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Culture

20 ans plus tard, Rosario Dawson nous a parlé de « Kids »

L'actrice m'a parlé du meilleur film d'ado jamais réalisé et de sa vie de New-Yorkaise de 1995.

Rosario Dawson dans Kids (1995). Image publiée avec l'aimable autorisation de Vidmark Entertainment/Photofest

Vingt ans plus tard, les adolescents qui peuplent le film Kids n'ont rien perdu de leur nihilisme, de leur violence et de leur intelligence. Pendant l'espace d'un jour, le film suit un groupe d'amis qui traînent dans le quartier de Manhattan en buvant, en fumant et en skatant. Les adolescents passent la majeure partie du film en groupe, à la recherche d'une nouvelle fête ou d'un autre endroit où traîner.

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Écrit par Harmony Korine et réalisé par Larry Clark, le film a lancé la carrière de Rosario Dawson, Chloë Sevigny et Léo Fitzpatrick. À l'époque, Dawson n'avait que 15 ans. Je lui ai passé un coup de fil pour lui parler de son expérience dans Kids et de l'héritage du film, 20 ans après sa sortie.

VICE : Quel âge avais-tu quand tu as été embauchée pour Kids ? Comment on t'a pitché le film ?
Rosario Dawson : Je venais juste d'avoir 15 ans, et je traînais sur mon perron. Mon père m'avait conseillé de descendre et de me montrer parce qu'il y avait un tournage de pub et qu'ils cherchaient des gens pour danser. J'ai juste traîné en bas, sans danser, pendant tout le week-end qu'a duré le tournage. C'est là que Larry (Clark), Harmony, le VP et d'autres membres de l'équipe m'ont remarquée. Ils faisaient du repérage dans le quartier.

Alors que je discutais avec quelqu'un, j'ai parlé tellement fort que toute l'équipe s'est tournée vers moi. Je me rappelle qu'ils étaient en train de faire des prises de son, et j'étais persuadée que j'allais me faire engueuler. Finalement, ils m'ont dit « On est en train de faire un repérage pour un film, et on pense que tu es parfaite ! » – ils étaient littéralement en train de sauter de joie – « On a un rôle qui t'ira parfaitement. On ne te connaît pas, on ne t'a jamais vue avant, mais on pense vraiment que ce rôle a été écrit pour toi. » Et Harmony [Korine] m'a un peu expliqué le film. J'ai dû dire un truc type : « Papaaaa, y'a des gens qui me parlent de faire un film. »

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Kids (1995). Image publiée avec l'aimable autorisation de Miramax/Photofest

Je suis allée dans leurs bureaux avec mon père, et j'ai passé le casting. Ils nous avaient donné le scénario et ma famille était plutôt OK avec tout, sauf avec le fait que mon personnage fumait. À part ça, ils avaient trouvé le scénario très bien écrit. J'ai grandi avec pas mal d'artistes, et on trouvait que ce projet était une belle opportunité. Sur le coup, je m'étais dit que ce n'était pas grand-chose, qu'ils se contentaient de choisir des gens qui leur plaisaient dans la rue, mais j'étais sûre que ce serait intéressant. Je ne ressemblais pas du tout à mon personnage, mais j'ai connu et grandi avec des filles comme ça. Ma mère m'a eue très jeune, et je comprenais plutôt bien la vulnérabilité de cette fille.

J'ai grandi avec une bande de filles qui, à 13 ou 14 ans, couchaient toutes avec leurs petits copains dealers, sans jamais utiliser de préservatif.

Quand Ruby, Jenny et leurs potes parlent et fument entre elles, il y a beaucoup de pose. Ce sont des filles encore jeunes et naïves, et pourtant elles prétendent en savoir un paquet sur la différence entre « faire l'amour » et « baiser », sur ce qu'est le « sexe ». Quel genre de conversations avais-tu avec tes potes filles, à l'époque ?
J'ai perdu ma virginité à 20 ans, du coup le film était très éloigné de ma vraie vie. J'ai grandi avec une bande de filles qui, à 13 ou 14 ans, couchaient toutes avec leurs petits copains dealers, sans jamais utiliser de préservatif parce qu'ils préféraient la sensation naturelle. Je leur disais : « Vous êtes en train de reproduire le même schéma de violence et de pauvreté dans lequel vous avez grandi et que vous prétendez vouloir quitter ». La réalité était intéressante, parce que quand ces filles ont eu 14 ans, en un été, elles se sont mises à parler exclusivement de cul. Je ne pense pas qu'elles avaient toujours voulu perdre leur virginité, mais tout est arrivé très tôt pour elles. Elles ont eu un corps de femme très vite, contrairement à moi. Quand on marchait dans la rue, même si on était une bande d'adolescentes, tout le monde les traitait comme des femmes, et elles essayaient de s'y habituer. Elles normalisaient ce qui leur arrivait et le fait que des adultes s'intéressent à elles.

