Le pâtissier japonais qui marquait ses gâteaux au fer rouge

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Le pâtissier japonais qui marquait ses gâteaux au fer rouge

Le temps d’un petit creux, j’ai tracé à la rencontre de chef Takanori Murata, l’un des rares maîtres de la pâtisserie nipponne à officier dans la capitale.

Longtemps, j'ai cru qu'il n'existait rien d'autre que la pâtisserie française. Longtemps, j'ai pensé que seuls les macarons Ladurée et la crème Chantilly made in France pouvaient suffire à sustenter mon appétit insatiable de bec sucré. À ma décharge, quand on vit dans l'Hexagone, impossible de passer à côté des traditionnelles boulangeries-pâtisseries qui tiennent fièrement boutique à tous les coins de rue. Face à une telle omniprésence des commerces de dessert à la française (le site Yelp en référencie plus de 3 200 pour Paris seulement), force est de reconnaître qu'on n'a pas tous les jours l'occasion de s'ouvrir les papilles et diversifier ses horizons.

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Takanori Murata, le chef pâtissier de chez Walaku.

Il était grand temps que je m'ouvre aux possibles du monde de la pâtisserie. C'est en sortant de la projection de Les Délices de Tokyo – un film qui sort en salle mercredi et qui raconte l'histoire d'une adorable petite mamie et de sa passion pour les gâteaux traditionnels japonais – que j'ai fait deux découvertes qui allaient changer ma façon d'appréhender les desserts. D'abord un constat : non, tout le monde n'a pas grandi en se gavant de Merveilleux de Fred et de brioches parisiennes. Au Japon, par exemple, les enfants qui sortent de l'école se gavent de dorayakis, et les salons de thé ne servent pas des chocolats, comme ici, mais plutôt des wagashis (ces petites mignardises japonaises traditionnelles que l'on consomme dans l'archipel depuis l'époque de Nara). Et puis en filigrane, une révélation : la pâtisserie japonaise est un artisanat des plus fascinants qui touche autant celui qui la mange que celui qui la fait.

Le temps d'un petit creux, j'ai donc tracé chez Walaku, l'un des rares salons de thé de la capitale où l'on peut goûter au meilleur de la pâtisserie nipponne.

Walaku est assez unique en son genre. Son atmosphère, à la fois authentique et un peu austère, tranche avec les autres lieux du wagashi à Paris. Dans ce salon de thé de poche (seulement huit couverts), le décor est traditionnel et la lumière tamisée se prête plutôt bien à la dégustation des fameuses délicatesses japonaises. Une ambiance feutrée et intimiste qui – si l'on se fie aux dires de Jun'ichiro Tanizaki dans l'Éloge de l'Ombre – serait l'une des composantes de la gastronomie japonaise. Une cuisine qui « s'accorde avec l'ombre » et qui prête une attention extrême à la vaisselle employée, censée révéler la « nature mystique, avec même un petit goût zennique » des plats. Cette préférence nippone pour l'obscur est ce qui expliquerait en partie pourquoi le glacé des gâteaux français ne se retrouve pas dans la pâtisserie japonaise traditionnelle, qui privilégie plutôt les reflets profonds et les textures poudreuses.

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Takanori Murata, le chef pâtissier qui officie ici, réalise les pâtisseries en salle au rythme des commandes pendant que son assistante, Yoshiko Kobayashi, s'occupe du thé. Les wagashis présents à la carte sont choisis en fonction du cycle des saisons – sur des bases symboliques, mais aussi selon la disponibilité des ingrédients. En hiver par exemple, le ton vert, la forme triangulaire et les trois traits du tokiwa-jyoyo rappellent les sapins et leurs épines. Le hanabira-mochi, un mochi agrémenté d'une lamelle de racine de bardane confite, se déguste spécialement pour le Nouvel An. En mars, on pourra trouver des mochis à base de farine de fougère. Malgré tout, quelques ingrédients reviennent sans cesse –le plus marquant étant l'an, une pâte de haricots rouges légèrement sucrée et qui constitue le cœur des wagashis.

