Une illustration des années 1950 montrant une équipe d'alpinistes observant un yéti au loin.
Ed Vebell / Getty Images
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Un manuscrit soviétique sur les expéditions pour trouver le Yéti exhumé

Dans plusieurs pays de l'ex-URSS, on rapporte l’existence de créatures cryptiques et autres « hommes-ours nus » se déplaçant dans les montagnes.

De mystérieux « hommes sauvages » vivant aux confins de la civilisation habitent notre folklore depuis des siècles, mais peu sont aussi légendaires - ou insaisissables - que Bigfoot. 

Mais alors que cet hominidé vivant près d’un ruisseau s’insinuait dans notre imaginaire, les Soviétiques traquaient un autre bipède évasif. À près de 11 000 kilomètres de là, dans les montagnes enneigées du Caucase, une équipe de chercheurs soviétiques se lançait à la recherche du cousin des glaces de Bigfoot, le Yéti.

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Aujourd'hui, plus d’un demi-siècle plus tard, un manuscrit soviétique permet de faire la lumière sur l’une des premières expéditions à la recherche de cette créature légendaire - et relate notamment des rencontres supposées avec la bête.

Au Tadjikistan, au Kirghizistan et en Ouzbékistan, on rapporte l’existence de créatures cryptiques se déplaçant dans les montagnes, d’« hommes-ours nus » poussant des hurlements perçants au milieu de la journée, de grandes créatures poilues renversant les tentes d’un coup de pied rageur, de troupes de bêtes à poils de chameau se déplaçant sur deux jambes et se nourrissant de rhubarbe, et même d’effroyables scènes de meurtre où le foie des victimes avait été mystérieusement arraché. Leur principal suspect était le mystérieux Yéti, plus connu dans le Caucase sous le nom d’« Almasty ».

C’est la fascination du XXe siècle pour le mont Everest qui a exposé les explorateurs européens à la légende du Yéti, à l'origine un type de gardien sacré vénéré dans les sculptures du roi Anandapur Parthiva Sankara Gavampati. Mais lorsque le sommet de l’Everest a été conquis pour la première fois en 1953, ces histoires n’ont pas tardé à devenir un phénomène mondial - une expédition à la recherche de l'abominable homme des neiges nouvellement nommé a même été parrainée par le célèbre tabloïd britannique Daily Mail.

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Les journaux n’étaient pas les seuls à s’y intéresser. En URSS, le polytechnicien soviétique Boris Porshnev s’est aussi sérieusement penché sur la question.

Boris Porshnev assis sur une chaise devant une bibliothèque.

Le professeur Boris Porshnev, qui a rédigé le manuscrit sur les observations du Yéti pour l'Union soviétique, photographié en France en 1970.

Historien spécialisé dans les révoltes populaires de la France de l’ancien régime, Boris Porshnev était également fasciné par l’anthropologie et la linguistique. Il soupçonnait que les observations de ces mystérieuses créatures dans la nature pouvaient être une forme d’« hominidé relique » - en d’autres termes, des vestiges ayant survécu contre toute attente dans des climats sauvages et rudes.

Universitaire respecté, Porshnev s’était déjà penché sur des théories peu orthodoxes - comme l’idée que le langage était le moteur de l’évolution qui a permis à tous les types d’hominidés de prospérer - et il pensait que repérer certains de ces « hommes sauvages » pourrait fournir des indices permettant de combler les lacunes dans notre histoire. Après avoir obtenu l’approbation de l’Académie soviétique des sciences, Porshnev a partagé ses objectifs dans le journal officiel du Parti communiste, la Pravda, où il a sollicité des témoignages de personnes ayant aperçu ces créatures.

« Ce livre, travail d'un scientifique très respecté, contient des éléments qui n’ont jamais été vus par quiconque en Occident. » - Richard Freeman, directeur du CFZ

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Les rapports ont afflué et, en 1958, Porshnev a entrepris de suivre ces pistes prometteuses en personne, accompagné d’experts en folklore, de géologues et d’anthropologues. Ses collègues avaient cependant une autre idée en tête : beaucoup n’en avaient rien à faire des yétis, et même le chef de l’expédition, un botaniste, Cyril Staniukovich, était beaucoup plus intéressé par l’étude de la flore locale que par la capture de créatures cheloues.

