C'est bon ? Vous avez fini de vanner Cyberpunk 2077 ?
Toutes les images sont publiées avec l'autorisation de CD Projekt.
Gaming

C'est bon ? Vous avez fini de vanner Cyberpunk 2077 ?

« On peut lui reprocher plein de choses, mais il reste un jeu extraordinaire. »
Paul Douard
Paris, FR

« Le bonheur, c'est de continuer à désirer ce que l'on possède », disait Saint-Augustin - lequel n'a probablement jamais joué aux jeux vidéo. Entre des open world sans âme qui se ressemblent tous et des micro-transactions omniprésentes qui permettent à un adolescent en décrochage scolaire disposant d’une carte bleue de vous détruire à un FPS que vous poncez pourtant depuis vos quinze ans, la route vers le bonheur des joueurs est pavée de désillusions. Au milieu de cet océan de frustrations, il arrive qu’une lumière transperce ce brouillard de jeux médiocres à 79 euros et vous laisse entrevoir un espoir. Un titre capable de vous faire oublier votre quotidien fait de machines à étendre et de régularisation d’impôts. Cyberpunk 2077, de l’éditeur polonais CD Projekt, est l’un d’eux. Pourtant, nombreux sont ceux qui continuent de lui cracher au visage, parce que c’est drôle hein.

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« Cyberpunk a reçu une quantité injuste de merde » – Joseph Fares

Sorti il y a deux ans après s’être présenté comme l’un des jeux les plus ambitieux de tous les temps (ou presque), il a finalement créé un gigantesque shitstorm en étant retiré du PlayStation Store. Remboursement des joueurs, licenciements et excuses en live. Le jeu n’était pas prêt sur console old gen et le studio en a payé le prix fort. Les médias sont restés en boucle là-dessus pendant des mois et les youtubeurs dont la créativité n’excède pas une miniature YouTube “OMG CETTE GAME !!!!” ont enchaîné les vidéos humoristiques sur les bugs du jeu entre deux journées sponsorisées Clash of Clans. Si le titre est aujourd’hui en bien meilleur état qu'à sa sortie, je ne peux m’empêcher de penser aux développeurs qui ont passé 18 mois à se faire lyncher par des mecs en slip qui ne savent pas comment fonctionne leur grille-pain et s’empressent chaque année d’acheter l’édition collector de Far Cry

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J’ai terminé Cyberpunk 2077 deux fois. À chaque run, j’étais sous le choc de sa narration et de son ambiance. Si je le pouvais, je ferais effacer ma mémoire pour retourner à Night City et ressentir cette exaltation à la découverte d’un nouveau monde suffisamment riche et déprimant pour faire de ma propre existence un conte pour enfant. Alex "87", ancien journaliste pour jeuxvideo.com, se rappelle : « Ce titre m'a fait vivre des moments de jeu inoubliables. J'avais rarement vu une telle science de la mise en scène, l'immersion était totale. Cyberpunk 2077, à bien des égards, a osé des choses inédites dans le jeu vidéo. » Se balader dans Night City est un plaisir en soi. L’atmosphère de sa ville dystopique où les habitants semblent tous complètement fous et son ambiance sonore magistrale - la bande son frôle la perfection - font de n’importe quelle session un souvenir gravé dans notre tête.

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Sauf que tout ça a vite été balayé dès lors que le “buzz” des version old gen est arrivé. « Le problème est qu’il y a eu un amalgame entre le jeu sur PC qui était vraiment bien après le patch day one et des version old gen complètement injouables. Après quoi les gens n’ont plus fait la différence entre les deux. Les anciennes versions ont empêché de parler réellement du jeu, de ses vraies qualités comme de ses vrais problèmes », m’explique Emmanuel Denise, journaliste chez Canard PC qui a testé le jeu à sa sortie. En effet, le gameplay de Cyperpunk 2077 est très classique : il faut tuer des gens, développer ses compétences dans un arbre, parcourir une carte pleine de points d’intérêts souvent inutiles et se rendre au point jaune quand on nous le demande. On pourrait aussi parler d’un manque d’activité annexes, d’une IA assez fébrile et des fameux bugs bien sûr.

