Goldway Snack
© Romain Vennekens pour Vice Belgique.

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Ce que ça fait de tenir le snack le plus populaire de Louvain-la-Neuve

Le Goldway est une institution de la ville et Véronique, sa gérante, une icône indissociable des fêtes étudiantes.
Romain Vennekens
Brussels, BE

Guindaille : belgicisme utilisé pour désigner diverses activités festives estudiantines dont le point commun est la consommation de bière et les chansons paillardes (source Wikipédia).

Toutes les nuits, c’est la ruée vers l’or. Un butin luisant, riche, abordable, qui a pouvoir de satiété. On y vient comme on viendrait en pèlerinage, avec l’espoir d’être sauvé. Encouragé par une devanture aux néons alléchants, on pousse la porte – la netteté du regard diminuée, les pensées troubles, le ventre déjà retourné – en quête d’un peu de réconfort avant de sombrer, d’une dernière bouchée qui pourrait apaiser.

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À Louvain-la-Neuve, le Goldway fait figure d’institution. Sanctuaire au parfum de rêve américain, situé au cœur d’une ville construite comme une utopie, ce temple de la restauration rapide a vu passer les générations. Véronique, sa gérante, est devenue avec les années une icône indissociable de la guindaille. Toujours enthousiaste et vêtue de son impeccable tablier blanc, elle est une veilleuse discrète mais attentionnée, témoin des changements qui affectent la ville, la vie estudiantine et nocturne.

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VICE : Véronique, pourquoi avoir choisi Louvain-la-Neuve ?
Véronique : À la fin des années 1970, je suis venue faire des études de biologie ici. Je pensais alors me destiner à une carrière scientifique. Mais je suis tombée amoureuse. J’ai rencontré le papa de ma fille et on a décidé de travailler ensemble dans le commerce. C’est avec lui qu’on a créé le Goldway. Je suis venue pour les études et l’amour m’a fait rester.

« Pendant 16 ans, on était les seuls à proposer ce type de restauration. Aujourd’hui, tout le monde met des burgers à la carte. »

C’est donc lui qui a eu l’idée de départ ?
Oui, il avait voyagé aux États-Unis et avait pressenti qu’un restaurant de hamburgers pourrait être bienvenu dans Louvain-la-Neuve. Il avait raison. Pendant 16 ans, on était les seuls à proposer ce type de restauration. Aujourd’hui, tout le monde met des burgers à la carte mais nous, cela va faire 30 ans qu’on est là.

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Quand vous avez commencé, vous n’aviez alors aucune expérience ?
Avant, ici, c’était une discothèque, le New Orleans. Mon partenaire tenait le lieu et j’y ai travaillé durant 8 ans. On était dans les années 1980, c’était l’époque de Michael Jackson et de Madonna. La musique était dansante, agréable, on venait chez nous pour se lâcher. C’était de belles années mais ça n’était pas facile tous les jours.

On avait parfois affaire à des gens bagarreurs ou magouilleurs. À un moment, on en a eu marre. On s’est dit qu’on allait ouvrir un autre établissement de manière à ramener nos horaires à la journée et on a créé le Goldway. Finalement, c’est raté ! En étant à Louvain-la Neuve, on a vite remarqué qu’on se devait d’ouvrir la nuit.

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Vous travaillez souvent jusqu’à la fermeture ?
Au moins 5 jours par semaine, oui. Et même si je ne travaille pas la nuit, tous les jours je suis ici. Il faut être là. Il faut quelqu’un qui supervise et qui assure un suivi.

Depuis sa création dans les années 1970, Louvain-la-Neuve n’a cessé de s’agrandir. Comment la ville a-t-elle évolué ?
Jusqu’il y a quelques années encore, Louvain-la-Neuve était une ville presque exclusivement étudiante. À présent, il y a plus de résidents permanents. Cela amène un plus grand brassage de gens mais modifie aussi l’atmosphère de la ville. Il y a de plus en plus de règles qui régissent la guindaille et dictent aux étudiants comment se comporter.

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« J’ai aussi le sentiment qu’avec la communication permanente via internet, les gens sortent moins pour se retrouver. »

Avant, les cercles [ndlr : équivalent d'un BDE] débitaient 20, 30, 40 fûts par soirée ! Ce n’est plus comme ça. Le temps des activités illimitées est révolu. Les cercles doivent fermer à 3 heures du matin, ils ne peuvent plus servir d’alcool fort et les cortèges de baptême ne peuvent plus passer sur la Grand Place ou par la Rue Charlemagne [ndlr : une des rues commerçantes de la ville]. Pas d’œufs, de farine ou de saleté propre aux baptêmes parce que le « beau client » ne peut pas être incommodé, le propriétaire d’un appartement à 400 000 euros ne peut pas être dérangé. Alors on parque les étudiants, on les dirige vers des voies secondaires.