Cette expédition peu fructueuse a été l’une des deux seules enquêtes officielles jamais menées sur des créatures proches de Bigfoot, la seconde étant une recherche menée par la Chine communiste. Aujourd’hui, les manuscrits de Porshnev ont été retrouvés et traduits en anglais pour la première fois, détaillant des témoignages concernant des Yétis, des hommes sauvages et des « Almasty » dans les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale.

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Il est presque aussi difficile de mettre la main sur ces manuscrits que sur le Yéti lui-même. On pensait qu’ils étaient perdus jusqu’à ce qu'une petite maison d’édition du Devon, en Angleterre, appelée Centre for Fortean Cryptozoology (CFZ), n’intervienne.

« Cela faisait longtemps que nous voulions retrouver ce manuscrit », confie Richard Freeman, directeur de la zoologie de l’organisation, à Motherboard. « En tant que document purement historique, il mérite d’être réédité, car c’est le travail d'un scientifique très respecté. Mais le plus important, ce sont les informations qu’il contient et que nous pourrions recueillir sur les “hominidés reliques”. En effet, ce livre contient des éléments qui n’ont jamais été vus par quiconque en Occident, ce qui est tout à fait remarquable. »

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Le CFZ est tombé sur les manuscrits presque par hasard. La bibliothèque de Moscou en détenait un exemplaire qu’elle n’était pas prête à céder. Toutefois, le chercheur spécialiste du yéti Dmitri Bayanov, aujourd’hui décédé, a présenté Freeman à l’arrière-petit-fils de Porshnev, qui a accepté que les manuscrits soient traduits.

« Avant la Révolution russe de 1917, il y avait des hommes sauvages, et maintenant il n’y en a plus » - un chercheur anonyme.

Ces récits de voyages autour du monde font état de créatures à la tête hirsute, couvertes de fourrure et dotées de « longues mamelles », qui rôdent dans les montagnes du Pamir, et d’hommes sauvages du Kirghizistan qui, il y a longtemps, marchaient sur deux jambes comme les humains mais qui avaient des pieds deux fois plus grands, comme des pagaies. D’étranges hominidés habiteraient des grottes, des montagnes et des ruisseaux dans le district de Faizobod, au Tadjikistan. Ailleurs, à Urgut, en Ouzbékistan, les créatures s’asseyaient pendant des heures sur des monticules de terre, laissant derrière elles de profondes empreintes de leurs fesses.

D’autres affirment que ces créatures mesuraient deux mètres de haut, qu’elles étaient couvertes de poils roux, qu’elles vivaient en petits groupes et qu’elles ne se déplaçaient jamais très loin. Un chercheur du Jardin botanique du Pamir, a quant à lui  affirmé que la Révolution russe de 1917 pourrait avoir mis un terme à leur existence : « Avant la Révolution, il y avait des hommes sauvages, et maintenant il n’y en a plus », aurait confié un chercheur à Porshnev. Porshnev a découvert de nombreux témoignages de ce type, mais n’a jamais réussi à obtenir de preuves matérielles.

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« Les histoires de “bonhommes de neige” vivant dans les Pamirs n’ont aucun fondement dans la réalité » - Anna Z. Rozenfeld, folkloriste.

Alexander Porshenko, chef du Centre d'anthropologie religieuse de l’Université européenne de Saint-Pétersbourg, a déclaré à Motherboard que certains membres de la communauté scientifique soviétique n’ont pas apprécié ces recherches. Même les premiers compagnons de voyage de l’expédition, comme la folkloriste Anna Z. Rozenfeld, ont tourné le dos à Porshneven et déclaré : « les histoires de “bonhommes de neige” vivant dans les Pamirs n’ont aucun fondement dans la réalité ». D’autres géographes soviétiques spécialisés dans l’Asie centrale ont catégoriquement balayé d’un revers de main tous les rapports faisant état d’hommes sauvages dans la région. Plus tard, en 1969, un groupe de zoologistes et de biologistes soviétiques a qualifié l’étude de Porshnev de « pseudo-scientifique ».

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Malgré ces réactions hostiles, l’Union soviétique « a prouvé qu'elle était disposée à mettre ses institutions traditionnelles à contribution pour enquêter sur des phénomènes étranges », explique Andy Bruno, professeur en histoire et en études environnementales à la Northern Illinois University.

