La croisade après les croisés

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La croisade après les croisés

Assitan Koné, 20 ans, a débuté sa carrière de basketteuse sans jouer pendant 18 mois, après deux ruptures des ligaments croisés. Récit en deux actes, à un an d'intervalle.

A 5 minutes de la fin du match, Assitan Koné fait sa deuxième entrée de la partie. Son club, Toulouse, mène largement, d'une bonne vingtaine de points. Elle se tient loin des actions et du panier au début. Puis, sur une phase offensive, elle prend le ballon dans le coin droit et part à la pénétration. De manière ostensiblement volontaire, comme si elle y allait contre son gré. Une passe à l'intérieure, panier. Sur le banc, des « Bien joué, Assitan ! » s'élèvent, même si ce n'est pas elle qui a marqué.

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Pour les spectateurs présents samedi 16 janvier dans la salle froide et dépeuplée de Calais, Assitan est une basketteuse comme les autres, comme la dizaine d'autres filles qui foule le parquet depuis le début du match. Et ils ont raison, c'est une intérieur de 20 ans, joueuse de rotation, qui participe pendant une petite dizaine de minutes à ce match de LFB. Seulement, Assitan revient de loin : elle sort tout juste d'une épreuve qu'ont parfois à affronter les sportifs de haut-niveau dans leurs carrières. La blessure, et pas celle dont on se relève facilement. Celle qui peut tuer une carrière dans l'œuf, comme celle d'Assitan qui sortait alors tout juste de l'Insep. Retour un an plus tôt, en février 2015.

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Assitan a alors 19 ans et les genoux en vrac. La jeune basketteuse de Toulouse attend le kiné sur une des tables de massage, le regard dans le vague. Elle a connu deux ruptures des ligaments croisés, une pour chaque jambe. Ses genoux sont marqués de plusieurs cicatrices.

« Ça fait bien deux ans qu'elle n'a pas joué », souffle Thierry Facquez, kiné-en-chef chargé de la rééducation sportive au Centre Jacques Calvé à Berck. C'est là qu'Assitan vient se retaper depuis plusieurs mois, au milieu des sportifs du dimanche qui squattent aussi les appareils de musculation face à la mer du Nord.

En réalité, Assitan Koné a rejoué entre ses deux traversées du désert. Fin 2013, c'est en équipe de France des moins de 18 ans qu'elle se blesse pour la première fois. Premier voyage à Berck, première rééducation, premier retour à la compétition en mars 2014. Deux mois de reprise, puis c'est le deuxième genou qui flanche. « J'étais dégoûtée… »

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La joueuse d'1,90m parle d'une voix calme et posée de cet épisode de mai 2014, avec une sagesse qui tranche avec son âge. Elle sent le genou qui tourne lors d'un match de fin de saison face à Montpellier, la douleur immédiate, perforante, la sensation d'instabilité de l'articulation, l'épanchement sanguin. La joueuse sort du terrain.

« Je me suis tout de suite dit que je savais ce qui m'attendait. »

Elle prend à l'époque cet arrêt comme un simple délai, un nouveau grain de sable dans les rouages. Pourtant, son genou connaît des complications. Et ce qui aurait dû durer de six à huit mois va lui dérober plus d'un an de sa carrière. Après une première opération au printemps 2014, elle a dû en subir une deuxième à la fin de l'année, à cause d'un kyste malvenu. En février 2015, son genou gonfle dès qu'elle force trop dessus. Du coup, elle ne travaille que le haut du corps durant cette rééducation.

Pendant que dans le gymnase résonne Do you really want to hurt me ? de Culture Club, elle teste la puissance de son genou, la jambe harnachée à une machine isocinétique. Ce qui ressemble à un engin de torture est en réalité un appareil produisant une résistance après chaque mouvement impulsé par l'athlète. « Si tu pousses super fort, cela va résister aussi fort », résume Assitan. Un exercice qui lui fait travailler son articulation et permet en même de temps de mesurer sa force actuelle. De quoi jauger le chemin qui lui reste à parcourir avant de retrouver toutes ses capacités.

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« On aménage notre temps un peu comme on veut », confie Assitan. En gros, les journées courent de 9 heures à 18 heures, presque des horaires de bureau. Mais où ton boulot à temps plein serait de remettre ton corps à niveau. Aujourd'hui, Assitan passe entre les mains du kiné le matin, avant une séance de musculation. L'après-midi, elle a une séance de gym.

Le centre Jacques Calvé ressemble parfois à un centre aéré : les joueuses blessées se chambrent entre elles pendant que Thierry Facquez joue le rôle du moniteur de colo sympa. Le kiné a un CV plutôt bien rempli : il a accompagné l'équipe de France masculine de basket, que ce soient les Rigaudeau & co, médaillés d'argent aux JO de 2000, ou Parker et ses potes au Mondial de 2006. Après cela, il s'est occupé exclusivement de l'équipe de France féminine. D'où une réputation qui fait venir la plupart des filles blessées du basket français.

D'autant plus que Thierry Facquez est aux petits soins pour ses pensionnaires. « J'essaie de les cocooner un peu. Je vais les chercher au train, je fais leurs lessives… » Le soutien psychologique a aussi son importance : « dans certains clubs, les blessés sont mis à l'écart de la vie du groupe. En venant ici, ils ont un programme, un objectif. »

Éloignée de son équipe pendant plusieurs semaines, Assitan Koné ne coupe pourtant pas totalement avec le basket. Elle s'informe, va voir des matches à Arras. « Mais à certains moments, c'est dur. Quand tu joues au basket "H24", au bout d'un certain temps, il y a un manque. » Elle tâte encore de la balle orange, quelques paniers avec les autres filles, après la rééduc.