« Il y a une mélancolie folle qui se dégage de l'ensemble, une espèce de contemplation constante, qui naît autant des personnages, de la réalisation, de la musique que de la performance technique » – 87, ancien journaliste gaming

Mais pour Josef Fares, développeur du magnifique It Takes Two, « Cyberpunk a reçu une quantité injuste de merde », disait-il lors d’un Space Twitter. Une manière de dire que tout cela était démesuré, voire injustifié ? Difficile d’aller si loin pour “87”, « Si j’avais dû payer le jeu sur old gen, et me retrouver face à un produit aussi éclaté, je l’aurais eu vraiment mauvaise aussi. ». Même son de cloche pour Emmanuel Denise, « Dans une certaine mesure, c'était justifié. La division marketing a raconté n’importe quoi. C’est de leur faute », confirme-t-il avant de poursuivre sur le paradoxe qui englobe ce jeu, « On peut lui reprocher plein de choses, mais il reste un jeu extraordinaire. »

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Cyberpunk 2077 arrive à nous aspirer dans son univers grâce à son histoire, ses personnages et son âme – chose rare dans les jeux actuels. Il suffit de parcourir les commentaires internet sous les vidéos du jeu pour comprendre que beaucoup ne se sont toujours pas remis du titre. Tel un livre d’or de ce que le jeu a provoqué chez des milliers de joueurs, on peut y voir de véritables déclarations sur la manière dont le titre a changé ou apporté quelque chose à chacun de nous. « Il y a une mélancolie folle qui se dégage de l'ensemble, une espèce de contemplation constante, qui naît autant des personnages, de la réalisation, de la musique que de la performance technique », me raconte “87”.

« En étant profondément déçus dans leurs attentes, les gamers se sont sentis trahis dans leur identité » – Emmanuel Denise, journaliste chez Canard PC.

Comment oublier la scène où Johnny découvre que son corps a été balancé dans une décharge ? La mort de Jacky dans la voiture, la musique qui se lance et le vide qui s'ensuit ? Le bien triste Joshua qui veut se faire crucifier en direct d’une chaîne du câble dans le seul but d’offrir un peu de fric à sa famille ? Ou tout simplement ce moment où l’on comprend que l’on va mourir et que rien ne pourra changer cela – qu’il ne nous reste plus qu’à faire face et choisir sa manière d’en finir. Cyberpunk dépeint un monde à l’agonie où les rêves de chacun sont sponsorisés par des marques de boissons énergisantes et leurs attentes noyées dans des drogues de synthèses. Un monde pas si éloigné du nôtre où chaque existence ne tient à rien et où l’humanité a presque disparu. « Ce qui est beau ici, c’est que jeu traite de comment les habitants d’une ville inhumaines arrivent à rester des êtres humains », me dit Emmanuel, un peu ému.

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Le titre traite de la mort, de perdre ses potes, de trouver sa place dans une société qui vous rejette. Il apporte une vision de la vie, une fenêtre ouverte sur un futur qui nous attend, tout en ne proposant aucune morale à la con. Toutes les scènes vous prennent brutalement aux tripes et vous laissent tout seul avec vos choix. “JeanBaptisteShow”, auteur d’unune excellente vidéo sur le jeu, m’explique que « Comme dans d'autres jeux à l'écriture soignée, tu as vraiment l'impression d'avoir rencontré des gens et d’avoir voyagé avec eux. » Il n’y a pas de début et de fin dans Cyberpunk 2077. Juste une tranche de vie de personnages dont l’existence est globalement merdique et où il faudra prendre des décisions - ni bonnes ni mauvaises. Les gens y sont malheureux, vieillissent et meurent. « Certaines scènes sont des pépites de réalisation et surtout, à force de voir les enjeux se dérouler à travers tes yeux, tu t’y plonges, tu y crois. Le sentiment d’incarnation de V était vraiment prégnant, et la relation avec Johnny Silverhands était vraiment mémorable », détaille “87”.

Comme si on est de droite ou de gauche, on est pour ou contre Cyberpunk 2077

Seules quelques lumières dans la nuit, sorte de romances éphémères viendront soulager ces personnages qui ne savent plus qui ils sont, à moitié robot, à moitié humain. V, personnage principal, est en fait chacun de nous. Quelqu’un sans histoire qui tente de s’en sortir. Il ne cherche pas à sauver le monde, simplement à trouver sa place dans une société déjà condamnée. « Quand tu joues à Cyberpunk, tu joues quand même à un jeu pas comme les autres, vraiment à part, dense, riche, intelligent, immersif », termine “87”.

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Cette ambition poussée à l’extrême a sans doute également causé sa chute. À vouloir trop en faire, trop en dire, les communautés gamers espéraient une œuvre qui devait répondre à leurs questions les plus existentielles, quasi philosophiques. Mais la déception de certains fut trop grande. « Ce que CD Projekt a mal compris, c’est que c’était l’identité d’une certaine communauté gamer qui était en jeu lorsque le jeu est sorti. Ubisoft par exemple, c’est un jeu de “casu”, donc ce n’est pas si grave si le titre ne répond pas à leurs attentes. Alors que là, des gens ont posé des jours de RTT pour y jouer. C’était présenté comme “un vrai jeu pour les vrais joueurs”. En étant profondément déçus dans leurs attentes, les gamers se sont sentis trahis dans leur identité », explique Emmanuel.

