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La vieillesse est un gaufrage : dans la maison de retraite qui cache une chocolaterie

Mikkel Friis-Holm a installé sa cuisine au milieu du troisième âge pour produire, de la fève à la tablette, son chocolat mondialement reconnu.
Deux retraités. Toutes les photos sont de Christian Liliendahl

Ella Hansen repose sa fourchette. Elle fixe le brownie dans son assiette en souriant. « Oui, il est très bon », commente la presque nonagénaire aux yeux pétillants. « On nous traite très bien ici. »

C'est clair. Ella est logée au Hvalsø Ældrecenter de Lejre, une maison de retraite danoise située à une vingtaine de kilomètres de Roskilde. Le gâteau qu'elle déguste a été préparé avec le chocolat de Mikkel Friis-Holm producteur – de la fève à la tablette – pour de prestigieux clients : chefs étoilés ou chocolatiers renommés.

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Les brownies au chocolat du Hvalsø Ældrecenter.

Friis-Holm, 47 ans, loue depuis 2014 une cuisine industrielle qui se trouve être dans le même bâtiment que la maison de retraite. Il est donc plutôt logique qu'on retrouve un peu de sa production sur le chariot des desserts.

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En réalité, le chocolatier veille scrupuleusement à ce que la maison de retraite reçoive suffisamment de chocolat. « Je vois ça un peu comme du troc – tenez, encore désolé de vous embêter, tenez, tenez. » Il continue : « On me demande souvent si les résidents reçoivent beaucoup de chocolat et je veux pouvoir répondre par l'affirmative en toute conscience : oui, on leur en donne. »

Mikkel Friis-Holm hume ses fèves de cacao.

Les personnes âgées qui habitent avec le chocolatier apprécient-elles tout ce bon chocolat ? Nous sommes donc allés à la cafétéria de la maison de retraite où nous avons rencontré Thomas Michelsen. Cet ancien architecte naval de 71 ans nous confie que le brownie est « très bon même s'il y en a un peu trop ». Ella est d'accord : le brownie a une saveur très forte. Mais vu qu'il est fait avec du chocolat à 70 %, on peut comprendre. Ella nous a ensuite précisé qu'elle avait travaillé pendant des années pour Tom's, le plus grand transformateur de cacao du pays. Il se peut donc qu'elle ne soit pas des plus objectives.

Cela dit, il n'y a pas énormément de signes de la présence du chocolatier primé au Hvalsø Ældrecenter. Quand on arrive dans ce bâtiment de plain-pied, perdu dans de la verdure, c'est surtout l'odeur du chou qui arrive aux narines. Rien n'indique au visiteur le chemin de la chocolaterie. La cuisine se fait tellement discrète qu'il paraît que certains résidents ne savaient même pas qu'il y en avait une dans le bâtiment.

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« On croirait vraiment qu'il n'y a pas de chocolaterie ici », confesse Ella, visiblement peu impressionnée par ce fait.

Avec le photographe, on finit par trouver le laboratoire. Il s'agit d'une pièce de 1 900 mètres carré remplie de cartons, de bassines et de matos venus de Suisse et d'Écosse. Les grosses machines ont toutes des noms de boxeurs (« le MacIntyre » ou encore « le Coquillage »). L'air semble saturé de sucre et je ne peux m'empêche de penser à Charlie et la Chocolaterie.

« Oui, ça fait un peu Willy Wonka avec toutes ces machines qui font des choses bizarres, tous ces bruits et ces bourdonnements. Mais c'est bien réel », assure Mikkel. Synchro, c'est pile à ce moment qu'Anna (son ex-femme et toujours son employée) débarque. Sa tenue la fait ressembler à une sorte de Oumpa-Loumpa version steampunk avec ses lunettes, son casque de protection et la fine couche de poudre de cacao qui la recouvre entièrement.

