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société

Sans cruauté pour les chiens, sans compassion pour les humains

Défendre une cause par le racisme et le sexisme : certains militants pour les droits des animaux devraient revoir leurs campagnes de sensibilisation.

Sur la page Facebook du tatoueur F is the key, annonçant une journée de flash tattoos et de cupcakes végétaliens le 28 mai au café Atomic, un dessin du tatoueur Yann Black ne faisait pas l'unanimité. C'était un pitbull avec l'inscription « Coderre Nique Ta Mère », faisant référence à l'obsession du maire de Montréal Denis Coderre pour l'interdiction de cette race de chien à Montréal. Plusieurs utilisateurs du populaire réseau social notaient que c'était un message sexiste. Alors qu'une commentatrice révélait son malaise (« Me semble que la mère de Coderre a pas rapport là-dedans »), l'équipe derrière F is the key rétorquait qu'il n'y avait aucune motivation sexiste et que c'était simplement une expression couramment utilisée en France.

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Un militantisme blanc soya sans carences de privilèges Aucune intention sexiste? Sans doute. Il reste que le sentiment de machisme était bien réel et que l'écoute n'était pas présente pour comprendre ce qui était problématique dans ce dessin. Le végétalisme, une pratique préconisant la compassion pour les animaux et le respect de leurs droits, n'encourageant la consommation d'aucun produit animal, n'en est pas à ses premières critiques pour son incompréhension des autres oppressions. Il est depuis quelque temps accusé non seulement de sexisme, mais aussi de grossophobie, de racisme et de capacitisme. La diète à base de plantes et les droits des animaux ne sont pas remis en cause, mais le militantisme de masse tendance sauce blanche au soya niant ses privilèges et son manque d'éthique, oui.

L'entrecuisse de Pamela Anderson ou la poitrine d'un poulet : même combat Utiliser le corps des femmes de manière dégradante est une arme publicitaire récurrente. Les organisations pour les droits des animaux en abusent. PETA (People for the Ethical Treatment of Animals) est reconnue pour la création et promotion de campagnes sexistes et stéréotypées. L'organisation utilise surtout des corps de femmes jeunes, blanches et dénudées pour pousser à réfléchir sur les mauvais traitements infligés aux animaux. Pour la campagne de protestation « Meat is Murder », des corps de femmes se retrouvent ensanglantés, cadavériques, sous cellophane. Les femmes comme pièces de viande : une idée répétée maintes fois dans d'autres campagnes, où PETA présente des femmes couchées sur un barbecue ou des vedettes photographiées avec chacune de leur partie corporelle soulignée comme une pièce à déchiqueter plus tard. Des femmes végétaliennes toutes nues pour se sauver des bourrelets Pour leur action militante « Fur is Dead », PETA est allée jusqu'à exploiter les craintes reliées à l'estime de soi et à l'image corporelle des femmes. Sur des affiches, une femme tronquée, en petite culotte, qui dévoile une forte pilosité pubienne. PETA espère ainsi amener à réagir honteusement à cette vision, comme si le poil, ici comparé à la fourrure, se devait d'être embarrassant. D'autres campagnes suggèrent de se battre contre le gras, de sauver les baleines en perdant ses bourrelets et de ne manger que de la salade pour être fière de ses radiographies ne montrant qu'un corps conventionnellement beau. Leur concept de la beauté et de l'image corporelle est aliénant. Lorsque PETA est questionnée sur son objectification et dégradation systémique du corps des femmes, l'organisation réplique qu'elle utilise aussi le corps des hommes dans ses tactiques. Toutefois, lorsque la nudité des hommes est exploitée pour des causes éthiques, le visuel et les interprétations possibles ne sont pas les mêmes. Leurs corps ne sont pas sacrifiés, enchaînés, prêts à être consommés, et offrent plutôt une image héroïque et dominante des hommes. Des produits chimiques déversés dans les yeux d'une femme sans son consentement

Lush, une compagnie de cosmétiques offrant des produits véganes et non testés sur les animaux, ne choisit aussi que des femmes comme outils de contestation. En 2012, lors d'une campagne contre les tests sur les animaux, l'artiste Jacqueline Traides a accepté de subir des expérimentations habituellement réservées aux animaux. Elle a avoué par après ne pas avoir été mise au courant de tout ce qu'un homme lui ferait subir, exhibée devant la vitrine d'une boutique en Angleterre. Elle a entre autres été alimentée de force, une partie de ses cheveux ont été rasés, des substances chimiques ont été déversées dans ses yeux. L'idée défendue par Lush était que, puisque tout le monde sait que la violence faite aux femmes est inacceptable, il était intéressant de la comparer à celle subie par les animaux. L'auteure derrière le site Vegan Feminista montre la faiblesse de ce discours : « Le problème est que tout le monde ne sait pas que la violence faite aux femmes est mal. Nous vivons dans un monde où une femme sur six sera agressée sexuellement, un monde où les femmes doivent être sur leurs gardes et circulent dans la rue sans se sentir en sécurité. Nous vivons dans un monde dans lequel la violence conjugale, les crimes d'honneur, les mutilations génitales et les attaques à l'acide sont communs. »

