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Quand le survival horror pousse le joueur à projeter ses propres angoisses

Allison Road, rejeton spirituel du jeu de Guillermo del Toro et Hideo Kojima, entend vous faire connaître l'angoisse absolue sans vous faire sursauter une seule fois.

Il est 4h du matin. Vous vous réveillez dans votre chambre avec un mal de crâne abominable. Tous vos appareils électroniques sont éteints, et pourtant, vous pouvez distinguer quelques lueurs dansantes dans l'obscurité de la nuit. Un léger bruissement se fait entendre derrière la porte. Vous tentez de sortir de l'état d'abrutissement complet dans lequel vous vous trouvez afin de comprendre ce qu'il se passe. Tout à coup, il vous apparait que la porte est ouverte. Est-ce un effet de votre imagination ?

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Votre chat ronronne en se frottant contre votre chambre, ce qui vous rassure un peu. Subitement, vous avez très, très soif. Vous claudiquez dans le froid de la nuit en direction de la cuisine, avec le sentiment que votre maison est habitée par une présence étrangère. Auriez-vous laissé cette fenêtre ouverte ? Quelqu'un d'autre aurait-il pu l'ouvrir ? Le parquet entame une symphonie de craquements et de gémissements, et chaque nouveau bruit raffermit vos soupçons.

Pourtant, aucune bête sanguinaire n'est tapie dans l'ombre. Votre esprit a créé cette atmosphère étrange et menaçante par-lui-même, ménageant une angoisse indicible là où la peur n'a aucune raison d'être. En bref, votre cerveau vous a dupé avec du rien.

C'est précisément cet horror vacui, ou « terreur des espaces vides » qui définit Allison Road, un jeu de survival horror à la première personne développé par le studio Lilith, et dont la sortie a finalement été repoussée indéfiniment. Ce jeu rejetait le concept « d'horreur moderne », qui consiste, selon Lilith, à élaborer des jeux articulés autour de l'effet de surprise, du gore et du jump scare. Allison Road ne cherchait pas à vous faire bondir et à accélérer votre fréquence cardiaque à la limite du supportable, mais plutôt à exploiter les nuances de l'horror vacui par tous les biais possibles, explique Chris Kesler, créateur du jeu. Même si le jeu n'est pas (encore) arrivé à son terme, il est bon de rappeler les innovations et les idées qu'il cherchait à véhiculer.

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« Nous sommes habitués aux jeux d'horreur rythmés, trépidants, où chaque apparition dans le décor donnera au joueur l'envie de hurler, » explique Kesler. « Or, l'attente et l'anticipation sont bien plus terribles que la peur elle-même. »

Un corridor vide, et rien d'autre. Image : Allison Road

Après T.S, une démo jouable pour Silent Hills le jeu issu de la collaboration entre Guillermo del Toro et Hideo Kojima, hélas annulé l'année dernière, les joueurs avaient besoin d'un support pour apaiser leur frustration. D'un jeu capable de les terrifier et de les choquer dans une atmosphère léchée, d'un studio capable de comprendre leurs envies. Allison Road a ainsi profité de ces attentes pour leur apporter une bonne dose d'angoisse de qualité sur un plateau d'argent.

P.T. avait déjà l'ambition d'aborder l'horreur de manière inédite. De la sanglante créature du lavabo en passant par les portraits aux yeux animés accrochés sur les murs, le jeu a tenté de repousser les limites de ce qui est considéré comme « traditionnellement » terrifiant. Dans P.T., l'objectif est de résoudre un puzzle dans une salle construite sous la forme d'une boucle perpétuelle. L'angoisse puis la terreur se distillent progressivement chez le joueur, non pas à travers des événements ponctuels mais au travers de ses tentatives infructueuses de briser le cycle infernal du gameplay.

En ce sens, Allison Road est sans doute le rejeton spirituel de P.R. Il n'hésite pas à utiliser des tropes d'horreur classiques afin de construire une atmosphère qui soit, à chaque seconde, sombre et menaçante. Il n'hésite pas non plus à sortir des sentiers battus en demandant au joueur de résoudre des puzzles qui perturbent le rythme du scénario et amplifient l'incertitude, par exemple. En bref, Allison Road procure au joueur le temps nécessaire pour construire sa propre angoisse.

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« Dans un monde où l'horreur est faite d'univers bruyants et agités, il est intéressant de voir un jeu la réduire à son plus simple appareil. »

Kesler pousse son équipe à embrasser sa philosophie, et a même exigé que le jeu se débarrasse d'un système de combat, un mécanisme utilisé par la plupart des jeux d'horreur. En ce sens, Allison Road fait en sorte qu'à aucun moment le joueur ne se sente investi d'un sentiment de pouvoir ou de contrôle sur ce qui l'entoure. Il ne doit pas triompher.

« Nous pensons que le combat est susceptible de ruiner tous les efforts que nous avons déployés pour créer une atmosphère angoissante », explique Kesler. « Dans la plupart des jeux, lorsque vous croisez une entité terrifiante dans un couloir, vous n'avez plus le choix : il faut la combattre. Pour moi, c'est une situation totalement inintéressante. Je préfère que le joueur ait à fuir continuellement, et qu'il puisse continuer de suivre l'histoire sans mourir. »

Le gameplay d'Allison Road. Video: Allison Road

Se débarrasser du combat était décidément une initiative plutôt intelligente. Dans les premiers aperçus du gameplay d'Allison Road, le joueur se réveille d'un sommeil confus puis se déplace dans une maison apparemment vide. L'angoisse monte progressivement. Le silence est d'abord écrasant, puis une radio crache une musique entrainante de manière totalement inappropriée. Enfin, des cris. D'où viennent-ils ? Et qu'est-ce qui vient de bouger dans un coin de votre champ de vision ? Y a-t-il quelque chose derrière vous ? Une apparition fantomatique viendra ensuite vous narguer là où vous l'attendiez le moins.

Ici, la possibilité de combattre le fantôme ferait immédiatement retomber la tension. À l'inverse, le fait que le joueur demeure impuissant, sans possibilité d'agir, ne fait qu'augmenter son malaise. Et c'est là la spécialité d'Allison Road, qui a rejoint la campagne KickStarter du studio Team17, avant d'être annulé puis d'être de nouveau remis sur les rails.

« Certains cinéastes possèdent un talent tout particulier pour jouer avec l'anticipation, » explique Kesler. « Rappelez-vous de Children of Men d'Alfonso Cuaron, et de ses plans séquence interminables. Ils vous mettaient sur les nerfs, c'est le moins que l'on puisse dire. Je pense que ce même genre de stratégie peut être appliquée au jeu vidéo. Tout dépend des émotions que vous voulez susciter. »

Dans un monde où l'horreur est faite d'univers bruyants et agités, il est intéressant de voir un jeu la réduire à son plus simple appareil, laissant au joueur la possibilité de peupler le vide de ses propres angoisses. Allison Road cherche à enfermer les joueurs dans leur propre tête avant d'en jeter la clé. Espérons qu'il sortira sous peu, et ses innovations auront des répercussions dans la communauté des développeurs de survival horror.