FYI.

This story is over 5 years old.

Musique

Miley Cyrus devrait prendre des cours de culture afro-américaine

En tant qu’homme noir et en tant qu’individu qui s’intéresse aux représentations du hip-hop et de la culture noire à travers le monde, tout ce truc de réappropriation culturelle me turlupine.

Et merde, je m’y mets aussi. Je suis tombé dans le cercle vicieux et ennuyeux de ceux qui tentent d’analyser Miley Cyrus et le bordel qui se passe dans son dernier clip, « We Can’t Stop ». J’aimerais pouvoir l’ignorer et faire comme s’il s’agissait d’une nouvelle déjà périmée dont il est inutile de débattre. Après tout, c’est sorti il y a plus d’une semaine – ce qui fait une éternité en temps Internet. Mais on dirait qu’échapper au Miley Cyrus 2.0 – l’ancienne starlette de Hannah Montana qui s’est métamorphosée en une Rihanna blanche et fumeuse de gâche – est devenu impossible.

Publicité

Le clip de « We Can’t Stop » a battu le record de VEVO de la vidéo la plus vue en 24 heures et relègue Justin Bieber, un autre enfant-star qui se rebelle contre son image de débile, en deuxième place. Pendant tout l’été, cette chanson va être chantée par tous les candidats rejetés de Secret Story, dans tous les clubs qui jouaient « Call Me Maybe » en boucle il y a tout juste un an. Tous les gros vont en parler pendant des heures, en expliquant à quel point ils baiseraient bien Miley maintenant qu’ils l’ont vue à quatre pattes et à moitié à poil. Les nerds musicaux ironiques en font l’éloge et la considèrent comme une victoire de la pop culture et du bricolage musical à la Tin Pan Alley. Mais elle se fait aussi descendre en flammes pour sa représentation des Noirs, censés symboliser l’authenticité, tout comme son pantalon blanc est censé représenter le sex-appeal. Sans parler du fait que le tout est une grossière réappropriation culturelle, comme l’ont été les Pat Boones et les Elvis d’antan.

Que vois-je dans « We Can’t Stop » ? À peu près tous ces trucs. C’est un morceau accrocheur, Miley est maladroitement sexy dans le clip, la production est léchée. Mais en tant qu’homme noir et en tant qu’individu qui s’intéresse aux représentations du hip-hop et de la culture noire à travers le monde, tout ce truc de réappropriation culturelle me turlupine. À l’aune de ses déclarations – Miley Cyrus a déclaré avoir tenté d’atteindre un « son noir » lors de la production de son disque – et au vu du résultat final (références à la drogue, fesses qu’on remue et bridges en or sur les dents), on comprend aisément que Miley a une vision problématique de ce que signifie « noir ».

Publicité

La réappropriation d’éléments de la culture noire par les Blancs afin de créer un objet qui frôle la caricature n’a rien d’une nouveauté dans la pop culture américaine. Mais le cas de Miley est assez intrigant pour qu’on s’y attarde. Par le passé, des musiciens blancs qui jouaient du jazz et du rock’n’roll ont souvent complètement éclipsé les musiciens noirs qu’ils avaient copiés grâce à des barrières institutionnelles et sociétales qui empêchaient les artistes noirs de toucher un large public. Mais aujourd’hui, les artistes noirs ne produisent plus leur musique dans les mêmes conditions d’oppression, et on trouve probablement plus de Blancs que de Noirs à n’importe quel concert de Rihanna ou de Juicy J. Est-ce que cela signifie que je ne devrais pas m’inquiéter de toute cette situation ? Après tout, Obama, quoi. OBAMA, putain.

Pour comprendre comment fonctionnent les mécanismes de réappropriation culturelle lorsque le terrain de jeux est différent, je me suis renseigné auprès d’un gars beaucoup plus malin que moi. Le professeur Akil Houston, du département d’études afro-américaines de l’université de l’Ohio, pond des travaux sur les problématiques de race et de culture populaire depuis un bon moment. En tant que DJ et érudit du hip-hop, il sait analyser le rap game de manière particulièrement précise. Je lui ai envoyé quelques questions via Facebook pour discuter de Miley et de son clip. Voici ce qu’il avait à dire.

Publicité

VICE : La réappropriation de la « culture noire », perpétuée à travers le clip de Miley – avec son interprétation des tropes de hip-hop modernes –, vous paraît-elle cynique ou authentique ? Cette distinction a-t-elle lieu d’être, d’ailleurs ?
Professeur Akil Houston : Ni cynique ni authentique, il me semble. Sa réappropriation perpétue une vieille tradition de ce que bell hooks appellerait « manger l’Autre ». Hooks a noté qu’au sein de la culture matérialiste, l’ethnicité devient comme une sorte d’assaisonnement épicé. Elle est utilisée pour égayer le plat morne qu’est la culture blanche mainstream. La distinction est importante, car je pense que les images et les références authentiques confirment, reconnaissent et englobent une culture particulière. Par exemple, prenons les Beastie Boys et le hip-hop : ils étaient beaucoup plus représentatifs et authentiques vis-à-vis de la vraie culture hip-hop que ceux qui prétendent la représenter aujourd’hui.

