Lucie*, du journalisme web à la communication en freelance
« Mon déclic, ça a été lors de mon entretien annuel. J'ai demandé une augmentation de 250 euros brut par mois, en me disant qu'après négociation, j'obtiendrais la moitié. Mon chef m'a ri au nez, me demandant "si je comptais demander ça chaque année". Et l'autre chef m'a dit que si je voulais changer de boîte ou métier, je pouvais. » Peu à peu, Lucie se renferme et fait des crises d’angoisse au travail. Elle ne trouve plus de sens à son travail. Un lundi matin, elle n’a plus la force de sortir de son lit, appelle son médecin et décide de tout arrêter.« Un jour, je me suis rendu compte que je n'étais pas heureuse, mais surtout, que je ne connaissais pas un journaliste heureux. » Les mois qui ont suivi ont été très difficile. Lucie a dû prendre des anxiolytiques et commencer une thérapie. Elle se reconstruit doucement et a débuté une activité dans la communication en freelance. « C'est un vrai soulagement d'avoir quitté ce métier, de me sentir enfin valorisée dans mon travail. Et d'être bien payée, accessoirement. »« Un jour, je me suis rendue compte que je n'étais pas heureuse, mais surtout, que je ne connaissais pas un journaliste heureux »
Justin Daniel Freeman, du journalisme de presse quotidienne régionale à la boucherie
« J’ai commencé à me demander ce que je foutais à dormir avec un téléphone de permanence sous mon oreiller pour peut-être me faire réveiller à 3h du mat pour faire un article sur une voiture qui s’est plantée dans un champ »
Lucas Simonnet, du journalisme de proximité à électricien
C’est le confinement qui a décidé Lucas Simonnet à faire une croix sur le journalisme. Le confinement lui a permis de réfléchir sur le métier et ses perspectives, peu réjouissantes selon lui. Lucas a donc choisi de se former au métier d’électricien. Son père et ses frères, déjà dans le bâtiment, l’ont attiré vers cette reconversion.Un nouveau métier qui lui permettra de tourner la page du journalisme mais aussi de rembourser le prêt de son école de journalisme. « J’ai fait un prêt de 15 000 euros pour entrer à l’Ecole de journalisme de Toulouse, il me reste encore 6 000 euros à payer. » Un choix que Lucas ne regrette pas du tout. Il aura étudié son métier de rêve et c’est avec le sourire qu’il envisage l’avenir. « Maintenant après le travail j’ai du temps pour moi, pour voir ma famille, mes amis, faire du sport, avoir une vie. Quand j’étais journaliste, je ne pensais même pas pouvoir avoir d’enfant de ma vie, je me disais que ça ne servirait à rien puisque je ne pourrais jamais les voir. Et là avec ma copine, on envisage d’avoir un enfant. »« J’ai fait un prêt de 15 000 euros pour entrer à l’Ecole de journalisme de Toulouse, il me reste encore 6 000 euros à payer »
Sonia, de journaliste reporter tv à copywriter
Lorsqu’elle ramenait une info exclusive c’était uniquement dû au fait qu’elle draguait tout le monde et savait soutirer des informations. « J’avais tout le temps des remarques sur mes tenues, mes seins et mes fesses. Dès que j’arrivais en rédac, on disait que mes vêtements avaient été achetés par un joueur de foot. En gros, femme d’origine marocaine est égal à beurette et donc escorte. »Son rédacteur en chef lui propose même de coucher avec le monteur de la boîte car il la trouve « canon ». Peu à peu, Sonia est mise à l’écart de la rédaction car elle répond probablement trop à ces remarques. « Je n’étais jamais au courant des apéros en dehors de la redac et ensuite on me disait « Pourquoi tu ne viens jamais? ». Je passais pour la fille associable alors qu’on ne me passait jamais l’info. »« J’avais tout le temps des remarques sur mes tenues, mes seins et mes fesses. Dès que j’arrivais en rédac, on disait que mes vêtements avait été achetés par un joueur de foot. En gros, femme d’origine marocaine est égal à beurette et donc escorte »
Dominique* de rédacteur en chef à instit
« Quand on avait des CDD il était d’usage de les presser comme des citrons. On savait qu’ils ne diraient jamais non alors on en profitait »
Marion, du journalisme reporter d’images au design
« J'ai fait cette fabuleuse découverte du métier "d'ouvrière 3.0". Le principe est très simple et n'importe qui peut le faire, même ma grand-mère »
Flavien* du journaliste web à la photographie de communication