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C'est là que je me suis dit que Kids valait le coup. J'avais toutes ces filles autour de moi qui essayaient de normaliser leur environnement et d'adopter des postures. Elles essayaient d'être cool, même si cela ne leur ressemblait pas vraiment, parce que c'est ce que faisaient tous les autres autour d'elles. C'était tous des gamins de parents qui travaillaient dur et qui ne leur prêtaient pas vraiment attention. C'est ce que font les gamins quand on leur donne trop de liberté.

Quand ma grand-mère a vu le film, elle m'a dit « Rosario, j'aurais bien aimé que tu me préviennes avant », ce à quoi j'ai répondu : « Désolée si je t'ai choquée. » Elle a conclu : « Tu ne m'as pas choquée. Il n'y a rien dans ce film qu'une personne honnête ne puisse reconnaître. J'aurais juste bien aimé que tu me préviennes avant que je dise à tous mes amis de l'église d'aller le voir. »

En revanche, les filles de Kids n'abordent jamais la question du consentement. En voyant le personnage de Telly chasser des vierges pubères, on a l'impression que ces filles ne réfléchissent pas du tout à ce sujet.
Il en allait de même pour les filles avec qui je traînais à l'époque – elles se mettaient toutes la pression pour rester dans le groupe. Elles attiraient les regards, elles devaient se pavaner, être fortes, être cool. Elles branlaient des mecs et leur taillaient des pipes, et je me disais « Qu'est-ce que ça leur apporte ? Elles sont juste utilisées et manipulées. Est-ce qu'elles aiment bien ces personnes, au moins ? Est-ce qu'elles apprécient la manière dont ils les traitent ? » Si je leur avais posé la question, elles se seraient sans doute retrouvées sans voix, comme si elles n'y avaient jamais vraiment pensé.

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Quand tu as vu le film en entier pour la première fois, qu'est-ce que ça t'a fait de voir la différence entre les discussions des filles et celles des garçons sur les expériences sexuelles ?
Si on oublie que c'est écrit et que beaucoup des acteurs n'étaient pas professionnels, je trouvais ça très réaliste. Les dialogues étaient écrits, mais il y avait aussi énormément d'impro parce qu'on n'était pas de vrais acteurs.

Mais je pense que les filles et les garçons prennent une certaine posture parce qu'ils y sont poussés. C'est des gamins qui éduquent d'autres gamins. Ils sont persuadés qu'ils ne vont jamais mourir, jamais vieillir, ils se battent et rebondissent après chaque égratignure. Ils ont énormément de failles. Tout le monde donne l'impression qu'il sait de quoi il parle, qu'il ou elle a eu énormément d'expériences. Mais en réalité, personne ne sait vraiment ce qu'il fait.

Chloë Sevigny dans « Kids » (1995). Image publiée avec l'aimable autorisation de Miramax/Photofest

Dans cette scène, mon personnage mène un peu la danse. Larry (Clark) n'arrêtait pas de me dire d'être plus agressive. J'étais fascinée par le processus. Chloë jouait une fille très intéressante, un peu garçon manqué. Elle était bien peu plus mature que moi. Bien que j'aie grandi dans le Lower East Side, je suis restée très casanière. Je me rappelle lui avoir parlé de mes différentes expériences et elle s'est rendue compte que j'étais très différente de mon personnage. La plupart des gamins jouaient une sorte de version romancée d'eux-mêmes, et c'est pour ça que Larry les avait pris. Harmony avait 19 ans quand il a écrit le film, et les dialogues étaient très familiers, un peu comme dans un documentaire. Quand ma grand-mère a vu le film, elle m'a dit « Rosario, j'aurais bien aimé que tu me préviennes avant », ce à quoi j'ai répondu : « Désolée si je t'ai choquée. » Elle a conclu : « Non, tu ne m'as pas choquée. Il n'y a rien dans ce film qu'une personne honnête ne puisse reconnaître. J'aurais juste bien aimé que tu me préviennes avant que je dise à tous mes amis de l'église d'aller le voir. »

Je pense que c'est ce qui fait que le film marche toujours, même s'il est un peu daté. On utilise une cabine téléphonique à un moment. Il n'y a pas de portable. Ça ne marcherait pas aujourd'hui, tout le monde est connecté. Tout le monde est géolocalisé. L'idée même de passer une journée à chercher quelqu'un n'est plus réalisable. Mais il y a une vraie connexion avec ce moment, quand on essaie d'explorer et de passer à la prochaine étape de la vie. Ce sont juste des gamins qui essaient d'en éduquer d'autres. Un moment dans sa vie où on est persuadé qu'on ne mourra jamais, qu'on restera jeunes à jamais, où on se bat et on rebondit à chaque blessure. Mais la vraie vie, ce n'est pas ça — on peut tomber enceinte, on peut mourir, attraper une maladie. On a des failles, on est vulnérables. Je transmets ça à mes enfants aujourd'hui. Ils peuvent me parler [de sexe] quand ils veulent. Il y a encore beaucoup d'ignorance, de ridicule, de provocations, de curiosités et d'aventures. Les hormones, quoi.

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