. En 18 ans de carrière, il n'a rien mangé de pire ? Son aigreur est assez pathétique », juge l'animateur d'On Va Déguster sur France Inter.

Est-ce que la critique de Rayner aura des répercussions économiques sur Le Cinq ? Du côté du restaurant, qui n'hésite pas à répondre personnellement à chaque mauvaise critique sur TripAdvisor, on préfère ne pas polémiquer. Pas de réaction officielle. En off, on explique que tous les commentaires, positifs ou négatifs sont étudiés dans le détail et qu'il n'y a pas de plan spécifique en cas de critiques au napalm – tout en mentionnant les étoiles au Michelin et la note au Gault & Millau comme garanties de la qualité du Cinq.

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Que s'est-il donc passé ? Jay Rayner s'est-il laissé aller à une petite saillie typique du « french bashing » post-Brexit ? Est-ce qu'il était juste au mauvais endroit au mauvais moment ? L'agence qui gère la communication de l'auteur explique à MUNCHIES qu'il ne s'exprimera pas sur l'affaire. En attendant, il a publié sur son site des photos des plats prises au smartphone et logiquement plus proches de ceux qu'il décrit que les photos fournies par le restaurant.

Rayner ne fait pas une histoire de l'addition, exhibée sur Twitter. « J'ai déjà dépensé ce genre de sommes et je ne l'ai pas regretté. On construit parfois ses meilleurs souvenirs dans des restaurants hors de prix. »