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Saisonniers des banquises : « Nous avons une salle de sport et même internet ! »

Ils ont choisi de s'isoler, d'avoir les doigts gelés et de compter des pingouins. On a rencontré les candidats à ces nouveaux jobs saisonniers en conditions extrêmes.
Photo : AFP Photo / Rachael Herman / Stony Brook University / Louisiana State University

Tout plaquer pour un job au bout du monde ? Oui, mais en Antarctique. C’est le choix que font, chaque année, plusieurs centaines de jeunes français recrutés par l’Institut Polaire Paul-Emile Victor. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, tous ne sont pas biologistes ou météorologistes : pour que la vie s’organise, il faut aussi des électriciens, des boulangers, des mécaniciens…
Les conditions sont extrêmes : froid polaire, isolement, ravitaillement tous les six mois, vie en microsociété… Et le salaire ne dépasse pas le SMIC. Alors une question s’impose : pourquoi ? On l’a posé à quatre d’entre eux, à leur retour de cette année passée sur la banquise.

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Yann Pezin, 23 ans, boulanger, hivernant en Antarctique

Pourquoi avez-vous tenté cette expérience ?
Pour l’aventure ! J'ai toujours voulu explorer la planète. Alors que j’ai entendu parler de cette mission, j'ai tout de suite voulu tenter le coup : c'était l'occasion de partir à la découverte du monde, tout frais payés. A l’époque, j'étais apprenti chocolatier à Brest. J'ai eu beaucoup de chance parce qu’il n'y a qu'un seul boulanger par an qui est sélectionné !

En quoi consistait ton travail sur place ?
Je confectionnais du pain et des desserts pour tout le personnel de la base. Parfois, j’aidais aussi en cuisine quand le chef avait besoin de moi. J’étais fier de ce boulot parce j’aime à penser que la nourriture contribue au bien-être des gens – surtout dans un environnement aussi isolé.

À quoi ressemblait la vie quotidienne sur la base ?
Pour ce qui est de la nourriture, nous avions tout ce qu’il nous fallait. Sauf des légumes, frais, puisque nous n’étions ravitaillés que tous les cinq mois. Côté loisirs, nous avions à notre disposition milliers de livres et de films, des jeux de société et…des kilomètres de banquise !

Quel a été pour vous le moment le plus difficile ?
Quand il y a eu les attentats, en France. Nous recevions les infos en décalé, donc on a eu du mal à avoir des nouvelles de nos proches. C’était très stressant et d’un coup, je me suis vraiment senti loin de tout, au bout du monde…

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Anne Royer, 36 ans, volontaire civile à l'aide technique, hivernante Terres Australes Françaises

Qu’est-ce qui vous a donné envie de partir aussi loin ?
Je voulais découvrir les paysages extrêmes et inaccessibles des Terres Australes. Je n’ai pas été déçue : je me suis retrouvé sur l’île d'Amsterdam, un îlot volcanique de 58 km2, totalement désertique et totalement perdu dans l'océan. C’est situé au nord est des îles Kerguelen, à des milliers de kilomètres de la civilisation. Il n'y a qu'une vingtaine de personnes qui y vivaient et… c'étaient nous. Nous étions les seuls humains sur l'île. Moi, j’ai été recruté pour mesurer le CO2 atmosphérique sur l’île. Un boulot que je connaissais puisqu’avant de partir, je travaillais dans un laboratoire de métrologie, à Trappes.

Ce n'est pas trop dur d'être si loin de la mère patrie ?
Si, mais les conditions de vie étaient plutôt bonnes. D’ailleurs, la base était très colorée pour contraster avec la grisaille du climat. A l’intérieur, il y avait un restaurant, une salle de jeux avec billard et baby-foot, une salle de cinéma, une bibliothèque… Autour de la base, il y avait même des cabanes pour que nous puissions nous réunir en petit groupes les jours de congé – comme si on partait en week-end !

Quel bilan tirez-vous de cette expérience ?
D’abord, j'ai acquis un grand respect pour la nature et les animaux qui peuplent ces îles lointaines. Et puis, j’ai appris à être plus autonome parce que là bas, il faut savoir se débrouiller avec ce qu'on a sur place. Le navire de ravitaillement ne passe que quatre fois par an pour approvisionner la base. On est loin d'Amazon et de sa livraison en 48 heures !

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Christophe Brière, 32 ans, mécanicien-logisticien, hivernant au Pôle Nord

Qu’est-ce qui vous a motivé à partir ?
Je voulais me rapprocher de la nature et vivre l’expérience des contrées polaires - le froid extrême, la nuit qui dure plusieurs mois, la vie dans une microsociété… Avant de partir, j’étais en CDD à Lorient où je bossais dans une équipe de course au large. Après plusieurs candidatures, j’ai finalement été retenu pour être mécanicien-logisticien sur l'île Svalbard, une île grande comme la Corse, située à 1000 kilomètres au sud du Pôle Nord. Et où il y a plus d’ours blancs que d’être humains !

Est-ce que ça a été difficile de passer douze mois dans le froid ?
On est quand même très loin des conditions de vie des explorateurs polaires ! On mange très bien, même si la base n'est pas ravitaillée en produit frais de décembre à mai… Nous avions une salle de sports et même un accès à internet. Ca n’était pas l’enfer Arctique !

Qu’est-ce qui a été le plus difficile à vitre ?
Être loin de mes amis et de ma famille pendant une longue période. Et puis, la nuit polaire n'est pas simple à vivre : le soleil ne passe pas au-dessus de l’horizon de fin octobre a début mars. Impossible de savoir si il est midi ou minuit, il fait nuit noire en permanence !

Qu'avez-vous appris en partant là-bas ?
J'ai gagné en maturité dans mes prises de décision. L’Arctique est un environnement qui ne pardonne pas et chaque erreur peut avoir des conséquences mortelles… Crevasses, températures négatives, eaux gelées, ours blancs, pas ou peu de secours possible en cas de problème. Donc cela responsabilise pas mal ! Et ça m'a donné le goût de l'aventure. Actuellement, je monte un projet de course à la voile !

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Claire Vandenhaute, 30 ans, mécanicienne, hivernante en Antarctique

Pourquoi avez-vous accepter de partir sur la banquise ?
J'étais déjà allée dans ces régions et j'avais envie d'y retourner car les paysages de désert glacé m'avaient vraiment marquée. Avant mon départ, j’étais mécanicienne sur des navires câbliers, au Havre. Alors, je me suis portée volontaire pour travailler dans la production d’électricité et d’eau potable sur l'île des Pétrels, en plein Antarctique !

Qu'est ce qui a été le plus difficile à vivre ?
L'éloignement des proches est probablement ce qui a été le plus dur. Et le fait de vivre en microsociété n’est pas toujours évident. D’autant qu’il faut absolument que l’ententeentre les hivernants soit cordiale car nous n'avons pas la possibilité de quitter la base pendant l'hiver.

Que faisiez-vous quand vous n'étiez pas en train de travailler ?
Il y a beaucoup d'activités de groupe de proposées par les hivernants eux-mêmes : concours de cuisine, billard, fléchettes, pocker… Nous avons même monté une pièce de théâtre. Et puis, c'est l'occasion de découvrir des métiers car chaque hivernant a une spécialité différente. Il est donc facile d'apprendre à souder, à utiliser un tour, à fabriquer des objets en bois. Lorsque le temps le permettais, nous sortions compter les manchots, les phoques, mesurer des épaisseurs de glace… Cela donne la possibilité de faire belles randonnées sur la banquise.