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Jour de vote pour les pro-Bachar du Liban

J'ai passé une journée avec les gens qui ont réélu le dictateur syrien avec 88,7% des voix.

Sur le chemin de l'ambassade syrienne, le seul bureau de vote de ces élections au Liban ; Photos : Elie-Louis Tourny

Le mercredi 28 mai 2014 était un jour de fête pour les pro-Bachar du Liban. Ce jour-là, 1 million et demi de Syriens résidant au Liban ont été invités à l’ambassade de Syrie à Beyrouth afin d'élire l'un des trois candidats au poste de président de la République arabe syrienne. Le journaliste Elie-Louis Tourny a passé cette journée avec eux afin de comprendre leurs motivations.

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À peine ai-je eu le temps de frapper à la porte qu’Ali m’a ouvert sur le champ. Lui et ses trois amis m’ont donné rendez-vous dans leur appartement du quartier de Nabaa, au nord de Beyrouth, la capitale libanaise. Il ne tient plus en place. Rempli d’émotion, il m'a salué à la manière des anciens de son village d’origine : trois bises ponctuées de trois autres sur les épaules. Il s'est exprimé si vite que j'ai seulement pu distinguer les mots « Bachar » et « intikhabat » (élection) de tout ce qu'il m'a dit.

Arborant fièrement un t-shirt à l’effigie de Bachar el-Assad, il est inutile de questionner Ali sur ses intentions de vote. Il y a encore six mois, il était membre de la milice pro-régime de son village, à l'ouest de la Syrie. Mais lorsque la guerre s'est intensifiée et que les jeunes ont été appelés à combattre dans les points chauds du pays, sa mère l’a prié de partir. « Si ma mère n’était pas là, je serais en train de me battre aux côtés de l’armée de Bachar », assure t-il.

Dans l'appartement d'Ali, dans le quartier de Nabaa, avant le départ

Ces jeunes Syriens n’ont pas fui les bombardements, mais le service militaire. Originaires de Salamyé, région contrôlée par le régime, ces jeunes ismaélites – une secte dérivée du chiisme et proche des alaouites – constituent la chair à canon du régime.

Modar, le leader de la bande, est lui aussi pro-Bachar. Surtout, il voue une haine féroce à l’égard des islamistes et souhaite la mort de ces « chiens de barbus ». Son père a péri il y a trois mois dans un attentat à la voiture piégée, revendiqué par le Front Al-Nosra. « Je vais voter avec mon sang », crie t-il en sortant de sa poche une aiguille avec laquelle il compte piquer son doigt lors du vote.*

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Alors qu'ils se préparent, je demande à Selim et Samy, les deux autres Syriens de la bande, pourquoi ils sont si excités par ce vote. Ils se regardent l'un l'autre, comme s'ils s’interrogeaient sur ce qu’ils devaient répondre. Vérifiant par le vasistas que ses deux autres amis sont toujours occupés à débattre sur la grandeur du président, Selim me confie qu’aujourd’hui est un jour de fête. « Nous allons retrouver nos amis, voter tous ensemble et aller à la plage », m'explique-t-il en m’invitant à les rejoindre.

J’avais du mal à comprendre ce qu’il entendait par « fête » avant notre arrivée au point de ralliement des navettes pour l’ambassade. Sur la place du quartier, des centaines de jeunes – qui se connaissent tous pour la plupart – dansent et chantent à la gloire de Bachar. S’il y avait des opposants dans la foule, ils se sont faits très discrets – et vu le nombre et l’excitation des supporters d'Assad, je les comprends totalement.

Au point de ralliement, avant de monter dans les bus

Comme tous les autres quartiers de Beyrouth, celui dans lequel nous nous trouvons est très politisé. Des drapeaux du Hezbollah sont accrochés un peu partout, ainsi que des affiches qui représentent Bachar el-Assad et Hassan Nasrallah, secrétaire général du Hezbollah. Pour moi, la fête est de courte durée. Quelques instants après avoir sorti mon appareil photo, un jeune homme me tombe dessus et se met à me poser tout un tas de question. Malgré l’assistance de mes hôtes, on me conduit dans le bureau du chef local du parti Baas, le parti du régime syrien. Il m’interdit de prendre des photos, tout en me souhaitant la bienvenue. Un peu déçu de cet accueil, je rejoins mes compagnons. Samy, qui avait oublié son passeport, me demande de l’accompagner à l’appartement. À mi-chemin, il me prend par le bras et me sort son passeport. Son histoire n'était qu'un prétexte pour me voir seul à seul. Il regarde autour de lui, s’arrête et me parle tout bas : « Je ne suis pas comme Ali ou Modar. Moi, je n’aime pas Bachar. Si je vais voter, c’est pour faire comme tout mes amis. J’ai entendu que, si on ne votait pas, on risquait de ne plus pouvoir rentrer en Syrie. »

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Lorsqu’il remarque mon intérêt pour ce qu'il dit, il poursuit et m’avoue avoir participé aux premières manifestations à Salamyé. Son ami Ali était lui aussi présent, mais du côté des autorités, qui arrêtaient et frappaient à coup de matraques les manifestants. « Heureusement, je n’ai pas été arrêté et, comme j'étais masqué, Ali ne m’a pas vu, » dit-il d’un air amusé.