Les choses sont plus sérieuses aujourd’hui ?
En tout cas, la guindaille ne tient plus une place principale pour tout le monde. Les loisirs se sont diversifiés et une plus grosse partie des étudiants n’est plus intéressée par les baptêmes ou les cercles. Ce n’est pas pour autant qu’ils sont tout le temps dans leurs notes mais ils ont d’autres activités. Ensuite, le recteur actuel est très soucieux de porter l’université au rang international, ce qui est louable bien sûr, mais implique des règles plus strictes. Et puis j’ai aussi le sentiment qu’avec la communication permanente via internet, les gens sortent moins pour se retrouver.

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Tout cela vous le ressentez ici aussi ?
S’il y a moins de gens qui sortent, il y a moins de gens chez nous aussi. On travaille vraiment en parallèle avec la guindaille. À 3 h 10, par exemple, c’est vraiment le coup de feu ici. Les soirées se terminent et les étudiants veulent « se faire un Goldway » avant d’aller dormir.

Une marée d’étudiants saouls qui envahissent le lieu, cela demande une certaine capacité de gestion, non ?
On a travaillé en discothèque alors des cas difficiles, on en a traité. Les étudiants, c’est soft comparé à ce qu’on a connu. Parfois, ils exagèrent : ils renversent, ils commencent à vouloir se bagarrer ou ils vomissent en plein milieu du restaurant. Cela nous fâche. Il n’est pas compris dans le prix du hamburger qu’on doive nettoyer.

« Quand il y en a un qui veut faire le malin, je lui dis simplement : qu’est-ce que tu crois que tu vas m’apprendre, là ? »

Comment réagissez-vous quand cela se passe ?
Le plus simple, c’est de leur parler avec diplomatie, de leur faire comprendre que ceux qui viennent ici sont là pour s’amuser, pour manger un petit bout et pas pour se disputer. Avec l’âge, on est aussi plus respecté. À l’ouverture, j’avais 29 ans, on me demandait souvent ce que j’étudiais lorsque je travaillais. Maintenant, quand il y en a un qui veut faire le malin, je lui dis simplement : qu’est-ce que tu crois que tu vas m’apprendre, là ?

Quelles sont les qualités nécessaires pour faire ce métier ?
Je dirais qu’il faut avoir un contact facile et agréable et puis avoir envie de rencontrer l’autre. Les gens viennent te parler de toutes sortes de petits problèmes du quotidien, il faut savoir les écouter. Il faut une certaine poigne aussi.

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Comment décidez-vous qui peut travailler ici ?
Celui qui vient en disant « moi je sais », c’est non. On n’a pas envie de travailler avec quelqu’un comme ça. Il faut du respect. Ce n’est pas parce que le type est étudiant en gestion qu’il va nous dire comment faire. On n’engage pas un directeur, on travaille avec des petites mains qui vont préparer les hamburgers et servir les clients. C’est tout. Et puis, il faut être résistant aussi afin d’assumer le travail de nuit. Pas besoin d’un pantouflard. La restauration est un métier difficile.

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Après toutes ces années, qu’est-ce que ce métier vous a appris sur vous-même ?
Je suis surprise de mon endurance et de ma capacité à travailler des heures et des heures en gardant une humeur positive. Je me rends compte que j’ai bon caractère et cela est une qualité je crois.

Quelle est la chose la plus folle que des étudiants ont faite devant vous ?
Un soir d’hiver, il y a plusieurs années, un groupe de garçons est arrivé à la porte arrière. Ils se sont déshabillés et sont entrés à poil, à la queue leu leu. Ils sont passés devant les caisses, sont sortis, ont couru se rhabiller et sont entrés à nouveau pour commander.

Malgré tous ces excès, vous gardez espoir en la jeunesse ?
Ce n’est pas parce qu’on est turbulent à un moment de sa vie qu’on ne peut pas s’avérer brillant. On est étudiant cinq ans dans une vie, alors il faut que ça soit de bonnes années. Et puis certaines personnes qui sont passées chez nous sont aujourd’hui de grands avocats ou politiciens. Cela nous fait plaisir. Finalement, chacun fait son chemin.


Cet article a été préalablement publié sur Vice Belgique

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