L’uniforme de policier, cette cape d’impunité
© Eric Feferberg / AFP

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Benallagate

L’uniforme de policier, cette cape d’impunité

Avant Alexandre Benalla, bien d’autres ont eu l’idée de se déguiser en flic pour commettre des actes répréhensibles. À croire qu’avec un képi, tout est permis.

Après les révélations du Monde, Alexandre Benalla, le Monsieur Sécurité de l’Elysée, a finalement été licencié et mis en examen. La Justice lui reproche d’avoir frappé deux personnes dans la manif du 1er mai, à Paris.

Depuis hier, l’opposition crie au scandale à cause de la sanction super légère que la Présidence a pris contre lui le 2 mai, après avoir vu la vidéo : 15 jours de mise à pied avec suspension de salaire. Mais le plus intéressant, c’est la raison pour laquelle l’Elysée l’a puni. C’est expliqué dans la lettre que le directeur de cabinet Patrick Strzoda a envoyé à Benalla, le 3 mai : « Monsieur, j’ai été informé de votre participation aux opérations de maintien de l’ordre, aux côtés de la préfecture de police (…) Votre initiative ne peut en aucune manière se rattacher à votre mission (…) Votre comportement a porté atteinte à l’exemplarité attendue des agents de la présidence de la République ».

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En fait, l’Elysée reproche à Benalla d’avoir « participé aux opérations de maintien de l’ordre » alors qu’il n’en avait pas le droit, et de ce fait d’avoir « outrepassé son statut d’observateur », comme l’ont répété toute la journée d’hier le Premier ministre, Edouard Philippe, et le porte-parole de la présidence, Bruno Roger-Petit. Que ladite « opération de maintien de l’ordre » consiste à frapper une femme et un homme désarmés et à terre, ne semble pas les émouvoir… Ce n’était pas sa « mission » à lui. Concrètement, ils ne reprochent pas à Benalla d’avoir tabassé deux personnes mais de l’avoir fait à la place des policiers ou comme un policier. D’ailleurs, le directeur de cabinet ne dit pas qu’en se montrant violent, il a terni l’image des agents de police – mais qu’il a terni celle des « agents de la présidence ». Parce qu’il n’avait pas le droit d’agir…comme un flic.

Ce n’est pas ce que pense le Procureur de Paris, qui a ouvert une enquête contre Benalla pour usurpation de fonction et d’insignes mais aussi pour violences volontaires. Parce qu’il a frappé des gens, il risque jusqu’à sept ans de prison et 100 000 euros d’amende, si on considère qu’il avait des complices (un autre responsable de la sécurité, salarié chez En Marche, qui l’accompagnait, Vincent Crase, et tous les CRS autour qui l’ont laissé faire), qu’il dissimulait une partie de son visage et qu’il cherchait à éviter la caméra pour ne pas être identifié.

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« Si Benalla et Crase ont pu se permettre ce qu’ils ont fait, c’est parce que les policiers ont montré l’exemple » - Taha Bouahafs, auteur de la vidéo révélant les actions violentes d'Alexandre Benalla.

Beaucoup de personnes se sont plaintes ces derniers mois d’avoir été violentés par des policiers, y compris dans la manifestation du 1er mai. Certains ont des vidéos pour le prouver. Mais pour l’Elysée, la violence n’est pas un problème…à condition d’être vraiment policier. D’ailleurs, les véritables policiers aux côtés d’Alexandre Benalla ce jour-là, se sont eux aussi montrés violents. « Quand j’ai sorti mon téléphone, ce n’était pas pour filmer Benalla », raconte à Vice Taha Bouahafs, l’auteur de la vidéo. « C’était pour filmer les policiers autour. Si Benalla et Crase ont pu se permettre ce qu’ils ont fait, c’est parce que les policiers ont montré l’exemple. Ils ont entouré les gens sur la place de la Contrescarpe pour les gazer sans raison et leur faire mal ». Mais eux, pour l’instant, n’ont pas été inquiétés : Gérard Collomb a bien saisi l’IGPN, mais simplement pour lui demander de préciser « les règles en matière d’accueil d’observateurs »…

La conséquence de cet état d’esprit c’est qu’ils sont nombreux, en France, à estimer qu’un uniforme, qu’il vienne d’une boutique de déguisement ou qu’il s’agisse d’un vieux képi qu’on n’a plus le droit de porter, permet beaucoup de choses. Il agit comme une cape d’impunité. Florilège de ceux qui l’ont enfilé et de leurs méfaits d’armes.

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1 / La fausse palpation

Enfiler un uniforme au fond de sa camionnette, accrocher une arme factice à sa ceinture et « patrouiller » en VTT, c’est l’idée qu’a trouvé un homme pour se livrer à son passe-temps favori : tripoter des jeunes filles.

Pendant 8 mois, il a prétexté des contrôles anti-drogue dans les rues de plusieurs villes du Pas de Calais, pour « palper » des filles âgées de 8 à 16 ans, allant jusqu’à leur introduire des doigts dans le vagin. Au total, il a fait vingt victimes avant d’être arrêté le 2 mai dernier, par la Sûreté départementale. « Ce qui nous surprend, c’est que parmi les groupes d’ados qui ont été victimes, personne n’a jamais eu le réflexe de prendre cet homme en photo », souligne le commissaire responsable de la Sûreté départementale.