Nous retournons au point de ralliement quelques instants plus tard, où la tension est montée d’un cran. Si Ali a réussi à monter dans un bus, Modar et Sélim attendent toujours. Les détonations des feux d’artifices se confondent avec les coups de feu tirés pour fêter l'évènement. Vers 10h, à l’arrivée des premiers bus – dont la plupart ont été affrétés par l'ambassade syrienne –, les gens sont tellement surexcités qu’ils tentent de monter par les fenêtres. Deux heures et une quinzaine de cars plus tard, nous parvenons, sans trop de bousculade, à rentrer dans l'un d'eux. Arrivé au pied de l’autoroute qui mène à l’ambassade, le véhicule s’arrête. La route est complètement bouchée ; nous devrons faire les trois kilomètres qui restent à pied.

De jeunes Syriens, sur l'autoroute qui mène à l'ambassade

Un militaire contrôle les passeports à la sortie du car – soit la seule mesure anti-terroriste ayant été prise. Dans l’agitation de la foule, l'homme ne fait pas attention à l'origine étrangère du mien et me laisse passer. D'un air amusé, Modar me dit fraternellement : « Tu es Syrien maintenant, allons voter Bachar ! »

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Le spectacle qui s’offre à nous est impressionnant. Des milliers de Syriens sont venus voter et manifester leur soutien à leur président. Sous un soleil de plomb, nous entamons notre ascension vers l'ambassade. Les gaz d’échappement des véhicules rendent l’air irrespirable. Des dizaines de personnes s'agglutinent sur le côté de la route à la recherche d'un coin d'ombre. Certains font des malaises. Plus loin, on aperçoit un camion de pompier asperger d'eau la foule afin de prévenir les déshydratations. Modar, Selim et Samy se regardent un instant puis, dans un élan d’euphorie, se mettent à courir, comme si seuls les plus rapides parviendraient à donner leur vote à Bachar. S’ensuit vingt minutes d’une course épique sur cette route bondée qui n’en finit plus de monter.

Une femme, assommée par la chaleur

Notre chevauchée dure un bon kilomètre. Enfin, nous retrouvons Ali, arrivé plus tôt. Il guette notre passage depuis des heures, perché sur la glissière de sécurité. Déçu, il nous explique qu'il n'a pas pu voter. Il raconte qu'une foule immense s'est accumulée devant les portes de l’ambassade, l'unique bureau de vote du pays, forçant les autorités, dépassées, à la fermer et à frapper à coup de matraques ceux qui refusaient de reculer.

Au même moment, nous voyons passer un homme, le t-shirt déchiré et le nez visiblement fracturé. Il raconte s'être fait frapper par l’armée. L'excitation du groupe retombe aussitôt. L’ambassade étant fermée, nous décidons de rentrer. Dans le bus qui nous ramène chez nous, un autre homme explique avoir vu une femme mourir étouffée sous les piétinements de la foule. Bien que cette information se soit par la suite révélée fausse, nous l'avons tous prise avec beaucoup de gravité.

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Les gens, déçus de n'avoir pas pu voter et de s'être déplacés pour rien, reprennent des forces à l'ombre avant de faire le chemin inverse

De retour à Nabaa, épuisés et désabusés, nous ne sommes pas allés à la plage, comme l'avait prévu Selim. La fête s’est arrêtée là.

Près d'une semaine plus tard, le 3 juin, les élections étaient organisées en Syrie. Sans grande surprise, Bachar a été plébiscité avec 88,7% des voix. Sa réélection a donné l'espoir à mes nouveaux amis que la Syrie redevienne comme avant : un pays toujours dirigé par un dictateur, mais sans « terroristes ».

« Le plus important, c’est qu’il n’y a pas eu d’attentats durant ces élections », m'explique Samy, alors que nous regardons la réélection de Bachar à la télévision. S'il se réjouit de ce semblant de sécurité, ses rêves de liberté sont encore loin d'être exaucées.

*Modar dit vouloir substituer l'encre antifraude utilisée dans de nombreux pays arabes avec son sang.

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