VICE Belgique est nominé pour les Red Bull Elektropedia Awards 2019. Envoyez-nous tout votre amour et votez pour nous dans la catégorie « Best Media ».1 Belge sur 9 prend des antidépresseurs et près de 6 personnes se suicident chaque jour en Belgique. C'est le cinquième taux le plus élevé en Europe. Les jeunes figurent parmi les plus concerné·es par ces fléaux. Du coup de blues au suicide, trouvez ici nos articles sur la santé mentale.
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Le rap belge est morose. Non pas qu’il soit nul, au contraire, mais il est triste, désabusé, au mieux nostalgique. Mais c’est cette noirceur qui a produit les talents actuels. De un, parce que confier ses peines force à trouver les bons mots et à affiner la plume ; de deux, parce que ça rapproche d’un public qui ne va pas forcément mieux. Et en soi, si le rap belge est aussi pessimiste, c'est peut-être parce que la Belgique est un pays de gens malheureux.Les dernières études dressent effectivement un constat de merde : 13,1 % des Belges sont sous antidépresseurs. Quant aux suicides, un rapport classe la Belgique à la cinquième place en Europe. Ici, on se suicide plus qu’ailleurs, avec près de 2.000 cas par an. Sans compter les suicides maquillés ou les tentatives ratées. Ça dresse une carte plutôt pourrie de notre santé mentale.73 % des musicien·nes iraient mal, et le suicide, la dépression ou la déprime (dans le meilleur des cas) ont toujours été des sujets récurrents dans la musique. En textes ou en vrai, la mort est omniprésente. En 2007, l’album "Projekt Terrror" du groupe de Black Metal belgo-néerlandais Stalaggh était fourni avec une lame de rasoir.Loin du sordide, le rap a aussi ses raisons d’être une source inépuisable de pessimisme. Et à mille lieux des bangers de clubs, les vrai·es savent : la base n’a rien de folichon. En vrai, ce constat n’est pas vraiment négatif. On devrait même reconnaître au rap le mérite d’avoir brisé une barrière en offrant la possibilité de verbaliser les maux. Dans la forme, la parole est offerte aux textes les plus denses ; aucun autre genre ne permet une charge si importante de mots. Dans le fond, on parle d’une musique qui a émergé il y a trente ans dans les vides laissés par des fractures sociales. Le rap est né d’une forme de contestation politique et a exprimé une forme d’injustice sociale ressentie dans les quartiers, d’état de crise à réparer ; ce qui n’a déjà rien de jovial. Accessible des plus précaires, le rap est devenu la voix de la jeunesse et des démuni·es. Pour résumer vite fait, il s’est construit sur le pessimisme et la colère de ces gens.
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Pessimistes et frustré·es, les jeunes figurent parmi les plus vulnérables face aux troubles mentaux. Selon l’OMS, le suicide est la deuxième cause mondiale de décès chez les 15-29 ans. Le rap a toujours été la musique de la jeunesse et la jeunesse a toujours broyé du noir.En France, une grosse partie de notre génération s’est reconnue dans le méga spleen de PNL - qui mentent quand ils disent « ça va » -, mais en Belgique aussi, beaucoup ont ont mis leur égo de côté pour vomir leurs paroles noires et universelles. C’est le cas d’Isha par exemple : « Quand j'pleure, j'ai le nez qui coule, et c'est ma meuf qui sèche mes larmes. » Même Kobo avec son album "Période d’essai", dans lequel il arrive pourtant conquérant sur quasi chaque morceau, doute ouvertement dans "Succès" : « Je passe ma vie à affronter mes peurs. Parfois j'me demande si ça vaut la peine, si faire d'la musique est vraiment une aubaine. » Avec des textes du genre, les rappeur·ses investissent l’espace intime qu’iels arrivent à créer avec leur public de déprimé·es. Un espace partagé avec des peurs communes et les mêmes interrogations. Et personne ne s’est gêné pour dévoiler son âme torturée sur une prod.Si personne en Belgique n’a rappé le fait qu’iel n'avait pas d’ami·es, beaucoup ont défié les absent·es des moments difficiles. Le « T’étais où quand je galérais ? », un classique du rap ; de Hamza : « Y'avait qu'ma mère et ma conscience pour me consoler quand j'étais seul », à Neshga : « Vous étiez où quand le stress, la peur d’la mort me rendaient fou allié », en passant par Isha : « J'me souviens encore. J'avais l'moral ratatiné ; les trois quarts de mes potes n’en avaient rien à cirer. » Et comme Green Montana ou VIK, on fait aux autres ce qu’on a subi : « Plus jamais je leur tendrai la main » et « Ils nous ont pas donné de coups de main, ça a pas de sens de tendre le bras à d’autres. » Ce besoin de revanche devient quasi maladif quand la déception du genre humain se transforme en misanthropie, comme pour Damso dans "Amnésie" : « Je ne me construis plus dans le regard des autres. J'suis ni des leurs, ni des vôtres, ni des nôtres. » Son rejet de l’être humain s’étale aussi dans "J respect R", "Baltringue", "Soliterrien" ou "Humains".
