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Avec les petites filles adeptes de la pole dance

Les fillettes aussi ont le droit de se déhancher comme des strip-teaseuses.

Cet article a été initialement publié sur Broadly.

Paige Olson, onze ans, patiente dans un centre de loisirs londonien, trop timide pour parler. Elle a des yeux bleu clair, des cheveux noirs et porte un costume de scène couvert de plumes. Sa mère, Jennifer Balow, 44 ans – qui élève Paige toute seule – parle pour sa fille lorsque les nerfs de cette dernière lâchent, ce qui arrive souvent.

Elles ont fait le trajet depuis Tucson, en Arizona, afin qu'Olson puisse participer aux championnats mondiaux 2016 de la Fédération Internationale de Pole Dance (IPSF). La compétition en est à sa cinquième édition et présente des dizaines de concurrentes venues des quatre coins du monde. Olson est actuellement la favorite parmi les dix concurrentes de la catégorie enfant : un talent prodigieux dans une salle remplie de fillettes de 14 ans capables de défier la gravité en tournoyant autour de barres de quatre mètres de hauteur.

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Nombre de personnes sont horrifiées à l'idée que des filles prépubères puissent se balancer autour d'un dispositif plus souvent associé à des strip-teaseuses de banlieue. Par conséquent, le sport a du mal à gagner une légitimité dans la culture mainstream – et le fait qu'il existe une catégorie enfants ne fait qu'exacerber la controverse. La communauté de pole dance insiste pourtant sur le fait que ce sport n'est pas synonyme de « strip-tease » : en réalité, il exige un niveau de compétences équivalent à celui de la gymnastique ou de la danse contemporaine, des activités qui ne sont pourtant pas considérées comme sexuelles. Et de fait, la majorité des filles avec qui je me suis entretenue pendant la compétition m'ont dit être passées par le monde de la gymnastique ou de la danse avant de s'attaquer à la pole.

Plus tôt dans la matinée, Katie Coates, 39 ans, présidente de l'IPSF – une véritable pile électrique en talons hauts et jupe droite – m'a rejoint à l'entrée du Crystal Palace National Sports Centre afin de me montrer les lieux. Coates est au cœur de l'évolution de la pole dance et s'est donnée pour mission de l'intégrer aux Jeux Olympiques. Je lui avoue que je suis obsédée par une vidéo où elle réalise des figures sur le thème du Lac des cygnes de Tchaïkovski avant d'enchaîner parfaitement sur « Love Don't Let Me Go » de David Guetta. Elle grimace. « Arrêtez ! Je voudrais pouvoir supprimer cette vidéo. »

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Des supporters américains. Toutes les photos sont d'Alice Zoo

Dans l'auditorium, les fillettes traînent en survêtement pendant que les entraîneurs leur font des coiffures douloureuses et élaborées et leur appliquent du gloss à la framboise. Des vieux tubes de J-Lo retentissent à travers les haut-parleurs. Les parents promettent à leurs enfants du nouveau matériel de compétition vendu sur les étals qui bordent l'entrée, où les tenues tapageuses comportent plus de diamants qu'une résidence de Las Vegas. S'il n'y avait pas le centre de traitement des brûlures et un secouriste présent, on pourrait tout aussi bien se trouver à un événement de gymnastique ou de danse.

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Des stands vendant du matériel de pole dance.

Malgré toutes ces paillettes, la pole dance est – pour l'instant – en mauvaise position. « Les préjugés veulent que ce sport soit sexuel, explique Coates, ce qui signifie que nous sommes peu attrayants pour les sociétés commanditaires. Elles ne veulent pas miser sur nous. » L'IPSF est entièrement autofinancé, ce qui veut dire que le personnel travaille pendant son temps libre et que les athlètes paient de leur poche.

Coates m'apprend qu'elle a quitté son emploi pour travailler à plein-temps, consacrant six jours par semaine à faire naître l'IPSF. « Nous croyons tous totalement en ce que nous faisons, dit-elle au nom de son équipe. C'est le truc avec la pole dance. Vous en tombez tellement amoureux que vous seriez prêt à faire n'importe quoi la pratiquer. »

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Si la pole dance est mal comprise, les athlètes juniors sont encore plus décriés. Une émission de télévision britannique a récemment soulevé la question de savoir si la pole dance était adaptée aux enfants – le sujet a ensuite fait les gros titres des tabloïds et a suscité des réactions violentes sur Twitter. Les plaignants affirment que la pole dance sexualise les jeunes filles et que les origines de ce sport le rendent inadapté aux mineurs. Les associations sportives ont répondu qu'au contraire, il fallait « célébrer » la future génération d'athlètes de pole dance. Quel que soit votre point de vue, il y a une énorme attention mondiale autour des enfants qui pratiquent la pole dance : cette vidéo de la prodige ukrainienne de huit ans, Emily Moskalenko, a fait plus de 30 millions de vues.

Balow a elle-même subi l'hostilité à laquelle beaucoup de parents de pole danseuses sont confrontés. « Certaines personnes ne changeront jamais de point de vue là-dessus. Soit elles sont très étroites d'esprit, soit elles ont vécu quelque chose dans leur vie personnelle qui les empêche de le faire. »

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Paige Olson et sa mère Jennifer Balow.

