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reportage

Le marché aux dromadaires de Birqash

Réputés pour leur prix bon marché et leurs vertus aphrodisiaques, les camélidés rapportent chaque jour plusieurs millions de livres égyptiennes.

Toutes les photos sont de l'auteur

Le vendredi matin, Le Caire est une ville plutôt tranquille. Mais à une trentaine kilomètres de la capitale, le marché aux dromadaires de Birqash est toujours plein à craquer. Quand je me suis rendu là-bas, des dromadaires s'agitaient dans tous les sens pour éviter de se faire battre par leurs maîtres. Des enchérisseurs - principalement des bouchers ou des collectionneurs - arrivaient de part et d'autre pour en faire l'acquisition. L'ensemble du marché n'était pas bien joli à voir. Des cadavres de dromadaires étaient empilés ça et là, dégageant une odeur putride. Ces pauvres bêtes avaient survécu à un voyage de 40 jours depuis la Somalie ou le Soudan, tout ça pour mourir ici.

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« Si un dromadaire est malade, il vaut mieux le tuer avant qu'il ne contamine les autres », m'a expliqué un vendeur. Non loin de lui se trouvait un corps de dromadaire en putréfaction.

Généralement, les vendeurs dirigent les dromadaires en les attachant par groupe de trois ou quatre. Lorsqu'un chamelier les bat pour les faire avancer, certains tentent de s'échapper. Les plus récalcitrants se font frapper à coups de cannes à sucre, parfois jusqu'à la mort.

« Danse ! Danse ! » a ordonné un garçon en frappant un des dromadaires. La bête a hurlé de douleur et s'est mise à courir de gauche à droite jusqu'à se retrouver face à un mur. Le père du garçon m'a expliqué qu'ils devaient frapper les bêtes pour que les enchérisseurs puissent les examiner sous toutes les coutures. « Mais en réalité, tout ce qui compte, c'est leur dentition, a-t-il affirmé. Il vous suffit de vérifier les dents d'un dromadaire pour savoir s'il est en bonne santé. »

Au sein du marché, un petit boui-boui proposait de la purée de fèves et des ta'amiya, qui sont des éléments de base de la cuisine égyptienne. Quelques hommes, assis à l'ombre, sirotaient du thé en échangeant quelques anecdotes sur le commerce de camélidés. Les enchères se font à la criée : les dromadaires adultes sont vendus environ 11 000 livres égyptiennes (soit un peu plus de 1200 euros) et les plus jeunes partent pour la moitié de cette somme. Les dromadaires blancs, prisés pour leur fourrure plus claire, ont beaucoup plus de valeur. Dès qu'une enchère est remportée et validée, le dromadaire est libéré et emmené dans un lieu à part où il est marqué sur le côté de sa bosse.

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Des symboles étaient déjà taillés dans leur croupe pour indiquer l'identité de leur propriétaire. Le marché aux dromadaires semble posséder son propre langage écrit, un code secret uniquement compris par les vendeurs. Les bouchers ont huit jours pour s'acquitter de leur dette. Tous les autres doivent immédiatement aligner la somme. Le marché fonctionne sur la confiance, et dans les bons jours, des millions de livres égyptiennes peuvent passer de main à main avant midi.

Au moment d'être chargés à l'arrière d'un pick-up surchargé, les dromadaires se sont débattus. Certains d'entre eux ont déféqué sur les personnes qui les manipulaient. D'autres se sont contentés de pleurer, ce qui était particulièrement déchirant à voir.

Dans son livre, [Camel Meat and Meat Products](http://books.google.fr/books?id=9ed1bquVydsC&pg=PA54&lpg=PA54&dq=camel+meat+consumption+per+capita&source=bl&ots=aGw1TemU1B&sig=xunhfUznYFVxcVQZDrz5zcOaEWU&hl=en&sa=X&ei=PcM2VMTlDOvksAS-5YGACg&rediresc=y#v=onepage&q=camel meat consumption per capita&f=false)_, Isam T.Kadim souligne qu'il « y a très peu d'abattoirs spécialisés dans la viande de chameau et de dromadaire dans le monde, à cause de la production limitée et de la faible consommation de viande de camélidé par habitant. » L'abattage de dromadaires est peu régulé, ce qui laisse la porte ouverte pour le genre d'abus qui peuvent être observés à Birqash.

Malgré sa rudesse, le marché aux chameaux de Birqash joue un rôle très important pour le pays. Bien que les camélidés soient généralement plus consommés au Somaliland et en Éthiopie, les Égyptiens en mangent également - c'est la viande rouge la moins chère de l'Égypte. Et pour un pays où règne la pauvreté, les dromadaires de Birqash sont indispensables. Il y a deux ans, lorsque les gens avaient peur d'attraper des maladies buccales et podologiques en mangeant de la viande, beaucoup d'habitants du Caire se sont tournés vers la viande de camélidé. Traditionnellement, cette viande bon marché est considérée comme une option plus saine que le bœuf, et certains estiment que ces grosses bêtes ont aussi d'autres avantages. Quand je vivais en Cisjordanie, un bédouin m'a offert un verre de lait de chamelle. « C'est comme du viagra », m'a-t-il expliqué. « Bois ça et tu pourras assurer toute la nuit. »

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De retour au Caire, je me suis rendu chez un boucher pour l'interroger sur le prix de la viande de dromadaire. Le boucher a rigolé et m'a dit que seuls les pauvres en mangeaient - les personnes les plus aisées préférant le bœuf. Les bouchers du Caire ne vendent jamais du bœuf et du dromadaire en même temps , car ils ont peur d'être accusés de mélanger les viandes et d'arnaquer leurs clients. Pour trouver un kilo de dromadaire, j'ai dû me rendre à Imbaba, un quartier très pauvre sité à l'ouest du Nil.

Un kilo de dromadaire coûte 40 livres égyptiennes (environ 4,30 euros). Depuis des années, le prix de la nourriture augmente alors que les salaires stagnent. En conséquence, de nombreux foyers ont du mal à se nourrir. Le boucher d'Imabla m'a expliqué que les ventes baissaient de plus en plus.

J'ai amené mon sac de viande crue dans un restaurant et ai demandé aux cuisiniers de la préparer pour moi. Ils ont fait des kebabs en ajoutant des légumes frais. L'assaisonnement était parfait. C'était très bon et copieux, et particulièrement savoureux. Ça ressemblait à du bœuf, mais avec un léger goût de gibier, un peu comme du bison ou de l'autruche.

Le traitement des dromadaires à Birqash est sans aucun doute cruel et répugnant, mais ce n'est malheureusement pas la seule dérive que l'on connaisse. L'élevage en batterie est certainement une pratique encore pire, car elle nuit aux animaux tout en ravageant l'environnement. Il peut être pénible de voir des animaux se faire frapper et maltraiter, mais ce n'est pas comme si les cochons et les poulets qui se retrouvent sur les tables européennes avaient vécu une vie heureuse avant de décéder d'une cause naturelle.

À Imbaba, j'ai demandé aux serveurs s'ils mangeraient un jour du chameau. « J'en ai déjà goûté, a dit l'un deux. Mais je ne le referai pas. » Pourquoi pas ? « C'est pour les pauvres. Je préfère manger du poulet, de la dinde ou du bœuf. »