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Bill Gates s’inquiète que l’on ne parle pas assez des modifications génétiques, et il a raison

La technologie des « ciseaux génétiques » pourrait transformer l’espèce humaine et creuser les inégalités entre les riches et les pauvres.
bébés
Illustration par Mathieu Rouland 

Le sujet des modifications génétiques avait déjà fait polémique en novembre 2018, lorsque He Jiankui, professeur à l’Université de Shenzhen en Chine, avait annoncé la naissance de deux jumelles dont il aurait modifié l’ADN pour les immuniser contre le virus du sida. Le plus inédit dans cette expérience, c’était que le professeur affirmait avoir modifié les cellules germinales des jumelles, ce qui veut dire que ces changements génétiques seraient transmis à leurs enfants.

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Dans un billet récent sur son blogue, Bill Gates s’inquiète que l’on ne se préoccupe pas plus de la question : « La question des modifications génétiques mérite au moins autant d'attention que celle de l'intelligence artificielle, écrit-il. Des débats trop absents de l’espace public, c’est peut-être le plus important. Les enjeux éthiques sont énormes. »

La technologie utilisée par le scientifique chinois, c’est celle du CRISPR (acronyme de clustered regularly interspaced short palindromic repeats). Cette technique dite des « ciseaux génétiques » permet d’enlever et de remplacer des parties indésirables du patrimoine génétique, aussi facilement que l’on fait un copié-collé.

Le système CRISPR (certainement inspiré d’un nom de meuble Ikea et se prononçant « krisspère » ) pourrait permettre de guérir des maladies rares pour lesquelles il n’existe aucun traitement, et offre de l’espoir dans le domaine de la cancérologie. « Mais la technologie pourrait aggraver les inégalités, prévient Bill Gates, en particulier si elles ne sont accessibles que pour les riches. » Il conclut avec cette phrase presque angoissante : « Cette histoire est à suivre, car de grandes percées – certaines bonnes, d'autres inquiétantes – sont à venir. »

« Je suis tout à fait d’accord avec lui », dit Vardit Ravitsky, professeure de bioéthique à l’École de santé publique de l’Université de Montréal. On utilise la métaphore des ciseaux et de l’ editing parce que [c’est comme] copier-coller à l'intérieur de Word. Mais le problème avec cette métaphore, c’est qu’il faut que le public comprenne que ce n’est pas aussi sécuritaire et contrôlé que dans un texte Word. »

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Pour elle, le système CRISPR est l’une des plus grandes découvertes de notre siècle, et son potentiel de bénéfices est extraordinaire, mais lorsqu’on touche à l’évolution de notre espèce, le sujet est plus complexe.

« Je crois que ce que Bill Gates met sur la table est important, dit-elle, chaque nouvelle technologie est au début très chère, et donc accessible à une toute petite minorité. C’est clair que pendant plusieurs années au début, ça va être extrêmement coûteux. Ça devient une question de justice, de valeurs sociales. »

L’autre problème que soulève Vardit Ravitsky, c’est que ces changements génétiques toucheraient plusieurs générations : « Si on commence à améliorer nos bébés, on va élargir l'écart entre riches et pauvres à long terme. Si j'achète un système immunitaire plus performant pour mon enfant, à l’école et plus tard dans la vie, on pourra avoir une minorité d’individus améliorés issus de familles riches. Ce n’est pas seulement le présent qui serait concerné, mais le futur. »

Concrètement, la technologie CRISPR ne peut influencer que les traits les plus simples génétiquement. « Certaines maladies génétiques graves sont causées par un seul gène, explique Vardit Ravitsky. Dans ce cas, on peut remplacer ce gène qui va causer une maladie par un gène qui ne va pas la causer. C’est pour ça que cette technologie est extraordinaire. »

Mais alors, est-ce que c’est réaliste d’imaginer que la technologie CRISPR pourrait créer des bébés « sur mesure », beaux et intelligents? « Il y a des traits physiques qui sont génétiquement simples, comme la couleur des yeux, donc ça, on pourrait faire cet échange, répond Vardit Ravitsky. Mais l’intelligence, la taille ou le talent musical sont des traits extrêmement complexes avec des milliers de gènes impliqués. »

Il serait également très compliqué de mener des expériences sur ce genre de modifications dans un futur proche. La position du Canada sur le sujet est très claire : une loi fédérale interdit strictement toute intervention génétique sur l’embryon. C’est un acte criminel, et Vardit Ravitsky explique que même un scientifique qui voudrait mener des expériences seul dans son laboratoire s’expose à dix ans de prison.

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Ce qui effraie le plus dans cette technologie, c’est l’idée de bébés créés sur mesure, des designer babies parfaits et hyper intelligents. « On ne doit pas passer du temps et de l’énergie à débattre de ça, réplique Vardit Ravitsky. Au lieu de faire peur au public avec des scénarios d’armées de bébés blonds, discutons plutôt de quelle maladie on veut prévenir en priorité, et de comment garantir l’accès aux personnes moins aisées financièrement à cette technologie. Il faut que l’on discute des problèmes qu’on peut traiter, et ne pas tomber dans les scénarios de science-fiction. »

Nous voilà rassurés, car il n’y a rien de plus terrifiant que l’idée d’une armée de bébés blonds qui dirigent le monde. Mais d’un autre côté, il va falloir continuer à accepter un futur sans surhumains, peuplé de gens aux cheveux ternes et à l’intelligence médiocre, comme nous.