« C'est marrant », répond timidement Olson lorsque je lui demande ce qu'elle aime dans la pole dance. C'est tout ? « Je ne sais pas ? » Elle se tourne vers sa mère pour se faire rassurer.

« Nous essayons toujours de créer un personnage qui colle avec la musique de Paige, dit Balow, changeant complètement de sujet. Aujourd'hui, elle est un oiseau. Vous voyez les plumes ? »

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Je sens que Coates n'est pas la seule pour qui la pole dance est un travail quotidien et prenant. Olson s'entraîne six jours par semaine, trois heures par jour. « Entre ses entraînements, sa scolarisation à domicile, le travail et l'entretien de la maison, je n'ai pas de temps pour moi », soupire Balow.

Contre toute attente, Balow – une femme modeste qui partage les yeux en amande de sa fille – devient émotive. « Quand elle est sur la barre, dit-elle en étouffant ses larmes, ce sont les trois minutes les plus longues de ma vie. Cela me fait monter les larmes aux yeux, je suis si fière. »

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Annika, avant sa performance.

En me baladant dans la pièce, je rencontre Annika Winkler, 13 ans, originaire de Saxe, en Allemagne. Elle sourit béatement pendant que nous parlons, malgré le fait que ses cheveux – recouverts d'une multitude d'élastiques en plastique – semblent atrocement tirés. Son frère, qui fait la traduction, me dit qu'elle s'est levée à six heures du matin pour que son entraîneur puisse réaliser cette coiffure. « Je veux être entraîneuse de pole dance plus tard, me dit-elle. Ou travailler dans une boulangerie. »

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Une performance en cours.

Avant le début de la compétition, Deb Roach chauffe la foule. Son numéro ressemble à une partie de Tetris, et est d'autant plus impressionnant que Roach n'a qu'un seul bras (elle est née avec un handicap congénital). Après les applaudissements, la première concurrente – une Japonaise d'environ dix ou onze ans – fait son entrée. Elle grimpe au sommet de la barre et, dans un bruissement métallique, dévale les quatre mètres et s'arrête juste avant de toucher le sol.

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Je suis frappée par les similitudes avec la gymnastique rythmique – les membres hyper-tendus, les bras évasés, les orteils pointés. Sur la barre, elle effectue des rotations lentes et gracieuses, tout en contrôle. À un moment donné, elle se balance sur la barre en utilisant uniquement sa nuque et le talon de son pied. Toute l'équipe japonaise, y compris une femme habillée comme une geisha avec des drapeaux nationaux dans ses cheveux, acclame chacun de ses mouvements.

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Zoe Blair

Zoe Blair, treize ans, une rousse à lunettes vêtue d'un survêtement, regarde pensivement la foule. Elle a participé à la compétition hier, mais n'a pas réussi à se faire une place en finale, même si cela ne semble pas la déranger. « Je me sens bien quand je suis sur la barre. Dans la vraie vie, je suis plutôt timide et réservée, mais quand je suis sur la barre, je me lâche vraiment. »

Les juges lisent les scores à une équipe japonaise manifestement déçue. Je demande à Blair quel est le mouvement le plus difficile qu'elle est capable de réaliser. « Je peux faire un rainbow marchenko. C'est un mouvement d'un point, il devrait donc être difficile, mais pour moi il ne l'est pas. En revanche, je lutte pour réussir à faire un chopstick, même si ce n'est qu'un 0,6. » Selon le Code de pointage de l'IPSF, chaque mouvement se voit attribuer une valeur technique – plus le score est élevé, plus le mouvement est difficile. Elle fait une pause, avant d'ajouter, le plus sérieusement du monde : « Je n'arrive pas à comprendre ce mouvement. »

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Une autre performance en cours.

Regarder les performances me procure une sensation étouffante, comme si l'on me forçait à intégrer un bootcamp géré par des mannequins Victoria's Secret. Une fille en justaucorps se hisse sur la barre avec une facilité démoniaque et adopte une pose de mante religieuse. Elle pointe la foule, lance un regard noir et se laisse tomber à deux centimètres du sol.

Je commence à reconnaître la chorégraphie. Les participantes commencent souvent par une ouverture dynamique, afin de montrer leur agilité et leur souplesse, avant d'adopter des mouvements plus lents, pour montrer leur force et leur contrôle.

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Des athlètes

Olson monte sur scène pour exécuter son numéro d'oiseau. Elle défie la gravité avec une aisance déconcertante. J'aperçois Balow et je me rappelle ce qu'elle m'a dit plus tôt – que les performances de Paige étaient les trois minutes les plus longues de sa vie. Au sommet de la barre, Olson adoucit sa pose et replie ses ailes.

Une fois la performance terminée, Olson et sa mère attendent le score. C'est un record – 47.25 – mieux qu'elles ne l'avaient espéré. Olson éclate en sanglots. Je remarque tout juste que son père a regardé la performance depuis l'auditorium. Je lui demande ce qu'il va faire pour célébrer la victoire de sa fille.

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Des costumes pour adultes.

« Elle adore les donuts. Je vais aller lui chercher un donut. »