L’Histoire de la disparition de deux hommes en Islande et de l'hystérie qui en a découlé

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L’Histoire de la disparition de deux hommes en Islande et de l'hystérie qui en a découlé

Retour sur l'affaire de « Gudmundor et Geirfinnur », l'étrange scénario de film d'horreur ayant eu lieu tout au nord de l'océan Atlantique.

Reconstitution de la mort de Geirfinnur, 23 janvier 1977.

Le nouveau livre du photographe Jack Latham, Sugar Paper Theories, revient sur la mystérieuse affaire de « Gudmundor et Geirfinnur », qui reste aujourd'hui l'une des enquêtes criminelles les plus complexes de toute l'Islande.

En 1974, la disparition de deux hommes sans relation aucune a provoqué une peur généralisée à travers tout le pays – d'autant plus que l'enquête de police a été perturbée par les confessions d'un groupe de six jeunes, lesquels ont tous prétendu avoir tué l'un des deux disparus. L'affaire touchait aussi de nombreux sujets du folklore islandais, comme les elfes, mais aussi une certaine peur classique du XXe siècle envers les drogues et les cultures underground. Le problème, c'est qu'aucun de ces jeunes ne semblait se souvenir de son crime.

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Cette affaire a de quoi fasciner, puisqu'elle combine faux témoignages, hystérie collective et boucs émissaires. Le livre de Latham retrace cette affaire dans tous ses aspects – en capturant la beauté particulière de l'Islande, en plongeant dans les archives douteuses de la police et en relatant les conspirations qui entourent cette affaire et tous ceux qui y sont impliqués. Au-delà des photos, le livre dresse aussi un état des lieux de l'affaire, écrit par Gisli Gudjonsson, un psychologue de la justice expert en faux souvenirs.

J'ai discuté avec Latham pour en savoir plus sur son projet.

Peu de temps après sa retraite, Gísli Guðmundsson a déclaré qu'on l'avait empêché d'enquêter sur l'alibi de Sævar en 1977, lors de la disparition de Guðmundur.

VICE : Qu'est-ce qui vous a autant fasciné dans cette affaire ? Je me rappelle avoir lu un article de la BBC et avoir trouvé ça fascinant aussi, mais votre implication est d'un tout autre niveau.
Jack Latham : À l'époque, je faisais beaucoup de recherches sur le folklore islandais, plus particulièrement sur les histoires de huldufolk (des elfes) qui kidnappaient les gens sans laisser de trace. J'ai passé beaucoup de temps à en parler avec mes collègues, puis un ami m'a orienté vers cette affaire. Le dossier de la BBC m'a été d'une grande aide pour entamer ce projet, et tout a commencé à partir de là. Tous les suspects condamnés furent relâchés un an plus tard. L'opinion publique a largement changé depuis les années 1970 – aujourd'hui, les gens sont largement conscients de ce qui est arrivé durant l'enquête. Au moment où je faisais cette enquête, l'affaire n'avait pas encore été rouverte.

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Combien de temps avez-vous passé sur ce projet ?
J'ai commencé à prendre des photos en 2014. À l'époque, VICE m'avait suivi durant les cinq premiers jours pour un épisode de Picture Perfect En décembre 2015, j'ai été récompensé par le Bar Tur Photobook Award, qui m'a proposé de tirer un livre de ce projet. J'ai continué de travailler dessus jusqu'en juin 2016.

Disparition #2

D'un point de vue photographique, qu'est-ce que cette affaire avait tant à offrir ? J'imagine que vous avez dû utiliser des images d'archives, des portraits et des paysages.
Photographier est toujours un défi intéressant. Beaucoup de paysages et de lieux ont changé depuis les dernières arrestations, si bien qu'il est presque impossible de les retrouver. C'est seulement quand j'ai commencé à me pencher sur les souvenirs et la mauvaise interprétation de certains détails que j'ai utilisé cette affaire comme fil rouge pour mon récit. Il fallait que je me penche sur cette zone grise, où vérité et fiction finissent par se confondre. Je tenais à reconstituer cette histoire étape par étape, un peu comme quand les policiers ont expliqué aux suspects ce qu'il s'était passé. Avec un fond de vérité, mais beaucoup de détails très vagues.

