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Mon lunch dans le resto bruxellois rempli d'espions

« Hier, il y avait le Premier ministre d'un pays scandinave. Et sans garde du corps. »

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Les vrais espions ne se promènent pas dans une Aston Martin tunée. Les vrais espions ne passent pas leur temps avec leur demi-harem dans une chambre d'hôtel cinq étoiles. Les vrais espions ne jouent pas au poker en manipulant des millions entourés de caricatures de Jeff Bezos. Non, les vrais espions vont manger un steak rue Stevin à Bruxelles. Comment je le sais ? Parce que je l'ai vu de mes propres yeux. Enfin, je crois.

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En 1997, je pensais déjà que j'étais trop vieux pour aller faire un tour à la patinoire de Noël du village. C'est pourquoi cette année-là, j'ai proposé comme alternative à cette activité familiale une excursion au Kinépolis pour aller voir le film Tomorrow Never Dies. L’une de ces expériences qui change une vie. Depuis lors, je suis plus attendri devant un article sur les espions que devant une annonce de naissance ou une invitation à un mariage. Seul un mariage entre 007 et Jason Bourne pourrait faire exception à la règle.

C’est ainsi qu’à la fin du mois dernier, un verre de cognac à la main, je suis tombé sur un rapport du Service de Sécurité Interne au Service Européen d'Action Extérieure (SEAE) dans mon magazine favori, Die Welt. Ce rapport mentionnait que Bruxelles comptait environ 200 espions russes et 250 espions chinois. Un fin connaisseur du secteur ne s’en étonnera point. En 2003, des équipements d’espionnage avaient déjà été trouvés dans des bâtiments de l’UE. Ce n’est qu’en lisant ce qui suit que je me suis étouffé avec mon Grand Rayon (17,99 euros chez Aldi) : « Die Diplomaten wurden nach eigenen Angaben auch vor dem Betreten bestimmter Lokale im EU-Viertel gewarnt, darunter ein beliebtes Steakhouse in unmittelbarer Fußnähe zum Hauptgebäude der Europäischen Kommission (Berlaymont). » Je traduis pour ceux qui ne parleraient pas la langue de Goethe - les Autrichiens par exemple : il y a des espions dans un steakhouse proche de la Commission européenne.

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A l'entrée du restaurant.

Ce restaurant de steak situé à quelques pas du Berlaymont - connu sous le nom de Barlaymonster - a été facile à trouver. D'abord parce qu'il n'y a pas tant de restaurants de steaks que ça, ensuite parce que les bureaucrates n'aiment pas beaucoup marcher. C’est un établissement tellement sympa qu’il a été baptisé deux fois : le Meet Meat. Dans mon imagination florissante, il est géré par les propriétaires du Fly Fry, du PinPain et du Kebap Babtou. En réalité, la gestion quotidienne est assurée par Philippe Weiner, qui, quand il a appris la nouvelle, n’a pas réagi outre mesure. « Hein, quoi ? », c’est tout ce qui a résonné dans le quartier Schuman quand un journaliste de Het Nieuwsblad a parlé à Weiner des prétendus agents secrets en faction dans son resto.

« Le responsable me dit qu'il n'a pas encore remarqué d'espion ici. Fort de mes connaissances professionnelles, je l'informe que c'est un subterfuge typique d'espion. »

Bien que je sois végétarien, ma curiosité pour les affaires d’espionnage peut facilement vaincre mon aversion pour la viande. Ainsi, par une belle journée d’hiver, me voilà enfin devant l’entrée du désormais tristement célèbre steakhouse de la rue Stevin, à midi moins cinq (version officielle). À l'intérieur, le restaurant est vide. Le seul type qui me semble suspect est en fait Philippe Weiner, qui ressemble à Jeff Daniels dans Dumb and Dumber. Il me dit qu'il n'a encore remarqué aucun espion ici. Fort de mes connaissances professionnelles, je l'informe que c'est un subterfuge typique d'espion.