Une objectification qui aggrave la violence faite aux femmes En érotisant la violence faite aux femmes, Lush et PETA ne réussissent pas non plus à conscientiser quiconque. La misogynie n'en est que renforcée, comme l'a prouvé une étude datant de 2013, When Sex Doesn't Sell: Using Sexualized Images of Women Reduces Support for Ethical Campaigns. Les chercheurs ont montré que, même si le sexe réussissait à faire vendre des souliers, de l'alcool et de la lotion solaire, il ne réussissait pas à promouvoir quoi que ce soit lorsqu'il était utilisé pour promouvoir une organisation éthique. En fait, le sexe provoque des réactions aggravant l'oppression féminine : la déshumanisation de la femme nue pour les campagnes de PETA augmente la tolérance des hommes face au harcèlement sexuel et au viol. S'approprier l'expérience des Noirs pour sympathiser avec la cause animale Les femmes racisées sont aussi instrumentalisées et « fétichisées » : ce sont surtout elles que PETA présente comme des bêtes de cirque, des tigresses emprisonnées dans des cages. Le discours du mouvement végétalien s'approprie aussi l'esclavage des Noirs pour militer, comme si c'était du passé, alors que les Noirs sont encore ostracisés, victimes de profilage et de violence policière, plus souvent emprisonnés que l'ensemble de la population, suivis dès qu'ils entrent dans un magasin et renvoyés de chez Zara et de chez Jack Astor's quand leurs cheveux sont tressés ou qu'ils ne tombent pas, comme un idéal conventionnel et standardisé, lisses, sur leurs épaules. Comparer les animaux aux esclaves ne contextualise pas du tout la violence faite aux Noirs et continue à renforcer des idées préconçues, renvoyant à une image exotique, sauvage et à dompter. Historiquement, animaliser les personnes racisées et plus pauvres a souvent servi à maintenir les privilèges des blancs. Le militantisme végétalien oublie ou ignore les luttes que mènent déjà les Noirs. « All lives matter », clament les partisans des droits des animaux, tentant agressivement de taire les différences et marginalisant davantage les Noirs, alors que leur existence est bafouée ou aveuglement niée et que « Black lives matter » est relégué au rang de lutte inférieure. Une économie responsable et durable victime des idéaux de Greenpeace Manal Drissi, une chroniqueuse ayant déjà expérimenté le végétalisme, pour sa santé et la nécessité de faire des choix éthiques, remarque que le mouvement ne considère pas du tout les Premières Nations, pour qui la chasse et la pêche sont essentielles à leur survie. Le documentaire Inuk en colère d'Alethea Arnaquq-Baril déplore qu'on s'attaque à un mode de vie ancestral participant à une économie responsable et durable. Aucun groupe de protection des droits des animaux n'a consulté les Inuits, afin d'en apprendre plus sur leurs moyens de subsistance et les conséquences de campagnes qui ne s'articulent pas dans leur réalité. Depuis 1983, soit le début de l'acharnement de Greenpeace, la cinéaste considère que les Inuits sont les victimes collatérales des t-shirts de blanchons portés par Brigitte Bardot et Pamela Anderson. Privée peu à peu des revenus de la chasse au phoque, la communauté vit une grande détresse et se départit de richesses minières et pétrolières pour survivre économiquement. Le militantisme pour les droits des animaux ne devrait tolérer ni promouvoir aucune violence envers quiconque. Il ne devrait pas fermer les yeux devant les luttes et besoins des communautés. Et ne pas rendre dérisoire d'autres mouvements sociaux pour faire avancer une cause, comme l'ont fait l'équipe F is the key et le tatoueur Yann Black en justifiant leur « blague » lorsque je les ai interrogés sur la problématique. Pour Vegan Voices of Color, la libération animale n'est tout simplement pas réalisable à travers le végétalisme blanc, le végétalisme le plus populaire, dont l'image est celle de jeunes femmes se promenant avec des jus verts et qui partagent sur leur Facebook des images de Noirs lynchés, afin de les comparer aux cochons dans les abattoirs.