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VICE News

Des tribus kényanes s'entretuent pour des vaches et du pétrole

Kainuk est un village kényan connu pour ses violences liées à l'élevage de vaches.

Alors que nous dévalons à toute allure un chemin de terre, notre chauffeur de taxi, originaire de la tribu Maasai, semble extrêmement préoccupé. « Cette route est parfaite pour les embuscades, nous prévient-il. Il peut y avoir une cinquantaine de personnes cachées dans les broussailles. »

Je suis incapable de dire si une menace réelle plane sur nous ou si notre chauffeur dramatise la situation afin de nous faire accepter sans broncher une éventuelle augmentation du prix de la course. « Une autre portion de la route située un peu plus loin est connue pour être le théâtre d'embuscades à répétition. Mais ne vous en faites pas, tout devrait bien se passer. On ne transporte pas de bétail », explique-t-il.

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Nous nous dirigeons vers Kainuk, un petit village réputé pour ses violences liées aux élevages de vaches. Kainuk est située à la frontière de deux zones occupées par des tribus qui s'entretuent depuis des siècles pour le contrôle du bétail. Ces tensions se sont accrues ces derniers mois en raison de l'importante sécheresse qui frappe le pays et de la découverte de nouveaux gisements de pétrole.

En janvier dernier, la compagnie britannique Tullow Oil a annoncé avoir construit un septième puits dans la région de Turkana. Ces nouvelles ressources portent la quantité de pétrole brut découvert par Tullow à approximativement 600 millions de barils et les experts estiment qu'il en reste encore plus d'un milliard à puiser sur ce territoire. Selon eux, la région changera radicalement une fois que ces gisements auront été découverts - sans toutefois préciser la nature de ces changements. Doit-on y voir le signe d'une prospérité future ou au contraire les prémisses d'un conflit sanglant entre tribus locales et troupes gouvernementales ayant pour enjeu l'appropriation de ces ressources ?

Même si l'extraction n'a pas encore réellement débuté, la course à l'or noir exacerbe déjà les tensions et a provoqué une hausse du prix de l'immobilier, une augmentation des migrations économiques et une aggravation de conflits territoriaux très anciens.

Une Turkana du village de Kainuk discute du conflit avec la tribu rivale des Pokot.

Sur la route de Kainuk, une Turkana originaire de Lokichar se déclare convaincue que la tribu ennemie - les Pokot - intensifie ses attaques dans la région pour pousser son peuple à l'exil, loin des territoires où le pétrole a été découvert. « Les Pokot ont toujours voulu notre bétail et nos terres. Maintenant, ils veulent aussi nos puits », me confie-t-elle.

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Cette femme n'est pas la seule à s'inquiéter des conséquences des récentes découvertes de gisements et de l'aggravation des violences. Ekwee David Ethuro - président du Sénat et ancien membre Turkana au Parlement - a exprimé ses inquiétudes quant à l'escalade de la violence dans la région. Selon lui, si les problématiques liées au partage des revenus et à la répartition des terrains ne sont pas réglées rapidement et équitablement, la situation pourrait se transformer en un conflit semblable à celui du Nigéria.

« Si les tribus se sentent flouées, le bain de sang sera inévitable. Dans une région comme celle de Turkana, les problèmes peuvent végéter pendant très longtemps avant de surgir violemment », estime-t-il.

Deux bergers Turkana et leurs chameaux.

Pour le moment, on assiste seulement à des raids ayant pour objectif le vol du bétail - opérations qui peuvent mobiliser des centaines de combattants armés et qui voient des milliers de bêtes changer de mains en un instant.

Les deux tribus attaquent de temps à autre les villages adverses avec l'intention d'étendre leur territoire. En novembre dernier, pendant près d'une semaine, un village entier ainsi qu'un camp de la police se sont retrouvés assiégés par des hommes armés, ce qui a contraint les autorités à utiliser ses hélicoptères afin de ravitailler la population locale et exfiltrer un journaliste bloqué sur place.

« Autrefois, les choses n'allaient pas si mal que ça, m'explique une villageoise lors de notre arrivée à Kainuk. C'est seulement dans les années 80 que la situation a empiré, suite à l'import de Kalachnikovs. »

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Un Turkana se repose sur le bas-côté de la route qui traverse le village.

Sarah Lochodo a été nommée chef du village par le gouvernement. Sa photo est placardée à l'entrée de Kainuk, sur laquelle on la voit aider un enfant à faire ses devoirs. Elle m'explique promouvoir le pacifisme et Oeuvrer pour la réconciliation entre les tribus depuis sa nomination dans cette région en 2002. Sarah est obligée de porter une arme pour se protéger.

Alors que les enfants s'amusent dans les rues poussiéreuses de Kainuk, un vieil homme se repose à l'ombre d'un arbre. Le village paraît relativement calme, mais lorsque je fais part de mon sentiment à Sarah, elle m'explique qu'un camion Turkana a été arrêté par des Pokot ce matin même et que, la veille, un raid a eu lieu dans plusieurs villages de la région. « J'étais avec les bergers lorsque l'attaque d'hier a eu lieu, me dit-elle. La situation dans le village est de plus en plus tendue. »

Sarah ajoute qu'en raison des tensions grandissantes, les hommes du village doivent désormais s'occuper du bétail très tôt le matin et les femmes ont trop peur pour pouvoir travailler dans les champs.

Des enfants partent chercher de l'eau dans le village de Kainuk.

Sarah demande à un petit garçon de nous conduire jusqu'à la maison de John Kalimon, un des bergers qui a survécu à une attaque. « Nos voisins nous ont attaqués à trois kilomètres au sud du village », dit-il en souriant.

« Ils nous ont tiré dessus depuis leurs cachettes. Ils ont touché un autre berger à la poitrine. On a dû se jeter à terre et se battre pour conserver nos maigres biens. »

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En plus de son activité de berger, John Kalimon est réserviste dans la police locale, une force constituée de villageois armés et entrainés à défendre leur communauté par le gouvernement. Depuis quelques années, des hommes politiques critiquent cet entrainement et expliquent qu'il ne fait qu'aggraver les violences dans la région de Turkana. Malgré ces préoccupations, toutes les tentatives pour désarmer ces réservistes ont échoué - principalement à cause de l'impopularité de la mesure dans la classe populaire et rurale qui, afin de se défendre, souhaite posséder la plus grande quantité d'armes possible.

« Des villages comme celui de Kainuk ont besoin de réservistes comme moi pour les protéger, explique Kalimon. Les forces de sécurité régulières ne font rien pour nous. »

Si la découverte de nouveaux gisements de pétrole a provoqué un regain de tensions, Kalimon reste optimiste. Il pense que ce pétrole permettra à la région de se développer et que les enfants pourront bénéficier d'une meilleure éducation - ce qui atténuera les tensions entre les tribus sur un plus long terme.

« Ce pétrole est un don du Ciel, rajoute-t-il. Dans 20 ans, tous les enfants que vous verrez ici auront pu aller à l'école grâce à la manne pétrolière. Ils auront conscience des conséquences désastreuses que peuvent avoir les guerres tribales et n'auront aucun intérêt à tuer des gens pour quelques vaches. »

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