Il y a des incontournables de la pâtisserie française dont la pâtisserie japonaise traditionnelle est dépourvue : la farine de blé, les œufs ou le sucre blanc, par exemple. À ce titre, le dorayaki est une spécialité de wagashi qui fait exception : cette spécialité consiste en deux petits pancakes (dont la pâte est dépourvue de bulle d'air, contrairement aux pancakes américains) et fourrés d'une grosse dose de pâte de haricot rouge sucrée. Cette douceur montre bien les apports que l'étranger– l'Occident en l'occurrence– peut introduire dans la pâtisserie japonaise. Le dorayaki, la véritable star du dernier film de Naomi Kawase dont je vous parlais plus haut, est une douceur qui se déguste tantôt pour accompagner le thé, tantôt comme une « nourriture de rue ». Toutefois, les Japonais ne la grignoteraient jamais en marchant (quelque chose d'impensable au Japon) – à la place, ils préfèrent s'asseoir sur un banc au coin d'une rue et le manger avec du lait en guise de goûter.

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Le savoir-faire des wagashis s'exprime à la fois dans la maîtrise des gestes ancestraux qui permettent de façonner les pâtes de chaque pièce et dans les finitions : certains mochis sont passés au chalumeau, d'autres encore sont « marqués »au fer –yaki-in en japonais. Cette touche finale est l'une des choses les plus impressionnantes qu'il m'a été donné de voir en pâtisserie : en observant Takanori Murata faire, j'associais ses gestes à ceux d'un samouraï marquant son cheval au fer rouge ou, plus raisonnablement, à ceux d'un potier apposant sa signature sur une pièce.

Les fers en question sont – au même titre que la théière – des objets uniques faits sur commande par des artisans au Japon. Chacun porte le sceau d'une image plus ou moins traditionnelle et leurs prix varient entre 200 et 500 euros, en fonction de la taille. Il faut avouer que c'est autre chose que les tampons à cookies foireux que l'on trouve un peu partout sur internet.

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Les différents fers au choix : fleur de cerisier, tour Eiffel, idéogramme « félicité », Arc de Triomphe, libellule, chrysanthème, feuille d'érable et encore une autre fleur.

Au Japon, la pâtisserie se distingue clairement entre deux branches : la pâtisserie d'inspiration occidentale, que l'on appelle « yogashi », et la pâtisserie traditionnelle, appelée « wagashi ». Cette dualité se retrouve dans les origines même de Takanori-san, le chef pâtissier de chez Walaku : dans sa famille, on fait des pâtisseries traditionnelles japonaises de génération en génération mais son grand-père s'était spécialisé dans les pâtisseries occidentales. Takanori, quant à lui, a choisi la voie authentique. Mieux, il a aussi décidé de l'exporter. Le salon Walaku est devenu son lieu d'expression, l'endroit idéal pour faire découvrir et déguster la culture japonaise. Ici effectivement, le caractère dépouillé de l'endroit invite à se concentrer sur ce que l'on s'apprête à manger. La physionomie, la texture, l'absence d'odeurs fortes se dégageant des gâteaux : il s'agit véritablement d'un autre monde des desserts dans lequel un certain raffinement est à l'œuvre.

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Si la cuisine française se nourrit d'alliances entre mets et vins, la pâtisserie japonaise traditionnelle s'apprécie en dialogue avec les thés, dont les parfums et les saveurs contrastent avec la douceur des wagashis. Les pâtisseries sont d'ailleurs des éléments incontournables de la cérémonie traditionnelle du thé au Japon. Cette manière de déguster le thé, très codifiée, s'est développée après l'introduction de la plante au Japon depuis la Chine. Les moines bouddhistes zen se servaient alors des wagashis pour symboliser la nature éphémère qu'ils vénéraient et accessoirement, comme autant d'en-cas nutritifs pour sustenter leur régime alimentaire végétarien.

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Les différents thés servis : un thé grillé, un thé vert et un thé aux grains de riz torréfiés.

Le plaisir de ces pâtisseries ne réside pas que dans les papilles mais aussi dans le dépaysement culturel qu'elles provoquent pour les palais occidentaux. L'initiation à la cérémonie du thé et aux douceurs qu'elle réserve devient alors une fenêtre vers une autre esthétique et permet de s'ouvrir à d'autres saveurs. Les wagashis permettent de croquer dans autre chose que des sushis et des ramens mondialisés et standardisés – c'est en ce sens qu'ils sont bien loin des standards populaires de la cuisine japonaise actuelle.

En sortant de chez Walaku, je me suis sentie repue de toute la sagesse ancestrale qui entoure la dégustation des wagashis. Bouchée après bouchée, je me suis laissée envahir agréablement par tout la puissance zen à l'œuvre dans ces petits concentrés de bonheur nippons… une saveur à ma connaissance introuvable dans un macaron.

Tous les visuels sont de l'auteur.