La solitude, la rancune et la misanthropie
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« J'voulais refaire le monde mais au final, j'ai vu l'humain. Et puis, j'ai pensé à ma gueule et c'est devenu plus simple », balance Senamo dans "Die". Se défaire des autres pour se protéger est un mécanisme de défense qui semble séduire, et la solitude devient un choix libérateur, comme pour JeanJass : « J'ai compris qu'en cherchant la solitude, je retrouve un peu de liberté. » La solitude n’est pas qu’un fléau, mais peut être un bienfait, et Krisy en fait son choix dans "Aucune émotion" : « J'suis isolé, très loin d'une vie de chien. Je fais mon taf, je vois plus trop les miens. J'connais mon chemin. » Deux ans plus tard, dans "Hors de ma vue", il répétera son envie de rester seul. Jones Cruipy, qui a toujours positivement rappé la rue, la drogue et l'amour qu'il a pour les siens, se déleste des opportunistes dans "Pas la peine" : « Combien d'fois t’es tombé pour eux ? Combien sont tombés pour toi ? Tous ce que t'as fais pour eux, est ce qu'ils le feront pour toi ? (…) Non, ils n'en valent pas la peine. » Et parfois, même malgré l’amour porté aux siens, la solitude est un besoin ; Lous : « Si je pouvais je vivrais seule, loin de mes chaînes et des gens que j'aime. »On commence à pénétrer une complexité mentale plus marquée chez les rappeur·ses lorsque le paradoxe suivant s’impose : « Mon corps est là mais mon esprit est ailleurs », rappe Scylla, pour qui le pessimisme est une réalité constante. C’est à peu près la même posture qu’adoptent Damso : « Ça crie, ça rit autour. J'suis là sans être présent » ou Ruskov (du groupe Les Alchimistes, dont l’album s’appelle "Antisocial") : « Je fais semblant d'aller, mais je garde tout en moi. Regard dans le vide, une clope à la bouche et ma teille de Beluga. » Ce comportement antisocial, qu’on pourrait lier à la dépersonnalisation dans les cas les plus extrêmes, est une triste porte d’entrée pour évoquer certaines addictions, comme c’est le cas pour Ruskov avec l’alcool.
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Les addictions
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Si beaucoup la glorifient, d’autres - parfois les mêmes - reconnaissent le côté nocif de l'herbe. Caballero par exemple : « La fumée grise fait que je vois pas le ciel » avant de réitérer un couplet plus tard : « Je brûle mes chances en cramant ce gros cierge. » Dans "Côté obscur", il avoue : « Tout va mal, la beuh nous hypnotise. » Damso s'avoue aussi stoner dans "Isolé" : « Je veux faire autre chose que de fumer avec mes potes. J’suis blasé. » Le lien entre consommation régulière et baisse de motivation, voire troubles dépressifs a récemment été prouvé. C’est chez les 15-24 ans qu’il serait aussi le plus important.Les couplets qui parlent d’herbe introduisent aussi, parfois, un constat d’échec. La Smala en sont les spécialistes : « Trop de fois, j'ai perdu pied à force de fumer ». En 2009, à leurs débuts, ils paraissent déjà cuits, fatigués par la vie et rappent sans pudeur les opportunités gâchées : « J'ai trouvé que l'échec après la tempête. » ou les tourments : « À vrai dire, à l'intérieur j'me sens vide. Sans mentir, ce n'est qu'à sa douleur qu'on se sent vivre. » Le groupe est alors le portrait d’une jeunesse en décrochage et dont le futur part en fumée de beuh. Cinq ans plus tôt, James Deano couchait les mêmes doutes sur papier : « L’adolescence et ses pulsions rebelles m’ont poussé vers l’échec, j’ai rien su faire (…) Aujourd’hui j’ai des regrets parce que je suis perdu. »
Les éternels regrets
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La peur de l’avenir
Le temps de merde
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Le manque d’argent (ou le travail)
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Le racisme
L’amour, ses doutes et ses désastres
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