À la table du Nouvel an chinois

FYI.

This story is over 5 years old.

Food

À la table du Nouvel an chinois

Chaque année, 332 millions de Chinois montent dans des trains bondés pour fêter le Nouvel an lunaire en famille. Pour la première fois, j'allais faire partie du voyage.

Il y a deux semaines, je me suis retrouvée malgré moi au milieu de la plus grosse marée humaine du monde : je tentais désespérément d'acheter un billet de train à la dernière minute, dans le pays le plus peuplé du monde, à quelques jours de la fête nationale la plus importante de l'année. Et j'étais là, assise sur ma valise au milieu de la gare de Shanghai, complètement hypnotisée par toute cette foule en transit autour de moi.

Publicité

Car chaque année à la même période en Chine, c'est la même histoire : environ 332 millions de Chinois – l'équivalent de presque cinq fois la population française – montent dans des trains bondés pour retourner chez eux en famille et participer aux festivités du Nouvel An Chinois. 332 millions, on parle seulement du nombre de Chinois qui vont prendre le train. Mais en tout, c'est presque trois milliards de voyages qui sont prévus à cette période dans le pays pour l'occasion. Trois milliards, c'est plus que le nombre total de Chinois, mais ce chiffre comprend aussi les gens qui débarquent des pays voisins : Malaisie, Singapour, Taïwan. Pour beaucoup, ces quinze jours de vacances sont le seul moment de l'année où ils verront leur famille. Et c'est surtout l'occasion de se remplir le ventre de spécialités aux ingrédients tous très symboliques.

box-full-of-food-gifts_24251047093_o

Des cagettes de nourriture qu'on offre en cadeau lors de la Nouvelle Année Lunaire. Toutes les photos sont de l'auteur.

Il existe un proverbe en mandarin qui revient souvent dans la bouche des chinois à cette époque de l'année : « rén shān rén hǎi », c'est-à-dire « montagne humaine, mer humaine » – c'est exactement l'image que renvoie la Hongqiao Railway Station de Shanghai.

Je n'avais jamais vu autant de monde réuni au même endroit, dans un même bâtiment. C'est une masse uniforme de cheveux noirs, de valises et de cagettes de nourriture, à perte de vue. Les gens s'accrochent à leurs paniers pleins de mandarines et de produits alimentaires sous vide : autant de grosses cuisses de cochon et de canards entiers qui se disputent la priorité. De par leur forme ronde, les oranges et les mandarines symbolisent l'unité de la famille. Les gâteaux de riz – cuits le jour même, très populaires dans le sud de la Chine – sont souvent offerts en cadeau. On appelle ça des Nián gāo, littéralement des « Gâteaux de la Nouvelle Année », et pour cette spécialité, il existe aussi un proverbe : « Nian nian gao gao », ce qui signifie « Grandir en âge et en vertu ».

Publicité
homemade-sausages-at-nanxun_24784681221_o

Saucisses faites maison à Nanxun.

J'ai beaucoup d'affection pour l'atmosphère des fêtes du Nouvel An chinois. En tant qu'Américaine issue de l'immigration chinoise, cela a toujours été relativement simple de me réunir avec ma famille à cette période de l'année et je suis admirative des efforts que déploient ici certains. Je n'ai pas l'habitude non plus de goûter à des spécialités culinaires dont chaque ingrédient porte une signification particulière.

Quand on fête la Nouvelle Année Lunaire à Los Angeles avec mes parents, on se contente de préparer une simple fondue : on met à bouillir pas mal de bouillon et on y fait cuire de la viande, des légumes et des boulettes de poisson. Ensuite, mon père et ma mère nous offrent une enveloppe rouge pleine de billets à mon frère et à moi, et voilà. Je n'avais jamais eu à devoir me frayer un chemin dans une masse de gens informe dont le seul but est de rentrer à la campagne pour les fêtes. Je n'avais jamais eu à préparer tout un festin de spécialités traditionnelles moi-même. J'étais tout d'un coup super-impressionnée. Et je me rendais compte que le foyer de la famille Wei était finalement, assez fainéant.