Mikkel note ma surprise et consent à m'en dire un peu plus sur son parcours. Il était à l'origine cuisinier et pâtissier. Il a travaillé pour la chocolaterie française Bonnat pendant des années avant de démissionner en 2014. À ce moment-là, il décide de produire du chocolat près de la maison de retraites de Lejre. Il demande de l'aide à la municipalité qui lui conseille de s'installer dans la cuisine du Hvalsø Ældrecenter. Avant, c'était le lieu de préparation des repas pour toutes les maisons de retraite situées dans un périmètre de seize kilomètres. Elle a ensuite été abandonnée au moment où l'activité de restauration s'est centralisée à Copenhague.

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« La municipalité nous a facilité les choses, c'était parfait pour commencer », explique Mikkel. « Le prix était abordable, les lieux déjà équipés et entièrement carrelés. L'organisation de cette maison de retraite est très moderne. Il y a dix ans, ils auraient peut-être refusé de nous louer le local, même vide. Alors que là, ils se sont dits 'On a l'opportunité d'aider un gars du coin à monter son affaire, donc pourquoi ne pas le laisser utiliser les lieux ?' Ils ne perdent pas d'argent puisque je leur paye un loyer et le local était disponible et prêt à être utilisé. Donc plutôt que de le laisser vide, on y met une activité qui crée des emplois locaux. »

Mikkel Friis-Holm.

À l'évidence, faire tourner une chocolaterie au sein d'une maison de retraite demande quelques petites adaptations. Par exemple, il faut prendre en compte le partage du réseau d'électricité. Et aussi, il se peut que, parfois, un résident au courant de l'emplacement la chocolaterie et dont l'anniversaire approche se met à rôder dans le coin pour choper quelques petites gourmandises – il faut dire qu'il y a le choix.

Mikkel emploie ici six personnes. L'année dernière, il a importé 10 tonnes de cacao d'Amérique du Sud – principalement du Nicaragua. C'est à peu près la quantité nécessaire pour faire 100 000 plaques de chocolat. Dans les deux prochaines années, Mikkel espère encore augmenter sa production. Cela pourrait l'obliger à quitter la maison de retraite. « Nous sommes devenus trop grands », note-t-il.

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Son entreprise a gagné pas mal de prix dès ses débuts. Il suffit de regarder les différents certificats accrochés aux murs. L'année dernière aux International Chocolate Awards – l'équivalent des Oscars dans le monde du cacao – il a remporté pas moins de sept prix dont celui du meilleur chocolat noir bio. Il compte parmi ses clients les meilleurs chocolatiers du monde comme le français Patrick Roger et le japonais Susumu Koyama, ainsi que de grands restaurants danois comme Henne Kirkeby Bro, Relæ, Geist ou encore Alchemist.

Ella Hansen et Jeanette Rosenberg, auxiliaire de vie.

Oh et il fournit aussi une maison de retraite sur l'île de Seeland. Ella vit au Hvalsø Ældrecenter depuis quatorze ans. Elle repose le dernier numéro de son magazine pour déguster le brownie qui vient d'arriver.

« C'est bon », commente-t-elle diplomatiquement. Pour elle, rien d'étrange dans le fait d'avoir un chocolatier comme colocataire. « Ça se passe bien. Ce qu'ils font, ça ne nous regarde pas. Je m'en fiche. »

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Je la cuisine un peu pour qu'elle me dise le fond de sa pensée sur ce brownie. « Il a un peu trop le goût du chocolat. Quand il y a autant de goût, c'est plus intense et du coup on en mange moins », admet-elle finalement.

Et ce n'est pas mauvais, pour ces vieilles personnes, de manger autant de chocolat ?

« En fait, il y a moins de sucre dans le chocolat riche en cacao, donc les brownies fort chocolatés sont meilleurs pour la santé que les autres », explique Mikkel. « Ils mangent sans doute plus de gâteaux au chocolat que dans les autres maisons de retraite, mais il faut être bons voisins. C'est important, étant donné qu'on vit littéralement sous le même toit. »


Cet article a été préalablement publié sur MUNCHIES Netherlands