Je suis sortie seule dans un bar pour la première fois de toute ma vie et je ne m'étais pas sentie aussi extatique depuis une partie de Scattergories remportée contre mes frères.

Dans un restaurant ou au cinéma, ça ne m'angoisse pas. Dans un bar, si je suis seule, j'ai peur d'avoir l'air d'une escorte qui attend une caresse dans le dos ou la promesse d'une chambre d'hôtel avec vue sur le Square Victoria.

Je me suis retrouvée seule une fois par erreur : mon mec prenait une bière ailleurs avec des amis et ils étaient venus me rejoindre tardivement au Confessionnal, dans le Vieux Montréal. J'avais gardé une sucette au sucre d'orge dans ma bouche, avalé une vodka Red Bull et passé beaucoup de temps à me demander si ma langue était maintenant bleue. J'étais au bar, entourée d'hommes à cravates et de banquières. J'avais l'air totalement décalée, avec ma robe rose barbe à papa, la chainette au pendentif BIMBO que je portais autour du cou et ma langue bleue.

Cette fois-ci, c'était prémédité : je sortais au Zotique, avec des bottillons rouges de trois pouces et un pouls normal. J'y accompagnais un ami qui y était DJ ce soir-là, sans toutefois m'asseoir sur ses cuisses. J'étais seule au bar, ravie de ne pas m'être perdue entre un restaurant ou un bureau d'avocats. Et aussi parce que je n'avais pas l'air trop déprimante, avec un gin-tonic commandé avec un sourire de fille plus fière que lorsque j'avais gagné une médaille d'or en ski alpin à huit ans (la vidéo de cette victoire en slalom est impressionnante d'ennui et de couleurs fluo).

J'ai texté que j'étais toute seule à un de mes petits frères, pour savoir si son party de bureau était bientôt terminé, et à un ami, qui chantait du Éric Lapointe dans un bar karaoké. J'ai twitté que je lisais un livre dans un bar (une anthologie publiée par BlackBook, The Revolution Will Be Accessorized). J'ai instagrammé une photo du livre et de mon verre de gin-tonic rempli de concombres. J'ai remercié le gérant quand il venait remplir mon verre d'eau et le barman quand il a déplacé mon deuxième gin-tonic au moment ou j'allais saluer mon ami DJ (et me regarder dans le miroir après avoir fait pipi aux toilettes).

Quand je suis retournée m'asseoir, le barman m'a fait un signe d'agent secret pour me pointer un mec assis près de moi. Je ne l'avais pas reconnu, mais c'était un mec louche, qui envoie des mises en demeure aux filles qui racontent ce qu'il leur a fait comme merdes. Je me suis replongé dans mon anthologie, avant d'être saluée par deux hommes qui ne voulaient pas me déranger. Je les ai assurés qu'ils ne me dérangeaient pas (« Je lis juste parce que je ne peux pas le faire tranquillement à la maison quand les enfants se réveillent chaque deux minutes pour un verre d'eau ou une veilleuse à allumer ou une veilleuse à éteindre »).

Nous avons presque tout de suite parlé d'étranglement et d'anal, parce que c'est plus plaisant de parler de pratiques sexuelles que de notre ville d'origine et d'aéronautique. L'un des mecs était génial : il mimait ce que son ex aimait qu'il fasse. Je suis très bon public pour les improvisations mimées de sexe brutal avec consentement de toutes les personnes impliquées. Je riais beaucoup. Le mec a conclu que son ex était nymphomane et qu'elle avait le même prénom et signe astrologique que moi.

Une de leurs amies est passée près de nous pour se rendre à l'extérieur, une cigarette entre les mains. Elle m'a demandé si j'étais une pilote d'avion et j'ai acquiescé (ma robe pouvait passer à la fois pour un déguisement de pilote d'avion sexy, de capitaine dans l'armée sexy ou une robe que Michael Jackson aurait appréciée parce qu'elle avait des boutons dorés).

J'ai texté mon ami qui chantait du Joe Dassin dans un bar karaoké, lui racontant que j'avais maintenant de nouveaux amis qui n'étaient pas déplacés du tout et qui parlaient d'échangisme avec aplomb. Ne recevant pas de réponse, j'ai fait la moue, ce qui me donne automatiquement la face de Vanessa Paradis dans mon imagination.

Suivant mes nouveaux amis, je suis allée terminer un cocktail qui goûtait les bonhommes de pain d'épice à leur table. Quand je suis partie, j'ai trébuché sur un trottoir glacé. En taxi, je n'étais pas assez saoule pour regarder dehors et avoir mal au cœur et ça m'a rendue aussi très fière, parce que j'avais des mauvais souvenirs des fois où je sortais avec ma cousine et que ça se terminait avec des restants de sangria et de crêpes aux épinards dans le hall d'entrée d'un immeuble à l'Ile-des-Sœurs.

Dans mon lit, j'ai mangé des tartines de houmous et de brie, avant de parler de laisses pour chiens comme accessoire sexuel avec mon mec.