coronavirus boulimie cov-19
Par Nelly Kovalchuk
Santé

Confiné avec sa boulimie et ses placards remplis de bouffe

« Quand j'ai vu que les rayons se vidaient sur Internet, je me suis précipité dans mon supermarché pour faire le plein. S'il n'y a pas pile la marque que je veux, je ne peux tout simplement pas manger »
Justine  Reix
Paris, FR

Parmi ceux qui se sont précipités dans les supermarchés, suite à l'annonce du confinement d'Emmanuel Macron, se trouvaient de nombreuses personnes souffrant de troubles du comportement alimentaire. Mélanie*, boulimique vomitive et originaire de Dijon, a fait de nombreuses courses en prévision de la quarantaine. Elle est régulièrement prise de crises durant lesquelles elle consomme le plus de nourriture possible en une dizaine de minutes. Peu de temps après, tout ce qu'elle a ingéré termine dans les toilettes, où elle se fait vomir au minimum deux fois par jour.

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Dans ses placards, il y a beaucoup plus de victuailles que d'habitude. « J'ai essayé de faire pas mal de stock de pâtes, de conserves, de céréales et de fromage. Ce sont les produits que je consomme le plus lorsque je suis en crise et j'avais vraiment peur de manquer »; raconte-t-elle. C'est la première fois que la jeune femme de 28 ans se retrouve dans l'incapacité de pouvoir faire ses courses autant de fois qu'elle veut. Elle achète donc en grosse quantité dans l'espoir de ne pas se retrouver à sec : « Je ne sais pas comment je réagirais si je me trouvais en pleine crise sans avoir assez à manger. Je pense que je serais capable d'aller demander quelque chose au voisin. Ce serait tellement humiliant. »

« Je mange encore plus que d'habitude parce qu'il y a plus à manger dans mes placards »

Depuis qu'elle est confinée, Mélanie vit dans cette peur constante du manque. Malgré sa cuisine remplie à ras bord, sa maladie ne cesse de croître et le confinement y est pour quelque chose :
« Je pensais qu'avoir assez de stock me permettrait au moins d'éviter des crises mais finalement c'est pire. Je mange encore plus que d'habitude parce qu'il y a plus à manger dans mes placards. » Pour Mélanie aller au travail était une échappatoire à sa boulimie. À la pause déjeuner entre collègues, elle ne pouvait pas céder à ses crises. Elle se contentait d'un repas qu'elle vomissait, tout de même, juste après.

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À force d'éviter les repas, de compter les calories ou de s'éclipser à la fin d'un déjeuner, les malades finissent par s'isoler socialement. Une situation très dure à vivre qui mène parfois à des comportements à risque de la part des malades, dans l'espoir d'être enfin vus. La jeune femme craint que le confinement n'accentue son TCA (trouble des conduites alimentaires) : « J'ai beaucoup plus de crises qu'avant. »

« Le confinement aura de toute évidence des conséquences sur la santé mentale de tous ceux qui ont des troubles du comportement alimentaire »

Julie Mortimore, psychanalyste spécialisée dans les troubles alimentaires, s'inquiète pour les malades qui ne seraient pas suivis par un médecin, en général, mais surtout durant cette période de confinement : « Le confinement aura de toute évidence des conséquences sur la santé mentale de tous ceux qui ont des troubles du comportement alimentaire. » La psychanalyste reste pour autant positive et voit dans cette période une occasion de faire un point sur sa maladie si on a la chance d'être suivi par un professionnel, bien sûr, et de ne pas péter les plombs.

Pour justement éviter de retomber dans ses travers, Dounia*, boulimique depuis son adolescence, voit régulièrement sa psychothérapeute par Skype. Comme Mélanie, cette Parisienne de 43 ans a fait plusieurs pleins de nourriture depuis l'annonce du confinement, de peur de ne pas avoir assez.
« Mais dès que je suis rentrée du supermarché j'ai tout boulotté car il fallait que je m'en débarrasse. C'était compulsif, je n'ai jamais eu autant de nourriture chez moi, je n'ai pas réussi à le gérer. »

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« On est confiné avec la boulimie pour seule compagnie »

La psy de Dounia lui a conseillé de ne pas se retrouver avec un trop grand stock de nourriture et de surtout se faire un planning d'alimentation. « Quand on est boulimique, on mange souvent à n'importe quelle heure de la journée. Vu que je suis chez moi, c'est encore plus le cas, je n'ai plus le cadre que mon travail m'imposait. » Sur son frigo, elle a donc affiché un tableau avec des heures fixes où elle s'autorise à manger : un petit déjeuner à 9h, un déjeuner à 12h, un goûter à 15h, un pré-dîner à 18h et un dernier à 21h. Pour tous les malades, le plus dur reste la solitude. « On ne peut pas sortir s'aérer l'esprit. On est confiné avec la boulimie pour seule compagnie. »

Ce confinement pourrait accentuer les comportements à risque selon la psychanalyste Julie Mortimore : « Si une personne souffre de boulimie et se retrouve à sortir acheter de la nourriture très régulièrement pour satisfaire son symptôme, malgré les dangers sanitaires, cela correspond à la même logique que celle du symptôme, qui est de l'autopunition et autodestruction.» Les boulimiques sont loin d'être les seuls à être atteints de TCA et à souffrir de la quarantaine et de ce nouveau rapport à l'alimentation. Charlotte, 19 ans, est anorexique et vit extrêmement mal cet enfermement avec sa famille. Ses parents, au courant de sa maladie, lui imposent des repas sans prendre en compte sa situation.