LIRE AUSSI : Pas de baguettes dans les restaurants du Paris made in China

Dans la semaine qui allait suivre, j'allais prendre trois trains et deux bus pour festoyer avec deux familles différentes. À chaque fois, ils allaient préparer tout un festin à partir de rien.

sherrys-grandmother-at-jinhua_24851811356_o

La grand-mère de Sherry à Jinhua.

Le repas le plus important des festivités du Nouvel An Chinois est celui du Réveillon. Cette année, c'est tombé le soir du 7 février. Les Chinois commencent à préparer le dîner une semaine à l'avance. Deux jours avant le Réveillon j'étais à Jinhua, une petite ville de la région du Zhejiang, à 470 kilomètres au sud de Shanghai. C'est là que mon amie Sherry Zhen habite – elle m'avait invité dans sa famille pour une après-midi de préparatifs. Dans le patio de la maison, les différentes pièces de viande d'un cochon démembré n'ont pas manqué d'attirer mon attention. La tradition veut que l'on fasse mariner la poitrine de porc dans de la sauce soja avant de la suspendre pour la faire sécher. La peau des poissons, quant à elle, est salée avant d'être séchée. Dans l'un des coins du patio trônait une bassine d'eau et dans cette bassine vivaient deux poissons encore bien vivants – le poisson frais est un must en Chine. En mandarin, le poisson se dit et il inspire un proverbe qui dit : « Nián nián yǒu yú », littéralement, « Il y aura des restes pour la prochaine année ». Sur la table de cuisine, il y avait déjà un saladier plein de boulettes de viande. C'est l'oncle de Sherry qui les avait faites : « Les boulettes sont rondes, on appelle cela yuán », m'a-t-elle expliqué. Pour les boulettes, le proverbe dit : « Tuán tuán yuán yuán », ce qui signifie « Réunion familiale ».

Publicité
sherrys-house-pig-parts-fish_24784764541_o

Des morceaux de porc, des poissons et un canard suspendu chez Sherry.

Mais regarder toute cette nourriture pendant si longtemps m'a donné très faim. Quand mes parents sont partis de Taïwan pour les États-Unis, ils ont laissé un peu de toutes ces traditions culinaires derrière eux. Dans ma famille, personne ne sait vraiment comment faire une saucisse, plier un wonton ou sécher un morceau de porc. Chez Sherry, tout le monde sait le faire.

Toutes les générations se retrouvent ici chaque année sous son toit ; tout le monde prend deux semaines de vacances pour l'occasion. J'ai rencontré la tante de Sherry, son oncle, sa grand-mère, sa mère. Et on s'est tous mis à faire des wontons. C'est une tradition dans beaucoup de familles chinoises du sud ; au Nord, on consomme d'avantage des raviolis. Les wontons et les raviolis ressemblent à de petits lingots d'or, et du coup les gens pensent que si l'on en mange au Nouvel An, l'année sera bonne. La grand-mère de Sherry enchainait les petits lingots mais les autres l'ont forcé à ralentir la cadence : à 91 ans, il faut la ménager.

La mère et l'oncle de Sherry ont commencé par hacher, assaisonner et faire cuire la viande. Ils m'ont expliqué fièrement qu'ils connaissaient l'origine de tous leurs produits. Le cochon était un cadeau d'un collègue, les gâteaux de riz venaient de la ville d'à côté, l'enveloppe des wontons avait été préparée par un ami de la famille et les légumes avaient été cultivés dans leur propre potager. Quand ils cuisinent chez eux, les Chinois accordent beaucoup d'importance à l'origine des produits. En Chine, les marchés locaux restent très populaires : on y va acheter sa viande et ses légumes et tout le monde a ses vendeurs préférés.

