« Fatoumata D., une franco-guinéenne ». Le 25 novembre 2021, un enquêteur belge entendu par la cour d’assises spéciale prononce le nom de cette femme. Personne dans la salle d’audience n’y prête attention. Elle est inconnue de la majorité des acteurs de ce procès historique. Et pourtant, elle a été l’épouse du belgo-marocain Chakib Akrouh, l’un des membres du commando qui a ouvert le feu à l’aveugle sur les terrasses. Chakib Akrouh est mort dans l’explosion de sa charge explosive lors de l’assaut de Saint-Denis par les forces de l’ordre, le 18 novembre 2015. Le Belgo-marocain était ce jour là dans un appartement caché avec Abdelhamid Abaaoud. Les deux hommes étaient prêts à commettre d’autres attaques.
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Lorsque Jean Louis Périès, le président de la cour d’assises spéciale, demande à l’enquêteur s’il sait où est cette femme. Le témoin répondu sans hésiter : « Je n’ai pas d’informations, je ne peux pas vous dire si elle est vivante ou morte. » Et, il passe à autre chose. Fatoumata D. est morte en Syrie le 2 novembre 2017 dans une barge qui traversait l’Euphrate dans la région de Deir Ezzor, près de la frontière irakienne. À 23 ans, elle a été tuée avec son fils dans une frappe aérienne. Il s’appelait Louqman, il avait deux ans. Lorsqu’il est né en 2015, son père, Chakib Akrouh était déjà en Irak, prêt à venir semer la terreur en France. Sa mère avait fait le choix de rester au cœur de Daech. Sur l’embarcation ciblée ce jour-là, deux autres veuves noires et leurs quatre enfants. Hadjira B, la compagne de Fouad Mohamed Aggad, et Khadija D, la femme d’Ismaël Mostefai. Leurs époux ont assassiné 90 personnes au Bataclan. Le jour de leur mort, ces femmes djihadistes fuyaient encore une fois.
« J’ai encouragé mon mari à partir pour terroriser le peuple français qui a tant de sang sur les mains (…) J'envie tellement mon mari, j'aurais tellement aimé être avec lui pour sauter aussi » - Kahina E.
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En novembre 2017, l’État islamique est en pleine déroute. L’organisation terroriste évacue en urgence ses membres de Abou Kamal, la dernière grande ville syrienne qu’elle contrôle encore à l’époque. Un groupe de femmes françaises et leurs enfants sont exfiltrés. Elles montent toutes dans un minibus. Une fois au bord de l’Euphrate, enveloppées de noir, le visage entièrement caché sous un voile, des sacs remplis de vêtements à la main, les veuves des terroristes du 13 novembre montent dans une barque avec leurs 5 enfants. Une fois de l’autre côté, une première bombe les prend pour cible. Une deuxième pulvérise le véhicule qui devait les transporter ensuite. D’autres françaises sont à quelques mètres d’elles. L’une d’elles, Anissa*, se souvient très bien de cette scène : « On venait à peine de s’installer dans notre barge quand on a entendu un bruit de bombardement. Des hommes nous ont dit de sortir vite du bateau. On a juste eu le temps de se réfugier plus loin et il y a eu un autre gros boum. Au loin, je voyais juste un véhicule en feu. »Les trois veuves sont mortes sur le coup avec leurs cinq enfants. « Je ne sais pas si elles étaient visées » poursuit Anissa via Whatsapp. « Mais, il est possible qu’il y ait eu une taupe qui savait que ces femmes partaient d’Abou Kamal », ajoute la Française toujours détenue dans un camp au Nord-Est de la Syrie.
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Un huis clos pour les veuves de « grands martyrs »
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Après les attaques de Paris, les quatre femmes font un pacte : ne pas se remarier et ainsi porter à jamais le deuil. Les visites dans les différentes maisons où elles vont vivre sont très contrôlées. « J’ai pu les voir quelquefois, elles avaient une façon de vivre quasi militaire, et s’interdisaient de pleurer leurs maris. Dans leur maison, ça sentait la javel », nous raconte Samira, une Française qui a vécu plusieurs années au sein de Daech. Lors de notre entretien, la jeune femme se souvient également des mots de la veuve de Ismaël Mostefai lorsqu’elles évoquent ensemble la vidéo de revendication des attentats. À la fin de cet enregistrement, l’homme égorge un civil syrien avec son couteau. Le seul commentaire de Khadija D. sa veuve surprend Samira : « Elle était si fière de dire qu'il jeûnait ce jour-là, et que c’est pour cela qu’il a les lèvres très sèches sur les images. » Pas un mot sur la violence de cette vidéo.Les veuves sont très protégées, très peu de personnes connaissent leur localisation. Elles sont changées de maisons à plusieurs reprises. « Un immeuble où elles vivaient, a été visé par un missile, mais leur étage n’a pas été touché. Elles ont été immédiatement relogées », se souvient une autre Française qui a croisé leur route. Lorsque les djihadistes sont chassés de Mossoul durant l’été 2017 pour se replier en Syrie, les veuves suivent les hauts dignitaires de l’organisation terroriste et s’installent dans la province syrienne de Deir Ezzor. Une seule femme va finalement quitter ce huis-clos de la terreur : Kahina E, l’ex-épouse de Sami Amimour. La jeune femme rompt le pacte scellé avec les autres veuves et se remarie avec un djihadiste tunisien. C’est ce qui lui sauvera la vie.La jeune femme rompt le pacte scellé avec les autres veuves et se remarie avec un djihadiste tunisien. C’est ce qui lui sauvera la vie
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Une seule survivante est détenue au Nord Est de la Syrie
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