Acier compressé et plat pays : avec les Big Bangers des Flandres
Photos  : David De Beyter 

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Culture

Acier compressé et plat pays : avec les Big Bangers des Flandres

Le photographe David De Beyter suit cette communauté de passionnés de mécanique pour qui la course auto rime forcément avec tôle froissée.
Pierre Longeray
Paris, FR

Au bord de la Lys, la rivière qui court le long de la frontière franco-belge, des types tournent en rond à toute balle. Tous les mois, ceux qu’on appelle les Big Bangers investissent le mythique ovale de Warneton pour aller froisser de la tôle et faire rugir leurs moteurs dans la brume typique des Flandres. Et depuis maintenant trois ans, le photographe David De Beyter a intégré cette petite communauté de passionnés de mécanique, qui bricolent des carcasses de voitures récupérées sur Le Bon Coin ou dans les casses.

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Au prix d’un travail qui flirte avec l’anthropologie, De Beyter vient de publier un premier ouvrage sur ces Big Bangers, Damage Inc. (RVB Books), recension de collages tirés de fanzines anglais de Big Bangers des années 1990. En attendant la publication du deuxième volet de ce projet, une somme de photos couleurs prévue pour 2019, on a causé plat pays et acier compressé avec le jeune artiste de 33 ans.

VICE : Vous racontez que vous êtes tombés sur les Big Bangers un peu par hasard…
David de Beyter : Avant de me lancer dans ce projet, je m’intéressais déjà beaucoup au territoire des Flandres, que j’avais envie de photographier. Le hasard a fait qu’un jour, je suis tombé sur un type qui tournait en rond dans un champ avec une vielle voiture américaine des années 1970, typique des Big Bangers. En dérapant dans le champ, il laissait comme une trace dans le paysage, ce qui m’a fait penser au land art et au travail d’artistes comme Michael Heizer. Les gestes et les interventions sculpturales dans le paysage m’ont toujours beaucoup intéressé, du coup j’ai eu envie de faire dialoguer cette pratique du Big Banger avec ces paysages du nord.

Vous êtes né dans le coin, à Roubaix, et vous habitez à Tourcoing. Qu’est-ce qui vous plait dans ces paysages ?
C'est un territoire qui est souvent embrumé, assez plat et qui demande à être sublimé. La pratique des Big Bangers permet de transcender ce territoire selon moi.

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Qu’est-ce qui différencie le Big Banger de pratiques similaires pour un néophyte, comme le stock-car ou le demolition derby ?
Les règles différentes. L’origine de ces pratiques remonte aux années 1960 en Angleterre, quand à la fin des courses de voitures, ils pratiquaient ce qu’ils appelaient la « destruction finale ». Au fur et à mesure, les organisateurs de ces courses se sont aperçus qu’il y avait plus de monde en tribunes pour la destruction des voitures que pendant la course. Donc, ils en ont fait une catégorie à part entière. Ce qui rend le Big Banger unique, c’est qu’il ne s’agit pas seulement de détruire des voitures comme dans le demolition derby. Le big banger mélange des pilotes qui sont là pour faire la course – qu’on appelle les rodders – et d’autres dont l’objectif est de détruire les autres voitures – les wreckers.

Vous avez passé pas mal de temps à trainer aux abords des circuits et dans les garages pour votre projet. Qui sont ces Big Bangers ?
Ils ont tous en commun une passion pour la mécanique, mais ils viennent d'univers différents : il y a autant de mécanos, de carrossiers, de dépanneurs, que d'ingénieurs, ou des fils d’agriculteurs.

Cette pratique est-elle une forme d'exutoire ?
C'est effectivement une forme de déchainement joyeux. En Belgique, c’est une pratique purement amateur, qui relève du hobby dominical, où l’on vient en famille. Les gamins jouent au milieu des carcasses, les femmes roulent dans des catégories spéciales… De ce que j’ai vu, on devient un peu banger de père en fils, il y a comme une forme de legs. J’aime bien justement cette ambiguïté qui existe entre quelque chose qui relève du chaos et de la destruction, mais qui reste un loisir qu’on pratique en famille.

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Comment font-ils pour trouver les voitures ?
Il n’y a pas vraiment de règles. Chacun a ses petits plans et ses réseaux. Il est possible d’en trouver sur Le Bon Coin, dans les casses… Cela ne coûte pas grand chose, parce qu’ils ne récupèrent pas le moteur, mais seulement la carcasse, qui ne vaut rien. 70 euros à tout casser.

D’un point de vue extérieur, l’univers des bangers parait codifié et un peu secret. Vous n’avez pas eu trop de mal à vous faire accepter ?
Je comparerais cet univers à celui des scènes post hard-core que j’ai bien connu. C’est assez codé. Toutes les teams ont des noms : Terminator, No Limit, Bears, Wolf Team… On n’y rentre pas forcément comme ça. Ça se fait par des circuits courts via les personnes qui ont créé les teams. Cela m’a pris un an avant d’être bien intégré dans le milieu, notamment en passant pas mal de temps sur un circuit en Belgique, le Warneton Speedway [un circuit de Big Bangers dans le pays], afin d’identifier quelles teams je trouvais intéressantes, celles dont les membres habitaient dans le coin. Là, j’ai pris des numéros de téléphones pour aller les voir dans leurs garages, chez eux. C’est vraiment à partir de ce moment que je me suis rendu compte de l’ancrage très fort de cette pratique avec le paysage.

Les Big Bangers entretiennent-ils une sorte de fétichisme des pièces écrasées ?
Pas du tout. Ils gardent uniquement les pièces qui rendent hommage à un ami décédé par exemple. C’est plutôt moi qui leur demande de garder de côté certaines pièces. J’appréhende ces bouts de carcasses comme des artéfacts au sens archéologique du terme. Le fait d’aller glaner, ramasser, ou de déplacer des planches dans les garages pour récupérer des objets qu’ils ont jeté, cela fait partie intégrante du processus.

Vous employez aussi le terme d’autos sculptures pour désigner ces compressions de carcasses.
Il n’y a pas d’enjeux esthétiques ou plastiques chez les bangers, ils ne sont pas là en train de fabriquer des sculptures. Mais ces objets proposent une réflexion sculpturale par rapport à ces gestes qui émanent d’une pratique amateur.

Le fait de déplacer ces objets dans un autre paysage permet donc de les regarder sous un autre angle ?
Exactement. C’est le même territoire, mais moi je les déplace de 15 kilomètres. En les déplaçant, on révèle ces gestes qui émanent d’une pratique amateur et qui ne seraient pas lus ou vus s’ils n’étaient pas disposés dans ce contexte paysager. C’est là où j’agis. Au début, j’analyse de manière sociologique ou anthropologique des gestes, je les répertorie, je les classe, certains m’intéressent. Et quand je sens qu’il y a un pouvoir sculptural, je viens révéler ces gestes là.

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