La bière artisanale qui se prenait pour du champagne

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La bière artisanale qui se prenait pour du champagne

On est allé à Pantin visiter les locaux de La Parisienne, fer de lance de la binouze « haut de gamme ».
Alexis Ferenczi
Paris, FR

Pour le profane, la bière est le gasoil des alcools. Un truc économiquement abordable qui mène, sans trop de détours, à l'autoroute de l'ivresse. En canette ou en bouteille, en pack ou en solo, à la pression ou sans, la bière vous accompagne toute l'année, plus fidèle au poste et beaucoup moins élitiste que n'importe quelle quille de pinard.

L'entrée des locaux de La Parisienne à Pantin

Ces derniers temps, un phénomène s'est pourtant amplifié dans le paysage des liquides houblonnés : celui de la bière « cool ». Ce qui pourrait paraître un oxymore découle en fait de plusieurs facteurs dont l'avènement en France de la scène « craft » – des bières artisanales produites par des microbrasseries.

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Ce mouvement bouleverse les codes traditionnels du marché de la binouze, rompant notamment avec l'offre standardisée et industrielle. Ici, la bière est brassée localement avant d'être écoulée dans les caves et les bars spécialisés.

Elle n'est plus l'apanage des piliers de bar. La preuve ? Vous avez forcément un pote qui, sans être vissé au zinc, peut réciter les différences entre une Pils et une I.P.A. ou vous saouler jusqu'à ce que vous goûtiez une bière au sorgho.

Ce succès n'a pas échappé à Jean-Barthélémy Chancel. Quand il décide de se lancer dans le business en 2014 et de lancer la brasserie artisanale La Parisienne dans le XIIIe arrondissement à Paris, ce fils de vignerons a déjà 15 ans d'expérience dans le champagne et une microbrasserie dans le Lubéron. Depuis, Jean-Barthélémy a traversé le périph' pour s'installer à Pantin.

En champagne, j'ai fait 15 millésimes. Dans la bière, en 4 ans et avec deux brasseries, on en est déjà à 800 brassages

« Avant, on était dans un ancien garage Opel. Quand on a commencé, c'était un peu le système D. 500 m2 sous terre. Ça devenait invivable donc on a déménagé à Pantin. On a tout démonté puis remonté, en découpant comme un gâteau certaines cuves qui ne passaient pas. C'était une galère sans nom », raconte-t-il en balayant d'une main l'immense hangar, ancienne usine de compresseurs, peuplé de cuves et de palettes.

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C'est là que La Parisienne est brassée. La production est divisée en plusieurs gammes : une classique (blanche, blonde rousse et brune) et une plus « créative » où l'on retrouve des stouts, des ales et même une barley wine infusée à l'armagnac.

Jean-Barthélémy explique être passé des bulles de champ' aux bulles de bière par passion : « En champagne, j'ai fait 15 millésimes, ce qui est beaucoup pour mon âge notamment parce que j'ai commencé très jeune. Le retour sur expérience est très long. Dans le vin, il faut parfois attendre jusqu'à 6 ans pour voir ce qu'on a fait. Dans la bière, en 4 ans et avec deux brasseries, on en est déjà à 800 brassages. En champagne, quand on s'amuse avec une cuve, on joue avec 200 000 euros. Dans la bière, si ça ne marche pas, ce n'est pas très grave. C'est un domaine qui pousse plus à l'innovation que le monde du vin. »

Pour produire les cuvées de Parisienne, Jean-Barthélémy a pourtant gardé une recette traditionnelle venue du monde du vin : la méthode champenoise qui consiste à fermenter la boisson en bouteille. « C'est un procédé classique dans le monde brassicole », explique-t-il. « La bière est le fruit d'une triple fermentation. Deux fois en cuve et une dernière fois après l'encapsulage. »

Si La Parisienne s'écarte du monde de la « bière craft » dans les domaines de la simplicité ou de la convivialité, elle le rejoint dans les tentatives de mélanges

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Pour Jean-Barthélémy, la bière est un monde infiniment plus technique que le vin. « Comme les cépages pour le vin, vous avez des centaines de céréales différentes. Ici, on a en permanence une palette de 30, certifiées bio. C'est comme si vous aviez 30 cépages différents. Et vous avez énormément de paramètres avec lesquels vous pouvez jouer pour changer des choses qu'un consommateur lambda pourrait ne pas reconnaître mais qui permettent de nous améliorer constamment. »

Pour savoir si La Parisienne fait vraiment partie de cette scène de la bière artisanale parisienne, au même titre que la Montreuilloise ou la Brasserie de la Goutte d'or, on est allé demander à Laurent Cicurel, fondateur du bar à bières La Fine Mousse. « Le monde de la bière artisanale à Paris est divisé en plusieurs catégories. Il y a les précurseurs comme Gallia ou Demory, qui ont ce côté un peu 'école de commerce' mais qui se sont ensuite plongés dans les arcanes du brassage. Les brasseurs amateurs, qui ont plaqué des boulots pour assouvir leur passion comme à la Brasserie de la Goutte d'or. »

Pour Laurent, si La Parisienne s'écarte du monde de la « bière craft » dans les domaines de la simplicité ou de la convivialité, elle le rejoint dans les tentatives de mélanges. « Ils font par exemple une double I.P.A. infusée au thé. Et comme les autres, ils s'intéressent avant tout aux produits. »

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Jean-Barthélémy, qui entre-temps s'est lancé dans une histoire accélérée du brassage dans le monde, de l'Antiquité à nos jours, ne dit pas le contraire. La Parisienne est un produit « haut de gamme » qu'on peut trouver aussi bien au Bon Marché qu'à Paris Saint Bière. Et elle a quelques soutiens de poids : « Aujourd'hui, on bosse pas mal avec des chefs. Après avoir créé la recette, c'est intéressant et agréable de voir quelqu'un venir nous dire que ça pourrait très bien se marier avec tel plat. »

La Parisienne, comme les autres bières artisanales, ne remplacera jamais les Chouffes, les Despé' et les pintes de blonde coupées à la sciure qu'on a l'habitude de descendre, mais elle trace tranquillement son sillon depuis Pantin, s'immisçant progressivement dans votre quotidien.