À l’instar de l’explosion de la Tunguska en 1908, dont certains pensaient qu’elle était due au crash d’un ovni à propulsion nucléaire, l’Académie des sciences s’est parfois montrée prête à faire équipe avec des chercheurs bénévoles pour enquêter sur des phénomènes mystiques ou ésotériques. Si l’Union soviétique s’est efforcée de développer la culture scientifique, les efforts déployés à cette fin, selon Bruno, ont souvent contribué à encourager davantage l’intérêt pour le paranormal.

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Ce fut le cas pour Porshnev : bien qu’il ne soit revenu qu’avec des histoires et les mains vides, l’intérêt journalistique pour le Yéti est demeuré, même parmi les publications scientifiques. Sa commission officielle a échoué, mais il a constitué un groupe d’adeptes dévoués à sa mission, et il a continué à voyager avec des chercheurs bénévoles dans toute l’Asie centrale pour recueillir de nouvelles preuves entre les années 1960 et 1980, alors même que le soutien officiel faiblissait.

Des décennies après la mort de Porshnev, Richard Freeman, du CFZ, pourrait bien devenir son successeur spirituel.

« J’’ai traqué l’Almasty et ses semblables en Russie, au Tadjikistan et dans le nord de l’Inde », explique ce cryptozoologue itinérant, ancien employé de zoo et spécialiste des reptiles. Il a également tenté de retrouver le « loup de Tasmanie », l’« anaconda géant » et le « ver de la mort mongolien ».

S’il n'a pas encore réussi à réunir des preuves matérielles concluantes, Freeman raconte avoir frôlé la mort à maintes reprises, lors de chutes dans des ravins ou avec des lianes saisies à la dernière minute, tel un Indiana Jones cryptozoologique. Il a accumulé une longue liste de récits tout aussi effrayants.

Illustration du légendaire "homme sauvage" d'Asie centrale en position couchée.

Illustration du manuscrit de Porshnev représentant l'"homme sauvage" (ksy-gyik) d'Asie centrale, tel que décrit en 1917 par le zoologiste russe V.A. Khakhlov.

Freeman a déclaré à Motherboard que les archives concernant l’Almasty remontent à des centaines d'années. Dans son livre, In Search Of Real Monsters, il écrit qu'on pensait qu’ils étaient du genre Homo genus, « et non pongid », comme les grands singes.

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En 2008, lors d’un voyage dans la région de Kabardino-Balkarie, dans les montagnes du Caucase, le biologiste Grigory Panchenko a appris qu’un hominidé adulte avait pénétré dans une maison, matraquant le chien des propriétaires avant de voler une meule de fromage et de s’enfuir.

En retournant sur les lieux du crime, Freeman et ses collègues ont découvert d’anciennes tombes sarmates à proximité, avec des restes de crânes aux formes étranges éparpillés un peu partout, mais il ne s’agissait pas d’hommes sauvages. Ces restes n’étaient que les vestiges d’un rituel commun aux peuples de la région entre le troisième et le septième siècle - une découverte étonnante, mais décevante d’un point de vue cryptozoologique.

Ailleurs, près d’une ville appelée Neutrino, une autre enquête a été menée sur une ferme abandonnée, le site d’un horrible triple homicide. Des bergers de la région, qui buvaient à proximité, ont affirmé s’être retrouvés nez à nez avec un Almasty qui, effrayé mais avec une assurance enviable, a gentiment soulevé l’un d’entre eux avant de bondir d'une véranda voisine.

Freeman et ses compagnons de route ont donc installé dans la ferme abandonnée des pièges à caméra sensibles au mouvement, posant du pain et du miel en guise d’appât. Au petit matin, les investigateurs ont entendu un bruit étrange - une vocalisation gutturale que Freeman décrit comme un « bub-a-bub-a-bub » phonétique qui semblait émerger de cette même véranda.

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« Le piège à caméra s’est déclenché mais tout ce qu’on a obtenu, c’est de la végétation en mouvement. C’est la dernière fois que j'ai été aussi près de l’apercevoir » - Richard Freeman, directeur du CFZ

« Quelques secondes plus tard, quelque chose a marché le long de la véranda, et quoi que ce soit, il marchait sur deux jambes car en passant devant la porte, qui était légèrement entrouverte, il a bloqué le clair de lune et la lumière des étoiles sur une hauteur d'au moins deux mètres », a raconté Freeman. « On a attrapé nos appareils photo et on s’est précipité dehors, mais la chose avait disparu dans la nuit. On a fait le tour de la ferme mais on n’a rien trouvé. »