« C’est dire l’effet de sidération qu’exerçait ce faux policier ». C’est dire aussi combien c’est facile de filmer un policier qui outrepasse ses droits…

2 / Le faux contrôle routier

Début juillet, sur l’A86, une voiture banale mais équipée d’un gyrophare a obligé une camionnette à s’arrêter sur le bas côté de la route. Un groupe d’hommes, armés et portant des gilets pare-balle où l’on pouvait lire « Police », est sorti de la voiture pour mettre en joue le conducteur de la camionnette.

Convaincu de faire face à des policiers, l’homme, qui revenait de la Japan Expo où il tenait un stand, s’est exécuté…et s’est fait dérober une mallette contenant l’intégralité de la recette de sa journée.

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3 / La fausse intervention

On l’avait presque oublié, mais les cinq hommes cagoulés qui ont menotté (et volé) Kim Kardashian dans la chambre du palace parisien où elle séjournait en 2016, portaient de faux brassards de Police. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le concierge de l’Hôtel de Pourtalès les a laissés entrer et leur a même indiqué le numéro de sa chambre et le chemin…

La technique, est si répandue qu’elle possède un nom, dans le jargon : « vol à la fausse qualité ». Et il n’y a pas que les concierges d’hôtel qui s’y laissent prendre.

4/ La fausse garde à vue

L’affaire est ancienne mais… ne manque pas de sel. En 2004, quelques mois avant les élections qui allaient mettre fin à ses 13 ans de règne, Gaston Flosse était encore le tout-puissant président de la Polynésie, protégé de toutes ses casseroles (emplois fictifs, détournements de fonds…) par sa proximité avec Jacques Chirac. Après avoir créé son propre service de police, le GIP (Groupement d’intervention de la Polynésie) il a créé son propre service d’espionnage, le SED (Service d’Etude et de documentation), qu’il charge de prendre en filature, d’intimider, de mettre sur écoute et de fouiller les domiciles de ses opposants politiques, de certains journalistes et même de ses maîtresses (bonjour la parano).

Un jour, sa secrétaire s’aperçoit qu’un « mystérieux dossier » et 9 200 euros ont disparu du bureau de Flosse. Plutôt que de prévenir la police, elle contacte… le Monsieur Sécurité de la Présidence de Polynésie (aka le Benalla du président polynésien) : André Yhuel, ancien capitaine de la DGSE. Avec un ancien flic, Thierry Hargous, et un ancien gendarme, Alain Montesinos, Yhuel a mené l’enquête à sa façon. C’est-à-dire en « arrêtant » et séquestrant pendant trois jours la femme de ménage et la personne s’occupant du linge de Flosse, pour les interroger au cours d’une prétendue « garde à vue ».

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Pour faire plus vrai, ils ont même appelé un complice, un vrai gendarme du nom de Gilles Goubin, qui sortait du boulot et voulait par ailleurs se faire embaucher dans la milice de Flosse (c’était mieux payé). Goubin est arrivé en uniforme et a pris les empreintes des employés, puis a accompagné ses copains pour fouiller leurs voitures et leurs domiciles. Tout cela était parfaitement illégal, le gendarme agissant en dehors de tout cadre réglementaire.

A leur procès, les quatre hommes ont tenté de minimiser. La séquestration ? « C’est les employés qui refusaient de partir ». Les empreintes digitales ? « C’était pour leur faire peur ». Les perquisitions ? « Ce sont eux qui ont fouillé leurs maisons devant nous ». Bilan : de trois à huit mois de prison avec sursis pour chacun des quatre.

5/ La fausse perquisition

Le 20 juin dernier, en rentrant de sa tournée, Youssef, employé de La Poste au centre de tri de Levallois (92), a trouvé le cadenas de son casier forcé au coupe-boulons, son casier fouillé, et son portefeuille délesté de 40 euros. Sa voiture, dont les clés se trouvaient dans son casier, semblait aussi avoir été fouillée. Il s’en est plaint à deux de ses supérieurs, F. et L., qui lui ont d’abord répondu n’être au courant de rien. Youssef est allé demander au responsable du matériel s’il avait prêté un coupe-boulons à quelqu’un. C’était le cas. Il l’avait prêté… à l’un des deux supérieurs de Youssef, L. Quand Youssef est retourné voir ses supérieurs pour leur demander des comptes, ils lui auraient répondu qu’ils cherchaient en fait un casier pour une nouvelle employée, et que celui-là leur semblait parfait puisqu’il n’y avait pas de nom dessus.

Problème : il y avait un cadenas, le casier n’était donc pas inoccupé, et autour, il y avait plein de casiers vides. Sans compter que le nom de Youssef figurait en gros sur son casier. Renseignements pris auprès de ses collègues, les responsables auraient en fait pris la liberté de « perquisitionner » son casier et sa voiture parce qu’ils le suspectaient d’avoir commis des vols… Pour le moment, la direction de La Poste n’a apporté aucune réponse, ni à la plainte sur le Registre d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, ni à celle déposée au commissariat par Youssef.

Si aucun des deux supérieurs directs de Youssef n’a porté l’uniforme, ce n’est pas le cas d’autres directeurs à La Poste. « Depuis un an, La Poste embauche des anciens militaires pour diriger ses établissements dans le 92 », raconte un syndicaliste de SUD Poste. Qui ajoute : « probablement pour « mater » la révolte des postiers des Hauts de Seine, en grève depuis le mois de mars contre le licenciement d’un représentant syndical et contre la dégradation de leurs conditions de travail ».