Comment le folklore traditionnel s'est entrelacé dans cette affaire ? Comment l'avez-vous amené dans votre livre ?
Le storytelling est utilisé en Islande comme une méthode pour apprendre des choses importantes aux enfants. Par exemple, l'histoire des elfes qui enlèvent des gens pendant les tempêtes de neige signifie que le blizzard est dangereux. C'est ce mélange de storytelling et de culture islandaise que j'ai trouvé passionnant. Dans cette affaire en particulier, où six personnes se sont vues confesser un crime qu'elles n'avaient pas commis, jusqu'à être persuadées de l'avoir fait – c'est un peu une réminiscence de ce folklore.

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Conspirationniste #3

Il y a plusieurs portraits de conspirationnistes dans Sugar Paper Theories – ces gens travaillent-ils encore sur l'affaire ?
Oui, ils travaillent toujours dessus. Certains sont même devenus de très bons amis à moi. Pour être honnête, ces théories du complot sont si complexes qu'il faut vraiment connaître tous les acteurs majeurs pour y comprendre quoi que ce soit. C'est une affaire très compliquée à résumer, malheureusement. Au début, je ne voulais pas employer le terme « théories du complot » à cause de sa connotation très négative. Mais le travail que ces gens ont effectué est vraiment remarquable. Certains ont passé des dizaines d'années sur ces documents, les rapports de police et les témoignages, afin de rassembler les pièces du puzzle. J'ai aussi mes propres théories sur cette affaire, mais je préfère les garder pour moi.

Cette affaire constitue un parfait exemple de jeunes marginaux que l'on contraint à livrer de faux témoignages – et ce sans la moindre aide juridique. Quel était votre sentiment par rapport à vos interlocuteurs ? Les principaux suspects semblent bien moins énervés que ce que l'on pourrait croire. Pensez-vous qu'ils ont développé un sentiment de culpabilité parce qu'on les a forcés à se confier ?
Je suis d'accord, il y avait sûrement un sentiment de type : « Bon, on va jeter l'opprobre sur ces gamins, ce sera plus simple ». C'était très intéressant d'apprendre à les connaître. Ils sont tous remarquables à leur façon. Erla, dont je suis probablement le plus proche, est une véritable inspiration. J'espère seulement que si je devais faire à une telle situation, je saurais montrer un tel courage. J'ai parlé à des anciens gardiens de prison et d'anciens policiers qui ont travaillé sur l'affaire. Plusieurs d'entre eux ont dénoncé de mauvais traitements envers les détenus. Je pense que beaucoup de gens cherchaient à faire rouvrir l'enquête – c'est une étape importante dans l'histoire de la police islandaise.

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Gísli Guðjónsson

Quel est votre but avec ce livre ?
Pour moi, Sugar Paper Theories est une tentative de raconter une affaire particulièrement complexe sur les faux souvenirs qui affectent notre réalité. Heureusement, le livre intéresse les gens par son sujet. Mon principal objectif est de faire connaître cette affaire en dehors de l'Islande – pour l'instant, ça a l'air de fonctionner.

Le livre propose aussi des extraits du journal de Gudjon, l'un des suspects. Ils n'ont été rendus publics que récemment, mais ces passages semblent montrer qu'il n'est pas très impliqué dans cette affaire. Comment avez-vous eu accès à son journal ?
Son journal a été découvert il y a quelques années et a pas mal servi dans cette affaire. Gudjon est devenu pasteur quand il a quitté la prison. Les extraits de son journal montrent clairement une forme de syndrome de mémoire déformée pour Gisli. Cette affaire tourne donc autour des faux souvenirs, c'est certain.

Kristján #6. Reconstitution de la mort de Geirfinnur, le 23 janvier 1977. Photo tirée des archives de la police.

Ragnar Aðalsteinsson, l'avocat en charge de l'appel de Sævar en 1996. Aujourd'hui, il représente Erla et Guðjón.

Une sculpture en argile d'un homme aperçu la nuit de la disparition de Geirfinnur.

Paysage #2