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crime organisé

Arménie : une mafia très discrète

Le film « Bravo Virtuose » nous embarque dans les coulisses de la mafia arménienne. Le journaliste Jérôme Pierrat, spécialiste du grand banditisme, dissèque le rôle de cette organisation ultra-violente.
Photos : Bravo Virtuose / Blue Bird Distribution

« Mon but n’était pas de critiquer l’état criminel, mais de montrer comment l’art doit accepter les règles en vigueur pour assurer sa survie. Et même lutter avec les armes de ceux qui veulent le faire disparaitre. Sauf que les artistes n’arrivent pas à être criminels… ». Voici comment le cinéaste arménien Levon Minasian résume Bravo vitrtuose, son propre film. À l’écran, ça donne une décapante comédie noire, entre vrai polar et humour burlesque. Elle met aux prises un jeune clarinettiste avec la mafia locale – mélange d’oligarques, de politiciens véreux et de truands - qui menacent l’existence d’un orchestre familial de musique classique. Prêt à tout pour le sauver, le musicien va tenter de jouer les tueurs à gages et plonger dans un monde ulra-violent – et ultra-codifié.

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De l’Arménie, on connait surtout Aznavour le chanteur, Manouchian le résistant et le génocide de son peuple. Moins ses criminels. Pourtant le crime organisé arménien – à l’écran une équipe plus vraie que nature de têtes patibulaires, aussi gros que larges est loin d’être une simple bande de truands folkloriques. Bravo Virtuose le montre bien : la mafia locale a mis une bonne partie du pays en coupe réglée, parasitant la vie politique et économique. Détail qui a son importance : elle est l’une des composantes de ce que l’on appelle un peu vite la « mafia russe ». Mafia d’ex-Urss serait plus juste tant elle mélange les nationalités, de l’Ouzbek au Moldave, du Tchétchène à l’Ukrainien, en passant par le Tatar. Elle s’articule autour d’une confrérie, celle des « Vory v Zakone », littéralement « les voleurs dans la loi », un titre honorifique apparu dans les camps de détention soviétiques dans les années vingt-trente.

« Les mafieux savent très bien que ce n’est pas un simple film qui pourrait remettre en question leur pouvoir » - Levon Minasian, réalisateur de Bravo virtuose.

Reconnaissables à leurs tatouages, des étoiles à huit branches sur les épaules, les Vory jouaient alors les juges de paix au sein de la pègre. C’est dans les années 90 qu’ils ont pris leur essor et sont devenus de véritables chefs mafieux. Cette fraternité de tatoués, régie par un strict code de lois, et ses assemblées, les « shodka », constituent aujourd’hui l’élite du crime organisé d’ex-Urss. Les Georgiens représentent plus de la moitié des 433 Vory recensés. Quant aux Arméniens, leurs voisins et cousins, ils sont exactement 31. Des vieux comme « Varo l’aveugle » ou « Professeur Rubik » et de plus en plus de jeunes, à l’image de Sergueï Asatryan dit le « Jeune esturgeon », 31 ans, couronné comme on dit chez les vory, en 2017 à Erevan. Clairement, les mafieux sont là-bas incontournables : « Quand on fait un film en Arménie, on ne peut pas ne pas en parler », précise Levon Minasian. Pourtant, le cinéaste assure que la prise de risque est, pour lui, très minime : « cela ne dérange pas du tout les mafieux et les corrompus que l’on parle d’eux dans un long-métrage : ils savent très bien que ca n’est pas un simple film qui pourrait remettre en question leur pouvoir… ». Effectivement : il y a un an, une vidéo publiée par un blogueur montrait le président arménien, Serge Sargsian lui-même, en train de festoyer avec plusieurs des principaux vory du pays…

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Et il n’y a pas que sur ses terres que la mafia arménienne fait parler d’elle : depuis quelques années, elle s’exporte à l’ouest – et notamment en France où elle travaille main dans la main avec une autre diaspora mafieuse : les Georgiens. En 2005, le Parlement géorgien a adopté pour la première fois une loi sanctionnant le statut de « kanioneri » - la version géorgienne des « vors » - ce qui a poussé à l’exil les « voleurs dans la loi ». Les services de renseignement géorgien l’assurent : quelques dizaines d’entre eux se sont installés en France. Ils y pilotent des équipes de cambrioleurs dont ils prélèvent 15 % du butin. Le système est très hiérarchisé : de petits groupes travaillent sous la coupe de surveillants – les « smotreachy » - eux-mêmes supervisés par un chef national – le « palogenet » - adjoint du vor. A chaque réseau de voleurs géorgiens, ses receleurs arméniens, qui écoulent l'or provenant des bijoux à Anvers.

L'Evangile selon la mafia. Source : Bravo Virtuose / Blue Bird

« Pour nos mafieux, travailler en France est compliqué. Tout y est plus subtil. Chez nous, c’est brut ! » - Levon Minasian

Le recel, le trafic d’or, de pierres précieuses, le blanchiment ont longtemps été les grandes spécialités de la mafia arménienne en France. Une criminalité plutôt discrète qui répondait à des codes très différents de ceux en vigueur à Erevan : « Pour nos mafieux, travailler en France est un peu compliqué. Chez vous aussi, les puissants volent mais c’est plus subtil, élégant, raffiné… Tout est maquillé. Alors que chez nous, c’est brut ! », explique Levon Minasian.

Mais ces dernières années, une renouvellement générationnel est venu tout changer : en mars dernier, la PJ a fait tomber une quinzaine de mafieux arménienne. Tous avaient moins de trente ans. Et donnaient dans le proxénétisme et le racket de prostituées – loin, donc, du traditionnel recel à-la-papa. Depuis 2015, ils braquaient des filles un peu partout en France après que l’un d’eux se soient fait passer pour un client et exigeaient qu’elles leur versent entre 500 et 1000 euros par mois. Au passage, ils protégeaient également des escorts envoyées par une agence russe. L’équipe aurait gagné entre 600 000 et un million d’euros avant d’être arrêtée. Parmi les interpellés figurait un membre de l’Armenian power, un gang Californien né dans le quartier d’Hollywood. Le garcon, émigré à dix ans aux Etats-Unis; n’arborait pas en tatouage les étoiles à huit branches des Vory v Zakone, mais des signes de son gang sur tout le corps. A nouvelle activité… nouvelle génération.

Le film Bravo Virtuose sort en salles le 14 février