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« J'ai l'impression que ma maladie va m'engloutir »

« J'ai toujours évité les repas de famille pour ne pas avoir à être jugée parce que que je ne mange pas ou très peu. Être enfermée avec ma famille en étant anorexique est un enfer » raconte-t-elle. Pour éviter de grossir Charlotte a pour habitude de courir, au minimum, une heure par jour. Bien que les règles du confinement lui autorisent ce jogging, ses parents eux lui interdisent de sortir car elle fait partie des personnes à risque qui pourraient succomber au Covid-19. Charlotte ne s'en cache pas, elle a des idées noires. « J'avais déjà l'impression que mon corps était une prison mais là c'est bien pire. À force de ne pas pouvoir sortir, je n'ai vraiment pas le moral. J'ai l'impression que ma maladie va m'engloutir. » Charlotte conserve dans l'armoire de sa chambre des gâteaux emballés individuellement. « J'en range un dans mon tiroir tous les jours. Quand je ne me sens pas bien, j'aime bien les toucher. »

Pour le docteur Mortimore, les personnes souffrant de TCA pensent à une guérison lorsqu'ils sont confrontés au regard des autres. Ce confinement amène certains malades à se complaire dans leur mal-être. « Certains peuvent tirer une satisfaction encore trop grande de leur souffrance. La psychanalyse nous a appris que le symptôme de TCA est un mélange de souffrance et de satisfaction. »

Tom souffre d'un trouble d'alimentation sélective, il ne consomme que des aliments de certaines marques et de couleur jaune.

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Alors que pour les boulimiques et les anorexiques, les problèmes commencent à table, pour Tom c'est lorsqu'il met un pied dans son supermarché. Muni de son caddie, il n'a pas besoin d'une liste de courses car il ne mange qu'une dizaine d'aliments et ce sont les mêmes depuis ses dix ans. Il en a maintenant 34. Tom souffre d'un trouble d'alimentation sélective, il ne consomme que des aliments de certaines marques et de couleur jaune. « Quand j'ai vu que les rayons se vider sur Internet, je me suis précipité dans mon supermarché pour faire le plein. S'il n'y a pas pile la marque que je veux, je ne peux tout simplement pas manger ». Alors que beaucoup de personnes de son entourage y voient juste un caprice, le trouble de l'alimentation sélective est un des TCA les plus difficiles à guérir car il survient, presque toujours, lors de l'enfance du malade.

Tom fait donc partie de ces personnes qui ont dévalisé les rayons de Barilla mais pas question pour lui de toucher aux Panzanis.
« On me dit souvent que je ne pourrais pas faire la différence entre deux marques mais je sais que j'en suis capable. Quand j'étais plus jeune, mes parents ont déjà essayé de me piéger et des anciennes copines aussi. » Habitant en région parisienne, il a été confronté pendant quelques jours à des épiceries vidées de tout ce qu'il a l'habitude de manger.

Il affirme qu'il aurait pu se laisser mourir plutôt que de manger autre chose. « J'ai fait les quatre supermarchés qu'il y avait dans mon quartier, il n'y avait rien de ce que je mangeais. J'ai pris le bus et j'ai continué à chercher et toujours rien. Du coup, j'ai continué tous les jours à chercher jusqu'à finir par trouver. Je commençais à avoir vraiment faim et je me sentais faible. » Il a recommencé à s'alimenter au bout du troisième jour. Un comportement si rare et étonnant qu'il est difficile pour Tom de s'expliquer sans avoir l'impression d'être complètement fou. Il a pour l'instant un stock suffisant de pâtes, de bananes, d'oeufs et de gaufres industrielles pour tenir plusieurs jours avant de devoir à nouveau aller faire une razzia des rayons.

Conscients du risque d'aggravation des conditions des personnes atteintes de TCA, les permanences d'aide téléphonique sont maintenues et même prolongées pour certaines. La ligne téléphonique « Anorexie Boulimie Info Ecoute » (08 10 03 70 37) étend sa plage d'écoute d'une heure pendant toute la période du confinement mais reste toujours payante. D'autres lignes spécialisées comme Enfine restent disponibles le mardi et jeudi soir gratuitement au 01 40 72 64 44 .

* Tous les prénoms ont été modifiés

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