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Le lendemain, Assitan a rendez-vous avec le médecin pour une ponction. Si son genou réagit bien, elle pourra commencer la rééducation pure et dure. C'est sa quatrième semaine à Berck. « Mon objectif, c'est de revenir pour juin 2015, et de pouvoir préparer les championnats d'Europe avec l'équipe de France espoirs. » Thierry Facquez se montre plus prudent : « On va déjà la remettre sur pied pour la saison prochaine. » Mais Assitan devrait pouvoir reprendre sans problème le cours de sa carrière selon lui. « J'ai suffisamment d'exemples pour prouver qu'il y a moyen de bien revenir après ce genre de blessures. »

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Mi-janvier 2016 et Assitan a repris le basket avec Toulouse depuis deux mois environ. Dès son retour, elle a beaucoup joué : une vingtaine de minutes par match, car Toulouse devait composer avec de nombreuses joueuses blessées. Sur ce match face à Calais, elle ne joue que dix minutes, pour trois rebonds captés. Seule une genouillère trahit de manière visible son chemin de croix. Ce sera la joueuse toulousaine la moins utilisée de la rencontre.

A la fin du match face au COB, je rejoins son entraîneur. Jérôme Fournier peut être satisfait : son équipe l'a emporté 71-49 à l'extérieur. C'était pas gagné d'avance : le TMB a connu plusieurs grosses déconvenues lors de sa première partie de saison, avec des défaites de plus de 40 points qui ont placé le club bien au fond du classement de première division.

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Fournier, brun faux calme en costard noir et chemise rose (Toulouse, évidemment), connaît Assitan depuis son passage à l'Insep. Il la décrit à l'époque comme « beaucoup plus féline », « une autre joueuse ». « Il faut qu'elle retrouve le niveau qui était le sien avant qu'elle se blesse. Bon, elle a pris du poids avec la blessure. Elle redécouvre son corps aussi. Forcément, après dix-huit mois d'inactivité, c'est devenu une autre joueuse, il faut qu'elle s'approprie son nouveau jeu, son nouveau poste de jeu aussi : avant c'était une ailière, là c'est plus une intérieure qui peut s'écarter. Il faut qu'elle s'adapte. »

La blessure d'Assitan est surtout mentale trouve Jérôme Fournier. « Aujourd'hui elle n'a qu'une appréhension Assitan, c'est qu'un malheur lui arrive, c'est ça qui la gouverne aujourd'hui. Mais ça va de mieux en mieux, je trouve. Quand elle a repris, elle n'avait pas la banane, elle avait peur qu'il lui arrive autre chose. » Et c'est normal : elle a déjà vécu un retour à la compétition cauchemardesque puisqu'elle s'était re-blessée dans la foulée. Cette fois-ci, au début, elle a eu peur de s'approcher du panier, là où il y a du trafic, beaucoup d'appuis. Aujourd'hui, elle repart à la chasse aux rebonds en plein milieu de la raquette.

Assitan Koné (à gauche) lors d'une rencontre de championnat. Crédit : Annie Sargent.

Mais comment gère-t-on une joueuse passée par ces épreuves et qui n'en est pas totalement sortie indemne ? Est-ce qu'on la fait jouer différemment ? Moins souvent ? A des moments où l'intensité est moindre ? En octobre 2015, Jérôme Fournier fait un deal avec Assitan : quand elle pense qu'elle pourra s'engager autant que les autres, sans appréhension, à 100% psychologiquement, elle pourra revenir sur les parquets. C'est ce qu'il s'est passé entre la mi-octobre 2015 et la fin novembre, entre son retour à l'entraînement et son retour à la compétition. « Un jour, elle m'a dit "Je suis prête", explique Jérôme Fournier, et donc on a pu la lancer sur le terrain. C'est compliqué à gérer, ce sont des situations particulières parce que le basket qui est produit sur le terrain, moi je ne le gère pas. S'il y a de l'intensité, je peux pas la retirer, sauf si elle me le demande. Jusque-là, elle ne me l'a jamais demandé. »

Elle doit donc faire confiance à ses genoux. Assitan trouve, elle, que ce retour se déroule mieux que la première fois, qu'elle est
« mieux préparée », qu'elle n'a pas eu « énormément d'appréhension », qu'elle n'est toujours « pas à 100% », mais qu'elle est
« mieux ». « J'ai pas retrouvé tout de suite mes sensations parce que je n'étais pas en rythme, explique-t-elle de sa voix toujours très posée. Mais j'étais étonnée sur certains matches : j'ai apporté de l'agressivité et j'étais pas sûre de pouvoir en apporter à cause des contacts. Parce que cela faisait longtemps que je n'en avais pas connu. »

Elle fait des séances supplémentaires de muscu, se dit qu'elle a encore du boulot pour revenir à son meilleur niveau. Celle qui était passée par l'équipe de France U16 et le Centre fédéral est revenue à des ambitions beaucoup plus modestes que d'espérer un jour retrouver l'équipe nationale. « Mon ambition pour cette saison, c'est juste de gagner du temps de jeu. Il y a d'autres filles qui sont passées devant moi cette saison. Il faut juste que je me fasse ma place. »