Pensez-vous qu’il y a un lien entre cette vidéo et la tradition desvieux minstrel shows, Amos’n’Andy et Pat Boone ?
Il y a un lien, c’est sûr. C’est la raison pour laquelle je dis qu’elle perpétue une vieille tradition. Certains affirmeront aujourd’hui, comme d’autres l’ont fait à l’époque d’Amos’n’Andy et Pat Bonne, que ces tropes, ces images et ces réappropriations sont des moyens d’atteindre un public plus large pour de telles productions culturelles. Mais le spectre de la race hante encore ces images de temps à autre. C’est révélateur d’une société qui ne sait pas faire face à la réalité mais qui apprécie le spectacle de la caricature.

Publicité

Lorsque vous voyez les personnages noirs du clip, avez-vous l’impression qu’ils servent d’accessoires ?
Miley et les acteurs noirs du clip servent tous d’accessoires pour le plaisir visuel. Je pense qu’il est important d’aborder ces images en sachant qu’elles ont été produites sous le contrôle d’entreprises multinationales. En ce sens, ni le personnage principal (Miley), ni les accessoires n’ont un niveau d’autonomie important, d’un point de vue sémiotique.

Si un Blanc souhaite adopter et interpréter une partie de la culture noire qu’on retrouve dans le hip-hop, comment doit-il s’y prendre ? Comment un artiste blanc peut-il être davantage un Eminem qu’un Pat Boone ? Quelle est la différence – s’il y en a une ?
Je ne suis pas sûr qu’Eminem soit le meilleur exemple. Il a réussi parce qu’il a du talent et qu’il s’est entouré de gens comme Proof ou Dr. Dre. Ils lui ont accordé un niveau de légitimité très tôt dans sa carrière. Puis ses origines prolétaires collent bien au moule de la notion d’authenticité du hip-hop. Invincible serait davantage un modèle : c’est selon moi la meilleure approche pour traiter cette question. Elle reconnaît ses privilèges de Blanche, maintient une connexion avec les idéaux du hip-hop et pour couronner le tout, elle écrit de bons textes.

La distinction n’est pas facile à faire, vu que le rap et la culture hip-hop ont beaucoup perdu en pertinence de leur contenu social et politique. Mais il y a quand même une différence. Un documentaire génial de Robert Clift, Blacking Up: Hip-Hop’s Remix of Race and Identity, montre et raconte en détail les différences entre la reconnaissance et la caricature.

Publicité

Par le passé, des artistes blancs ont volé l’art noir et empêché le grand public de découvrir les contributions de beaucoup d’artistes. Ce qui s’est passé au début du rock’n’roll et du jazz pourrait-il se reproduire aujourd’hui ? Des artistes noirs pourraient-ils être éclipsés par des imitateurs blancs moins talentueux ?
Ça n’a jamais cessé. Bien que les artistes de couleur possèdent plus de visibilité aujourd’hui, le grand public ne réalise pas forcément qu’il existe des gens de couleur qui font du punk, de la country, du rock alternatif ou toutes les autres étiquettes utilisées par les maisons de disque pour classer la musique en genres. Pour certains, ces artistes sont des outsiders.

Que dit le clip de Miley Cyrus sur sa perception des Noirs et de leur culture ?
Elle devrait prendre quelques cours d’études afro-américaines.

Est-ce qu’on pourrait mettre ça sur le dos d’artistes hip-hop tels que Gucci Mane ou Three Six Mafia qui véhiculent les stéréotypes que Miley reprend dans son clip, même si leur œuvre est équilibrée grâce à d’autres éléments qui ont, visiblement, été omis de son interprétation ?
Absolument. Mais il faut contextualiser les critiques que nous faisons à leur encontre. Qui est-ce qui fait que ces artistes existent, pourquoi leurs chansons sont-elles si médiatisées, quels labels et quelles sociétés soutiennent ces images et ces messages ? Des artistes comme Wise Intelligent, Public Enemy, One Be Lo, Bahamadia et d’autres encore font passer depuis des années des messages non-homophobes, non-sexistes et de manière générale, non-problématiques. Mais ils n’ont pas accès à la même visibilité médiatique ou autant de temps à l’antenne que les groupes que vous avez mentionnés. Être critique envers les artistes n’est pas assez – bien qu’il faille l’être – il faut surtout l’être envers les sociétés qui leur donnent autant de visibilité.

Publicité

Le fait que Miley ait travaillé avec des producteurs noirs et estimés pour créer ce morceau lui donne-t-il de la légitimité ?
Si des Noirs y participent, ça lui donne évidemment un certain niveau de crédibilité. L’argument « cette chanson ne peut pas être problématique parce que des Noirs ont participé à sa création » ne tient pas la route.

Le clip de Miley peut-il profiter, d’une manière ou d’une autre, aux questions des relations entre les races ? Pourrait-t-il contribuer à faire connaître les formes d’expressions noires à de nouvelles personnes, ce qui pourrait les inciter à découvrir des versions plus intéressantes, nuancées et authentiques de ce que Miley essaie de faire ?
Le temps nous le dira.

Merci, professeur.

Wilbert est sur Twitter : @WilbertLCooper

Plus d’histoires de Noirs et de Blancs :

WHITE STUDENTS – Un syndicat des étudiants blancs défend les droits des « personnes issues d'ancêtres européens »

NOIRS VS. BLANCS : QUI TIENT LE PLUS ? Dave et Probe font un concours de shots

ON A PARLÉ CHEVEUX AVEC DES AFRO-PARISIENNES Apparemment, dénaturer ses cheveux peut coûter jusqu’à 700 € par mois