Publicité
jinhua-wonton-making_24851841876_o

La fabrication des wontons.

Pour le soir du Réveillon, j'ai tracé 265 kilomètres plus au Nord, dans la petite ville de Nanxun. C'est une ville très ancienne, pleine de canaux et de rues pavées. J'ai rejoint mon amie Christine Liu qui avait été invitée à venir passer les fêtes par des membres éloignés de sa famille. Elle leur a demandé si je pouvais me joindre à eux, et voilà comment je me suis retrouvée chez eux.

Le repas était somptueux. Il a débuté par une série de quinze plats et il s'est conclu par une fondue. Tout avait été fait maison, à la main. La symbolique des plats était à son apogée. Prenons par exemple les racines de lotus fourrées au riz gluant : la racine du lotus a la texture filandreuse d'un okra, du coup, on dit « ǒu duàn sī lián », ce qui veut dire que même si la racine se rompt, les fibres maintiennent l'ensemble. C'est donc une métaphore des liens familiaux qui ne se cassent pas malgré la distance entre les proches.

nanxun-water-town_24251216583_o

La ville d'eau de Nanxun.

Les raviolis sont faits avec des œuf, symbole d'or et de chance. Un poisson servi entier représente l'abondance. Les crevettes rappellent le son du rire. Il y a aussi beaucoup d'oeufs marinés sur la table ; encore une fois, leur rondeur symbolise l'unité de la famille. L'une des célébrations du Nouvel An Lunaire consiste à accueillir le printemps, il est donc normal de retrouver des rouleaux de printemps sur la table. En guise de dessert, on a goûté à un bābǎofàn, littéralement : un « gâteau de riz aux huit trésors ». Lui aussi est rond, ce qui rappelle le terme chinois de « plénitude » et qui marquait ici, le souhait de cette famille à rester unie dans l'année à venir. C'est aussi le premier terme qui me vient en tête pour décrire la sensation que j'ai eue en sortant de ce festin.

Publicité
spring-roll-nanxun_24877891645_o

Des rouleaux de printemps.

Après le dîner, tout le monde s'est installé devant la télé pour regarder le Gala du Nouvel An de CCTV. C'est l'émission la plus regardée au monde. Avec ses 700 millions de spectateurs, le programme rassemble six à sept fois plus de monde que le Super Bowl. Je me suis senti alors toute petite en pensant à la taille gigantesque de la Chine et au nombre de tables qui venaient de finir de manger tout comme nous. À partir de minuit, et pour les trois heures qui ont suivi, j'ai dormi par intermittence. J'avais l'impression que la ville dans laquelle je me trouvais était en train d'être bombardée.

Ce n'est quand regardant par la fenêtre que j'ai pu admirer le spectacle : la ville entière était illuminée par des feux d'artifice et des tirs de pétards.

Et d'un coup, j'ai un petit peu le mal du pays. J'étais en train de passer le meilleur Réveillon Lunaire de ma vie et c'était la première fois que je le passais en Chine. Je n'avais jamais mangé autant de symboles en une seule fois. Je vivais un vrai rêve de reporter culinaire.

stewed-egg-nanxun_24784487181_o

Les œufs marinés.

Mais il me manquait quelque chose.

J'ai envoyé un message à mes parents qui étaient restés à Los Angeles pour leur souhaiter la bonne année. Quelques secondes plus tard, un message de mon père s'est affiché sur mon téléphone en retour. J'ai cliqué : c'était une enveloppe rouge digitale qui renfermait un peu d'argent.

Et d'un coup, ça allait mieux.

boy-walking-around-with-lanterns-in-nanxun_24851799886_o

Clarissa Wei est en plein road-trip à travers la Chine. Elle a prévu de s'arrêter dans toutes les régions du pays pour goûter aux spécialités locales. Vous pouvez suivre ses aventures sur Facebook.

Cet article a été initialement publié sur MUNCHIES France en janvier 2016.