« Il y a des aspects du jeu qui sont tout simplement géniaux, et qui démontrent une énorme quantité de travail - il est injuste de jeter des pierres sur un développeur, car il est assez incroyable de sortir quelque chose d'aussi complexe et ambitieux que ça. » – Gabe Newel

Malgré cela, difficile de mettre de côté toutes ses qualités. C’est là tout le paradoxe de Cyberpunk. Le jeu est foutrement beau. Tout dans cette ville transpire l'authenticité. « C’est une architecture incroyable, peut-être mieux qu’un titre Rockstar, ou du moins qui arrive à l’égaler », se remémore Emmanuel Denise. Peut-être que quelques bugs apparaissent encore de ci et là, et alors ? Gabe Newel, le fondateur de Valve disait dans les lignes de 1News que, « Il y a des aspects du jeu qui sont tout simplement géniaux, et qui démontrent une énorme quantité de travail - il est injuste de jeter des pierres sur un développeur, car il est assez incroyable de sortir quelque chose d'aussi complexe et ambitieux que ça. »

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Cyberpunk 2077, n’arrivant pas à sortir de son image de jeu mal terminé, sera au fil du temps transformé en débat de société – comme on se doit d’être de droite ou de gauche, on est pour ou contre Cyberpunk 2077. Tels des hamsters dans leur roue, les “créateurs de contenus” n’ont pas pu s’arrêter – préférant se moquer d’un titre qui essaye de proposer autre chose que la soupe tiède qu’on nous vend tout au long de l’année. Pour 87, la raison était assez évidente : « Un énorme effet de groupe, des milliers de personnes qui s’en sont cantonnées au pire de ce qui leur a été montré sans jamais avoir posé les mains sur le jeu et voilà, la cible est aussi énorme que facile, tout le monde se fait une joie de taper sur ce gros jeu et ce studio à abattre. Les gens avaient toutes les raisons d'avoir les glandes, mais l'acharnement aujourd'hui est complètement aveugle ce qui le rend finalement peu digne d'écoute. » Pour “JeanBaptisteShow”, « De toute façon, il y aura toujours des gens pour se moquer des bugs, et même les meilleurs jeux auront des bugs en cherchant bien. Le "hate click" a le vent en poupe et ça, ça en fait partie, ce n’est pas pour autant que la colère soit injustifiée à la base, mais il faut reconnaitre le travail et les efforts fournis. »

« Ça m'a réellement brisé le cœur » – Paweł Sasko, responsable des quêtes pour Cyberpunk 2077

Quand on termine Cyberpunk 2077, on sombre dans la peur de n’avoir pas de suite. Rien d’autre. Que tout soit terminé. « J’avais peur qu’il tombe dans l’oublie avant qu’on le laisse définitivement crever », me partage Emmanuel. Heureusement, le studio a compris que ce jeu avait le potentiel pour devenir une œuvre majeure de l’industrie vidéoludique. L’équipe de polonais travaille donc sur une première extension pour 2023, baptisée “Phantom Liberty”. Mais on a également appris qu’il y aura une suite, nommée “Orion”. L’animé Edgerunners disponible sur Netflix y est sans doute pour beaucoup car il aura réussi à transposer cette ambiance noire du titre dystopique au plus grand monde. Et ça y est, il semble que les réfractaires se mettent enfin dessus et comprennent qu’il y a là quelque chose à ne pas louper.

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Cyberpunk 2077 aura apporté quelque chose à des milliers de joueurs, une sorte d’épaule sur laquelle se reposer après une journée de merde. « Pour pas mal de gens, Cyberpunk 2077 restera cette expérience marquante, qu’il est difficile de retrouver ailleurs », fini 87. Ces rares fois dans les jeux vidéo où l’on se dit “c’est exactement ça que je ressens”. Personne ne peut nier que les développeurs ont mis leurs tripes dans ce titre. Paweł Sasko, responsable des quêtes pour Cyberpunk 2077, disait récemment dans un live Twitch : « Ça m'a réellement brisé le cœur. Pour certains d'entre nous, cela fait parfois six, sept, huit ans, surtout pour ceux qui ont commencé au tout début. Mais c'est bon d'être de retour. C'est putain de bon d'être de retour ! »

Alors vous pouvez si ça vous chante continuer de vanner Cyberpunk 2077 tous les jours entre deux parties du dernier simulateur de randonnée (Warzone) car une fois toutes les cinquante parties une voiture va tomber du ciel, mais c’est que vous ne méritez pas ce genre de jeu. 

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