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Philippe me confie avoir été surpris par l'article. « Je trouve ça un peu surréaliste que ce service dise aux diplomates et aux fonctionnaires qu'ils ne devraient pas se rendre dans un certain endroit. Au lieu de simplement leur conseiller de faire attention. » D’après David Criekemans, professeur de politique internationale à l’Université d’Anvers, le fait que ce service élabore des rapports sur les espions à Bruxelles est encore plus surréaliste. Je l'ai eu au bout du fil ce matin-là. « Officiellement, l'UE ne dispose pas d'un service de renseignement traitant d'espionnage. Le Service Européen d'Action Extérieure sert à soutenir Federica Mogherini, haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. « Cette affaire devrait faire l'objet d'une enquête plus profonde. Jusque dans le bac à frites. »

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Il est aussi difficile de reconnaître un espion qu’il est facile de reconnaître un fonctionnaire européen. Ils ont tous l'air d’avoir 41 ans, sont gris pâle et semblent surchargés de travail. En groupes de deux à six, ils entrent au compte-gouttes dans le Meet Meat. Ils portent des badges officiels, des vêtements de bureau tirés d’une banque d’image et des responsabilités flagrantes. Contrairement au cliché, les visiteurs européens paient eux-mêmes leurs repas. « Je n’envoie une facture à la Commission qu’entre une et trois fois par an », m’explique Philippe. « En plus, un repas ne peut leur coûter que 30 euros. Ici, tu y arrives vite. »

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« Il est aussi difficile de reconnaître un espion qu’il est facile de reconnaître un fonctionnaire européen. Ils ont tous l'air d’avoir 41 ans, sont gris pâle, semblent surchargés de travail et entrent au compte-gouttes dans le Meet Meat, par groupes de deux à six. »

Je veux m’assurer que les hommes assis à la table voisine ne sont pas des agents secrets. Je me base donc en premier lieu sur leur conversation. Après cinq minutes, cependant, c’est si agité que je ne les comprends déjà plus et perds le fil. Raté pour la Règle 1 de l'Espionnage : l’écoute discrète. Passons donc à la Règle 2 : l'observation incognito. Pour cela, je sors un journal dans lequel j’ai percé deux petits trous au niveau des yeux. Je ne vois plus grand-chose. Ici, personne ne lit des dossiers sensibles sur un ordinateur portable ou un smartphone. Selon Philippe, on ne parle que de travail pendant le déjeuner, mais on ne travaille pas. Il me dit également que tous les responsables gèrent leurs dossiers sur un ordinateur de bureau pour des raisons de sécurité. Enfin, à travers mon journal, je remarque un homme sobrement vêtu qui n’arrête pas de me jeter des coups d’œil nerveux. Soudain, il se lève et vient vers moi. Mes mains deviennent moites. Coupable, je baisse mon journal d’espionnage. « Excusez-moi », me dit l'homme. Il s'avère que c’était simplement le serveur.

Si je souhaite encore tirer quelque chose de juteux de ma visite, ça devra être un ribeye argentin. Cependant, comme j'ai déjà marché deux fois pour le climat, il serait hypocrite de commander un bon gros steak, chose que les bureaucrates de l'UE ne devraient pas craindre en l'absence d'ambitions climatiques européennes. Lorsque j'informe le serveur que je ne mange pas de viande, je peux voir la décontenance derrière son masque professionnel. Il doit surement se demander ce que je fous ici, dans un restaurant de steak. J’aimerais lui répondre que je suis en mission espionnage d’agents secrets, mais ça semble tout aussi con. Qui plus est, je dois rester discret, on ne sait jamais qui essayerait d’écouter nos conversations. Le serveur me propose des pâtes comme alternative avec lesquelles, inspiré par Jean-Claude Juncker, je commande un verre de vin rouge. Cependant, me dit Philippe, les fonctionnaires boivent beaucoup moins qu'avant.

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Je demande à Philippe si les rumeurs d’espionnage ont fait s’enfuir ses clients haut-placés. « C’est très différent d’une semaine à l’autre, mais ces derniers jours, il y a moins d’ambassadeurs qui sont venus. Mais d’un autre côté, il y avait hier un Premier ministre d'un pays scandinave. Et sans garde du corps. »

Maintenant que je porte une chemise propre, des chaussures que je ne mets que pour les mariages et que je déjeune agréablement, je dois dire que je me sens de plus en plus comme un fonctionnaire européen fraîchement débarqué. Cette bulle européenne est de plus en plus à mon goût. Mais avec toute la fantaisie dont je suis capable, je n’arrive pas à imaginer d’espions ici-même. Peut-être que j’ai regardé trop de James Bond et pas assez d'œuvres classiques réalisées par des universitaires comme le professeur Criekemans. « J'ai déjà lu que les espions sont souvent des journalistes, des lobbyistes ou des diplomates qui veulent rassembler des informations par le biais de réunions et de conversations anodines. Eh bien, dans ce cas, j'ai vu beaucoup d'espions ici. Mais pour être honnête, je pense qu'il est plus facile de suivre quelqu'un et de s'asseoir à côté de lui dans un Exki plutôt que chez nous. »

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