Flavien passe sa journée à analyser les chiffres et les statistiques pour obtenir toujours plus d’audience. Tous les mois, il doit rendre des comptes sur les vues de ses articles à ses chefs avec un tableau des scores. « Il y avait même des sujets sur lesquels on n’avait pas le droit d’écrire si ce n’était pas recherché sur Google même si c’était intéressant ou important. « Si demain plein de gens cherchent pipi caca sur Google ils feront un article dessus. »L’ancien journaliste regrette même d’avoir choisi de s’orienter vers le journalisme et reproche à son ancienne école de ne pas assez renseigner sur le métier : « On nous a peu informés des conditions qui nous attendaient, surtout sur les piges, tout tournait autour de la noblesse des beaux reportages qu’on nous a vendu à fond mais ce n’est pas ça qui paie le loyer. J’ai l’impression d’avoir perdu mon temps. » Plusieurs mois après sa première demande de rupture conventionnelle, l’Internaute a finalement accepté le départ de Flavien.La course à l’audience, les bas salaires et l’ambiance délétère ont eu raison de Flavien qui s’est à présent lancé en tant que photographe de communication. « Ça m’a libéré d’arrêter, je me sens beaucoup moins oppressé et irritable. »« Si demain plein de gens cherchent pipi caca sur Google ils feront un article dessus »
Sabrina Belalmi, de journaliste sportive à la communication du PSG
Sabrina est passée d’un extrême à l’autre. Du travail dans l’urgence au terrain à outrance. « Quand j’étais journaliste TV à Itélé, je n’allais jamais sur le terrain et c’était insupportable, je travaillais toujours dans l’urgence à devoir faire une illustration, un off sans jamais réfléchir. À tel point que j’étais incapable de dire ce qu’il s’était passé dans l’actualité de la journée. »« J’étais incapable de dire ce qu’il s’était passé dans l’actualité de la journée »
Maxime R, ancien photojournaliste en plein reconversion
François*, du journalisme à la fonction publique
Un jour, son médecin lui impose du repos et l’arrête pour quelque temps. Ce presque burn-out le fait réfléchir : « J’ai réalisé très calmement et sereinement que je ne serai pas journaliste toute ma vie car je n’avais pas envie d’y laisser ma santé et ma vie privée. » Une fois rétabli, il retourne au travail tout en sachant qu’il quittera un jour ce métier.« La grosse raison qui m’a fait arrêter le journalisme c’est BFM TV. Je ne quitte pas le journalisme fâché, je suis heureux de tout ce que j’ai fait mais je suis très mal à l’aise avec le fait que tous les médias se fassent dicter une partie par la tendance de l’info en continu. » Ces dernières années, François a tenté de ramener certains sujets dans leur juste mesure, auprès de ses chefs, pour éviter de produire un BFM réchauffé. « Avec les réseaux sociaux et l’information en continu, il y a une accélération du temps de l’actualité qui fait qu’il y a de moins en moins de hiérarchie entre les sujets. Je trouve ça très dangereux. »François donne l’exemple de la fusillade de Nice en juillet dernier. « C’est une fusillade comme il y en a régulièrement dans plein de villes en France mais avec BFM sur place, ça devient THE sujet, Estrosi se rend sur les lieux avec eux et finalement le Premier ministre annonce quelques jours plus tard la création de 10 000 postes de police, c’est n’importe quoi. » C’est ce genre de situation qui a amené François à passer un concours de la fonction publique cette année. Après 11 ans de journalisme, François est impatient de découvrir de nouveaux horizons, sans regretter une seule fois le chemin qu’il a traversé.« La grosse raison qui me fait arrêter le journalisme c’est BFM TV »
Marie Desgré, de journaliste pigiste à communicante
En plus de cette instabilité, Marie remarque un prisme parisien dans beaucoup de sujets d’actualité. « Les rédactions sont tellement peuplées de journalistes blancs issus de classes sociales plutôt élevées que ce n’est pas toujours facile de traiter des sujets sous une autre perspective. »Au fil des années, le journalisme la déçoit. Ce n’est pas l’idée qu’elle s’en faisait. Les rédactions abusent de plus en plus des copier-coller du fil AFP et des reprises des sujets du Parisien sans prendre d’envisager autre chose. Le journalisme web qu’elle avait choisi pour travailler sur de nouveaux formats devient ce monstre qui court derrière l’audience.Marie décide de faire une pause et de mettre fin à ses carrières qui n’a plus grand sens à ses yeux. À présent, elle travaille à la communication interne d’un établissement public. « J’ai découvert que quand tu passes des entretiens dans autre chose qu’une rédaction ; on te considère et on te demande ce que tu as envie de faire. Les entretiens en journalisme, on me faisait souvent comprendre que j’avais déjà de la chance d’être là. »* Par souci d'anonymat, ces prénoms ont été modifiés.Justine est sur Twitter.VICE France est aussi sur Twitter, Instagram, Facebook et sur Flipboard.« Les rédactions sont tellement peuplées de journalistes blancs issus de classes sociales plutôt élevées que ce n’est pas toujours facile de traiter des sujets sous une autre perspective »