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Quand le Coke était corse et qu’il y avait vraiment de la cocaïne dedans

La cocaïne n'était pas encore illégale aux États-Unis au début du 20e siècle et servait même à des fins médicales, sous forme de poudre ou de pilule.
Alexis Ferenczi
Paris, FR

L'article original a été publié sur Munchies.

Provence, 26 août dernier. Les employés d'une usine française de Coca-Cola s'apprêtent à faire une découverte plutôt originale. Dans un des conteneurs en provenance d'Amérique du Sud, après un transit par le port près de Marseille, ils tombent sur 370 kg de cocaïne cachés dans des sacs à dos.

Xavier Tarabeux, procureur de la République à Marseille, se félicite de la prise qu'il place sur le podium des saisies les plus spectaculaires réalisées en France ces derniers mois. Il en estime la valeur marchande à plus de 50 millions de dollars.

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Si la poudre bolivienne saisie n'était pas destinée à la compagnie, elle a par contre toujours fait partie de l'histoire de sa boisson gazeuse. Elle est d'ailleurs à l'origine de toutes sortes de questions : Pourquoi la recette est-elle secrètement gardée dans un coffre à Atlanta? Pourquoi en donnait-on aux GI avant de les envoyer sur les plages de Sicile ou de Normandie? Pourquoi ai-je autant de mal à arrêter de boire cette putain de boisson gazeuse qui me ronge les gencives?

En réalité, la cocaïne et le Coke ont d'abord fait bon ménage. L'histoire de leur rencontre commence à la fin du 19e siècle. Angelo Mariani, fils de pharmacien corse, monte à la capitale pour travailler comme préparateur de toniques. Des boissons qui font fureur à l'époque, rappelle Aymon de Lestrange, auteur d'une biographie (Angelo Mariani 1838-1914 aux Éditions Intervalles) à TV5Monde.

Angelo Mariani par Nadar

« Il est chargé d'expérimenter des mélanges avec du quinquina — plante qu'on trouve notamment dans le Dubonnet, un vermouth aromatisé, et qui servait à soigner la malaria — de la noix de kola ou de la feuille de coca. C'est avec cette nouvelle plante qu'il pense pouvoir faire quelque chose. »

Mariani faisait macérer 60 grammes de coca dans un excellent vin de Bordeaux pendant plusieurs mois. Un ou deux verres par jour, cela correspondait environ à une ligne de cocaïne inhalée.

Mariani va pouvoir tester son produit dans une anecdote très Belle Époque, contée avec malice par Lestrange. « Une cantatrice enrouée entre dans sa pharmacie et lui demande un remède. Mariani explique qu'il travaille sur une décoction à base de vin de Bordeaux et de feuilles de coca. La cantatrice goûte, trouve ça génial et lui commande plusieurs bouteilles. » Le vin tonique Mariani à la coca est né.

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L'ancêtre du Coca-Cola est d'abord prescrit contre la grippe, l'insomnie ou les maux d'estomac. Et on y trouve des traces de cocaïne puisque c'est un des 14 composants de la coca, plante connue des Andins depuis des millénaires, dont les feuilles étaient acheminées depuis la Bolivie. Pour Lestrange, c'est un alcaloïde parmi d'autres. « Mariani faisait macérer 60 grammes de coca dans un excellent vin de Bordeaux pendant plusieurs mois. Un ou deux verres par jour, cela correspondait environ à une ligne de cocaïne inhalée. C'était indéniablement une boisson tonique. »

Le vin Mariani connaît un succès retentissant et traverse les frontières. Le mélange visionnaire séduit les papes, les souverains, les célébrités et Ulysses S. Grant, président des États-Unis. Beaucoup tentent de l'imiter et Lestrange recense des centaines de copies qui, en l'absence de lois sur la propriété intellectuelle, ne sont pas inquiétées. C'est là que la jonction avec le Coca-Cola se fait.

Un pharmacien d'Atlanta, John Pemberton, s'est lancé dans les boissons toniques et sort son French Wine Coca. « Un aveu » selon Lestrange. Il assure que l'américain s'est inspiré de Marinai : « Il le dit lui-même. Mais, pour son malheur ou sa grande chance, les premières lois de prohibition sont votées aux États-Unis. Il est alors obligé de remplacer le vin dans son mélange. Il choisira le soda comme substitut. »

En 1886, il sort une version sans alcool avec du sirop de sucre, de l'acide citrique, de la noix de muscade, de la vanille, de l'huile de cannelle chinoise et deux ingrédients qui donneront leur nom au soda : de la poudre de noix de kola (blindée en caféine pour donner un petit coup de fouet) et de l'extrait de feuille de coca.

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Si l'alcool disparaît, il faudra attendre un peu pour la cocaïne. Elle n'est pas encore illégale aux États-Unis au début du 20e siècle et sert même à des fins médicales, sous forme de poudre ou de pilule contre le mal de tête, la constipation, l'impuissance, l'asthme ou les nausées. Mais elle le sera bientôt.

Quand les scientifiques inventent un procédé pour retirer toute trace de cocaïne dans les extraits de coca, Pemberton peut voler vers le succès. En 1903, le Coca-Cola n'en contient plus. La boisson corse, elle, suivra quatre ans après. Le vin Mariani sera commercialisé en France — sans cocaïne — jusqu'en 1963.

Aujourd'hui, les techniques modernes permettent de savoir ce qu'on trouve dans le Coca-Cola. Il n'y a bien sûr aucune trace de cocaïne, mais pas mal de sucre et de produits qu'on peut utiliser pour dissoudre des pièces de monnaie. Surtout, on y trouve les vestiges du génie d'un pharmacien corse qui aura désaltéré avec son invention les plus grandes personnalités du 19e siècle.

Toutes les illustrations sont issues d'Angelo Mariani 1838-1914,Le vin de coca et la naissance de la publicité moderne, d'Aymon de Lestrange, paru aux Éditions Intervalles.