Un mois avec la mort dans un temple népalais

FYI.

This story is over 5 years old.

Interviews

Un mois avec la mort dans un temple népalais

Les choses que j'ai comprises en voyant des cadavres brûler et des filles pleurer.

Toutes les photos sont de Yani Clarke

Cette année, la photographe Australienne Yani Clarke a passé un mois au Népal. Elle y est restée plus d'un mois afin de documenter les choses bizarres qui se déroulent dans le temple Pashupatinath, lieu où l'on incinère plus de 40 corps par jour. Si la présence constante de la mort et de la douleur se fait déjà ressentir partout entre ses murs, le Pashupatinath est en plus particulièrement sombre. Les photos de Clarke sont pleines d'hommes saints, de singes et de célébrations. Mais surtout, elles sont comme habitées par la mort.

Publicité

VICE : Pourquoi avez-vous décidé de passer autant de temps au temple Pashupatinath ?
Yani Clarke : J'avais déjà passé plusieurs semaines à Pashupatinath il y a quelques années, quand j'aidais mon mentor Jack Picone sur un workshop à Katmandou. Après être partie, j'ai ressenti un étrange sentiment de culpabilité de ne plus être là-bas. J'y suis retourné cette année car un crématorium électrique s'apprête à ouvrir d'ici quelques mois. Lorsqu'il aura ouvert, cette pratique va considérablement diminuer.

C'était votre première rencontre intime avec la mort – cela vous a-t-il ouvert les yeux ?
Je me souviens du premier corps que j'ai vu là-bas, je me souviens de l'odeur de la chair, et de mon esprit qui a comme « ralenti ». Au fil des semaines, j'ai été de moins en moins affectée par ce que je voyais. Jusqu'à ce que ces sensations me paraissent parfaitement normales.

Pouvez-vous me parler de l'homme saint qui apparaît sur vos photos ?
Il y a beaucoup de faux hommes saints au temple, qui sont en réalité là pour se détendre et se faire un peu d'argent. Ils passent leurs journées à se prélasser au soleil en se défonçant au shilom et parfois, prennent des photos avec les touristes. J'avais de grandes réticences à payer pour les photos car prendre quelqu'un en photo ne devrait pas impliquer de transaction financière ; ça en détruit tout le sens. Ces hommes saints, saints ou pas, sont des types de toute façon vraiment sympas. À ce point que certains d'entre eux m'ont même ajoutée sur Facebook.

Publicité

Les femmes sont exclues de bon nombre des rassemblements que vous avez photographiés. Comment avez-vous négocié ce problème ?
Tout est une question d'attitude – les gens vous testent. Dès que je me suis intégré dans une foule de centaines d'hommes, l'un des hommes saints, nu, s'est dressé devant moi et a brandi son pénis devant mon objectif. J'ai pris la photo et j'ai ri avec tous ceux qui étaient autour, avant d'aller m'asseoir avec les autres hommes nus. Pendant des heures, ils ont continué à me tester. Lorsqu'ils ont compris qu'ils ne pouvaient pas m'effrayer, ma présence ne les intéressait plus.

Quel est le rituel qui vous a le plus marqué ?
Sans doute une crémation bouddhiste à laquelle j'ai assisté juste avant de partir. Le corps était enveloppé dans un linceul de soie orange couvert de fleurs. Chez les bouddhistes, c'est la fille qui doit mettre feu au corps. Je n'étais qu'à quelques mètres de cette jeune fille d'à peu près mon âge, qui devait donc allumer le corps de sa propre mère – elle pleurait. À cet instant, une femme que je n'avais jamais rencontrée s'est approchée est m'a prise dans ses bras. Ensemble, nous avons regardé la crémation, qui s'est avérée incroyablement brutale. Soudain, quelque chose est arrivé à cette femme ; c'était comme si sa colonne vertébrale ressortait de son sternum, que son corps avait commencé à se décomposer. Dans le bouddhisme, on purifie le corps durant quatre jours ; quand ils ont retiré le linceul de soie et l'emballage plastique, un de ses bras s'est presque décroché.

Publicité

Pensez-vous que ces expériences ont affecté votre rapport à la mort ?
Quand la mort n'est pas présente dans votre vie quotidienne, vous avez tendance à penser que c'est quelque chose qui n'arrive qu'aux autres. La mort et le fait de mourir sont comme interdit d'accès ; on n'en parle même pas. Pas plus tard que la nuit dernière, j'ai perdu un ami d'enfance dans un accident de voiture. La vie est si éphémère, on arrive seulement à s'en rendre compte lorsqu'un proche vient à mourir.

Voir autant de morts m'a rendue plus humble vis-à-vis de mon environnement. Plus que tout, je ressens l'urgence de faire exactement ce que je veux faire dans ma vie, d'être honnête et ouverte dans toutes mes interactions et d'abandonner mon attachement aux choses matérielles. Rien n'est permanent et la mort n'a rien d'injuste. C'est seulement la manière dont nous la voyons qui est biaisée.

Interview de Laura Rodriguez Castro. Suivez-la sur Twitter.