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Barrez-vous, les Romanos

Cette semaine, en rentrant chez mes parents, j'ai trouvé la ville dans laquelle j'ai grandi complètement en émoi. Dans la rue, au marché, sur le zinc des comptoirs, tous les habitants d'Hellemmes n'avaient plus qu'un mot à la bouche, ou plutôt...

Cette semaine, en rentrant chez mes parents, j'ai trouvé la ville dans laquelle j'ai grandi en émoi. Dans la rue, au marché, sur le zinc des comptoirs, tous les habitants d'Hellemmes n'avaient qu'un mot à la bouche, enfin, plusieurs : « village d'insertion des Roms. » Ce projet mis en place par Frédéric Marchand, maire PS d'Hellemmes, entend proposer une alternative aux installations sauvages des ressortissants roumains et bulgares. Son idée est la suivante : offrir un accompagnement social aux familles en voie d'intégration. En échange, les familles promettent d'arrêter la mendicité et les petits larcins qui ont fait leur réputation.

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Le projet a l'air OK, mais il fait controverse. Il y a trois jours, près de 200 personnes ont défilé dans les rues d'Hellemmes contre le projet d'installation des cinq familles. À la fin de la marche, les manifestants se sont rendus à la mairie afin d'« en toucher un mot au Maire ». Quand ils l'ont retrouvé, ils l'ont pris à parti en l’insultant puis en l'empêchant de prendre la fuite par une porte dérobée.

Les ressortissants roumains qui arrivent seuls sur le territoire français n'ont souvent pas d'autre option que de s'insérer dans un système « de solidarité » local où ils finissent surtout par être placés dans des rôles à jouer (« toi, tu vas faire la vieille handicapée enceinte », « toi, tu vas voler dans le métro », « toi tu vas faire chier les gens en lavant de force leur pare-brise ») pour un boss tyrannique qui n’en branle pas une mais veut sa parabole TV. Ce qui est bizarre dans le cas de Lille-Hellemmes, c'est que les cinq familles en question ne sont même pas dans cette logique de réseau. Mais les arguments anti-Roms développés par les contestataires vont d'un léger scepticisme de riverain à un racisme exacerbé.

Depuis cette vague de protestation haineuse, un collectif de défense des Roms s'est formé dans la commune. Tous les matins, les pro-Roms tractent et essayent de sensibiliser la population au projet. Je suis allée discuter avec Romain, l'un des piliers du collectif.

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Une petite fille concernée par le village d'insertion

VICE : Vous militez depuis quand, maintenant ?
Romain : Ça a démarré à la réunion publique qui a eu lieu la semaine dernière. On se connaissait pas entre nous, mais dans cette salle où les insultes anti-Roms fusaient, on s'est vite identifiés comme étant les rares personnes horrifiées par ce qui se disait. Machinalement, on s'est mis en retrait dans un coin de la salle alors que la réunion battait son plein. On a échangé nos adresses emails, en promettant de se revoir.

Quel genre de propos t'as entendus à cette assemblée ?
Il y avait les gens dubitatifs mais pas racistes pour autant. Ils étaient plutôt résignés, genre « non mais on peut pas accueillir toute la misère du monde ». C'est un argument que je peux concevoir. Mais y’a aussi eu des « faut les cramer » et autres « on va les foutre dehors nous-mêmes ! » Ce que je ne supporte pas, c'est la campagne de désinformation menée par certains opposants au village d'insertion. Ils vous tendent une feuille de pétition contre, et vous disent simplement : « C'est 1000 euros par mois le Rom, ils ont plus de droits que les Français, signez ça ! » Or, les Roms ne touchent absolument aucune aide financière, aucune allocation, puisqu'ils ne sont pas domiciliés en France.

Ça sert à quelque chose d'être posté en face de la bouche du métro, tous les matins ? Vous arrivez à convaincre des gens ?
Pour le moment, ça fait cinq jours qu'on est là, et je crois qu'on a quelque chose comme 400 signatures, pétition en ligne comprise. On a aussi eu des dizaines de personnes qui nous ont dit avoir signé la pétition anti-Roms, puis quand on leur a détaillé les tenants et les aboutissants du village d'insertion, ils nous ont dit : « OK, on savait pas tout ça. On va signer votre pétition de soutien, et on va aller retirer nos signatures de la pétition anti-Roms. » C'est pareil avec les bistrots et les commerçants qu'on va rencontrer : ils commencent souvent par se prononcer contre, puis on leur explique que les enfants vont être scolarisés, qu'il y a un vrai projet d'insertion derrière… alors ils trouvent ça mieux.

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Où étaient ces cinq familles Roms avant ?
Elles vivaient dans des chalets construits par l'association Ateliers Solidaires, avec le soutien de la mairie d'Hellemmes. Mais cet été, avec la vague d'expulsions, le maire de Villeneuve d'Ascq, la ville juste à côté, a fait détruire les habitations. Depuis, les familles se sont installées sur un terrain près de l'église Notre Dame des Victoires.

Un des campeurs de Notre Dame des Victoires

C’est quoi le discours que tu tiens pour convaincre ?
Mon but est de dégonfler la haine et de discuter, avec pédagogie, pour que les gens comprennent qu'il ne s'agit pas de faire d'Hellemmes une ville de Romanos mais de soutenir un projet d'intégration déjà amorcé. Par exemple, je reconnais que les camps sauvages sont forcément synonymes de nuisances pour les riverains. J'explique alors qu'un village d'insertion sera forcément plus propre, qu'il y aura l'eau et l'électricité – je précise aussi que les Roms devront évidemment payer la note, à un prix social certes, mais quand même.

Comment expliques-tu que les Lillois détestent autant les bohémiens ?
J'en discutais la dernière fois avec un journaliste, et je crois que le problème, c'est en partie la crise. Quand les gens ont peur et qu'ils sont acculés par le système, leur instinct de survie passe par le fait de jeter la pierre à quelqu'un : les chômeurs, les immigrés… et les Roms. Ce qu'il y a de particulier avec les Roms, c'est qu'ils ne parlent pas français, ce qui nourrit le discours « Mais pourquoi ils viennent ? Pourquoi on devrait leur donner des moyens ? » Je pense que les Roms viennent cristalliser toutes ces tensions à la fois. Il y a un gros nœud d'incompréhension.

J'imagine que le nœud dont tu parles est récupéré par les politiciens, à un moment ou à un autre ?
Il y a une petite instrumentalisation par le FN, mais clairement une grosse tentative par l'UMP de mettre de l'huile sur le feu. Dans la vidéo qui montre le maire à moitié en train de se faire agresser, les mecs qui gueulent au premier rang sont des élus UMP. Moi, je m'en fous du Maire. Mais quand même : alimenter ces tensions à des fins politiciennes, c'est tout sauf responsable. Ce jour-là, les familles de Roms étaient présentes à la Mairie pour rencontrer les riverains et discuter avec eux. Il a fallu a dû leur dire : « N'y allez pas, vous allez vous faire lyncher ». En tout cas, si le projet du village d'insertion aboutit, on pourra dire qu'il s'agit de la première vraie tentative de réponse à l'intégration des Roms en France.