J’ai 28 ans et je ne sais toujours pas danser
Illustration : Pierre Thyss

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La vie, ça va passer

J’ai 28 ans et je ne sais toujours pas danser

« Tu ne veux pas mettre du son qui bouge un peu ? » Non.
Paul Douard
Paris, FR

Je me suis toujours demandé pourquoi les gens dansent. Si on exclut d’emblée une possible prise de drogue ou une quelconque volonté artistique, gesticuler avec ses amis autour d’une table basse me paraît être la chose la plus absurde qui soit. Mais le fait est que les gens dansent. À chaque nouvelle soirée, je redoute ce moment où quelqu’un va prononcer la phrase « j’ai envie de danser », ou pire, l’infernale apostrophe « tu ne veux pas mettre du son qui bouge un peu ? ». Systématiquement, cela provoque chez moi un dégoût comparable à une remontée gastrique inopinée. Si je redoute tant cet instant où je vais devoir choisir entre m’exclure et m’humilier, c’est tout simplement parce que je ne sais pas danser. Je n’ai jamais su. J’ai pourtant essayé. Mais jusqu’à aujourd’hui, mon corps continue de m’abandonner lâchement à chaque fois que la musique monte d’un cran et que les gens lèvent les bras en l’air.

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Mes années collège ont vu naître mes premières soirées – ou « boum », puisqu’il n’y avait ni alcool, ni relations sexuelles et qu’elles n’étaient rien d’autre que des après-midi dans des garages. Alors que le moment de danser avec une fille se profilait, je restais bêtement prostré sur ma chaise en plastique, implorant la puissance divine de me sortir de cette situation. Elle n’a jamais répondu, me laissant souffrir seul, comme un con. J’ai du ainsi me résoudre à regarder Marie, une fille bien trop belle pour moi, danser avec un type qui est aujourd’hui dentiste. Je ne savais pas quoi faire de mon corps qui jusque-là s’avérait pourtant être parfaitement fonctionnel. C’est donc à 14 ans, sous une boule lumineuse tournante et encerclé de nappes en papier bleu cyan, que j’ai compris que je ne savais pas danser. Et que j’allais devoir porter ce fardeau sur mes épaules durant le restant de mes jours. Si le futur laisse espérer plein de choses enthousiasmantes - la climatisation dans le métro - les gens continueront malheureusement de danser. Et moi, je serais encore assis sur cette chaise à voir des filles comme Marie se marier avec des dentistes.

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Le truc avec la danse, c’est que je n’ai jamais compris comment faisaient ceux qui sont à l’aise dans l’exercice. Qu’importe leurs gestes, ils semblent s’inscrire dans une chorégraphie parfaitement orchestrée. Ils agitent leurs membres supérieurs vers le ciel et opèrent une élégante flexion de leurs membres inférieurs, pile au moment idéal. Ils sont la musique. Quant à moi, mes mouvements s’apparentent plus aux va-et-vient d’un sac poubelle porté par le vent sur le parking d’un Super U. Alors, j’ère sur le dancefloor, ne sachant pas où me placer, qui regarder ou quand arrêter. Je n’ai aucune idée de ce qu’il faut faire et je termine inévitablement par m’asseoir dans un coin, feignant de « terminer mon verre » - comme à mes 14 ans. J’ai essayé plusieurs types de soirées, avec plusieurs types de musiques. Naïvement, je pensais que certains styles seraient plus faciles à appréhender que d’autres. Ce n’est pas le cas. J’ai d’ailleurs remarqué que la plupart des gens dansent de la même façon quel que soit le type de musique, ce qui me laisse penser qu’il y a là un espoir d’y arriver un jour.

Refusant de quitter ce monde sans avoir réussi quelque chose qui semble naturel pour la plupart des êtres humains, j’ai utilisé internet. Sur la chaîne YouTube « Comment bouger » se trouve une vidéo sobrement intitulée « Tutorial : Comment danser en boite de nuit - Cours débutant homme - Danser Social », où un homme hologramme pratique des mouvements robotiques très simples censés représenter une danse pratiquée en boîte de nuit. Mais cela m’a surtout rappelé pourquoi je ne vais jamais en boîte de nuit. J’ai ensuite atterri sur une seconde vidéo intitulée cette fois « Comment danser en rythme - Atelier "Je ne sais pas Danser" », où un homme portant un casque de téléopérateur Cofidis assure que « pour danser en rythme, il faut compter les temps de la musique ». Cela m’a semblé trop complexe. Et puis, cette personne ressemblait à Julien, ce type qui apparaît sur mon écran dès que je cherche à télécharger un film et veut m’apprendre à gagner 7000 euros par seconde.

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Ces vidéos ne m’ont pas aidé. Car elles ne répondent pas à la question qui m’obsède : pourquoi, moi, je ne sais pas danser. Selon les travaux de Robert Zatorre – professeur de neuroscience à l’université McGill – avoir le rythme dans la peau résulterait, d’une part d’une prédisposition génétique et de connexions neuronales, d’autre part de l’influence culturelle et familiale. De toute évidence, les connexions neuronales de mon cerveau ne se font pas et mes parents ne m’ont jamais appris à danser – sans doute parce qu’ils détestent ça, eux aussi. Voilà pourquoi Marie et moi ne pouvions finir ensemble. Contrarié, j’ai fini par me rendre à l’évidence que la seule solution pour me libérer des chaînes de la pression sociale liée à la danse serait de me défoncer le crâne. Si cette idée peut sembler apocalyptique (n’oubliez pas que je ne me drogue pas), elle est pourtant née du constat que la plupart des gens que je vois danser sont tous sous l’emprise de produits qui nécessitent une ordonnance ou un dealer. Mais avant de me lancer sur l’autoroute de la destruction, j’ai demandé un ultime conseil à mon collègue Pierre Thyss. Peut-on danser, et a fortiori s’amuser, tout en étant sobre ? Après une courte réflexion, il m’a simplement répondu : « Oui ».

Quand Paul ne pense pas à Marie, il est sur Twitter .