« C’est la dernière fois que j'ai été aussi près de l’apercevoir », se lamente Freeman. « Le piège à caméra s’est déclenché mais tout ce qu’on a obtenu, c’est de la végétation en mouvement. »

Malgré son manque de découvertes matérielles, Freeman croit en l’existence de ces créatures. Il note que la théorie de Porshnev sur les Néandertaliens survivants est dépassée - ils étaient plutôt petits, contrairement aux grands Almasty - et les rapports qu’il a entendus suggèrent l’utilisation d’outils primitifs. Après tout, ajoute Freeman, il existe plus de vestiges mystérieux d’hominidés qu'on ne le pense, comme les habitants de la grotte de Red Deer, dans le nord de la Chine, dont l’existence a intrigué les scientifiques.

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Néanmoins, l’expert du Yéti Daniel C. Taylor affirme avoir prouvé dans son livre, Yeti : The Ecology of a Mystery, que la créature est « incontestablement » un ours. Il a déclaré à Motherboard que pour mieux comprendre l’énigme du Yéti, il est utile de diviser le sujet du Yéti en trois sous-catégories. On a le Yéti des Sherpas, des animaux confondus par erreur, et enfin, la conception « Disney » du Yéti à laquelle Stormy Daniels faisait référence lorsqu'elle a décrit Donald Trump comme un « type avec des poils pubiens de Yéti ».

« J'utilise la distinction entre trois Yétis parce que, dans l’esprit du public, on confond la légende du Yéti avec le Yéti biologique », explique Taylor à Motherboard.  « Ce serait un peu comme dire que le Père Noël existe puisqu’il y a tout un folklore qui lui est consacré. Les enfants y croient, mais pas ceux qui ont vraiment étudié le Père Noël, puis il y a le troisième Père Noël qu’on retrouve dans les grands centres commerciaux, avec lequel les enfants s'assoient pour prendre une photo : cette personne existe mais ne rend pas le Père Noël réel, et c’est comme le Yéti de Walt Disney (ou celui de Stormy Daniels). »

Deux photographies censées montrer des empreintes de Yeti dans les neiges du Mont Everest.

Photos tirées du manuscrit de Porshnev provenant d'une expédition de 1951 qui affirmait avoir trouvé des empreintes de Yéti.

Le mention des poils pubiens de Donald Trump étant perturbante, Motherboard a demandé au Dr David L. Roberts, spécialiste des espèces disparues à l’université du Kent, ce qu’il en pensait. Roberts explique que, même s’il est difficile de prouver la négative en matière d’extinction, il pense qu’il est peu probable qu’il y ait encore de mystérieux hominidés qui errent dans la nature.

« Nous avons tendance à découvrir les grandes espèces parce qu’elles sont plus faciles à repérer (et qu’il est compliqué pour elles de se cacher) » - Dr David L. Roberts, spécialiste des espèces disparues

« Cela ne veut pas dire que nous n’avons pas fait de découvertes spectaculaires au cours du siècle dernier », a ajouté Roberts. « Mais nous avons tendance à découvrir les grandes espèces parce qu’elles sont plus faciles à repérer - et qu’il est compliqué pour elles de se cacher. Nous avons également tendance à faire des découvertes plutôt dans les latitudes septentrionales que dans les latitudes méridionales, car c’est là qu’étaient basés un grand nombre de taxinomistes scientifiques. »

« Il est donc très improbable de tomber sur de grands hominidés errant aux États-Unis ou même dans le Caucase. »

Qu’elles soient fondées ou non, les histoires persistent, et Freeman est loin d’être le seul à y croire : de nombreux amateurs de yétis insistent sur le fait que la Sibérie abrite d’étranges entités cryptozoologiques qui arpentent les toundras. Parmi eux : Vladimir Poutine, qui affirme avoir un jour aperçu une famille entière de Yétis.

Nullement découragé, Freeman prévoit de poursuivre sa traque, avec l’espoir de retourner au Tadjikistan un jour. Quant à savoir pourquoi, malgré des recherches approfondies, aucun Almasty, Yéti ou Bigfoot n’a encore été découvert, Freeman explique que ces créatures savent très bien comment se faire discrètes, peut-être parce que leur survie en dépend. 

S’il est un lieu où leur existence ne fait aucun doute, c’est bien dans les esprits. Car, qu’elles soient réelles ou non, vivantes ou éteintes, ou simplement métaphysiques, ces créatures qui foulent la neige et arpentent les montagnes, aux confins de la civilisation, ne cessent de nous fasciner.

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