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À la chasse aux saloperies de Paris avec les « oiseaux verts »

J'ai passé mon samedi après-midi avec des Japonais qui se sont donnés pour but de nettoyer la capitale française.

Les « oiseaux verts » parisiens

Généralement, les premiers trucs auxquels pensent les étrangers quand on leur évoque Paris sont la tour Eiffel, Montmartre, les immeubles haussmanniens, le métro et les locaux qui fument des clopes à la terrasse des cafés. Mais derrière ce décor de film de la Nouvelle Vague, la capitale française est en fait un endroit assez dégueulasse : on respire de l'air constitué de 15 % d'épiderme humain dans le métro, des merdes de chiens jonchent les trottoirs – et se retrouvent souvent mêlées à l'urine des fêtards –, les encombrants sont abandonnés au coin des rues et les gens balancent systématiquement leurs mégots au sol en pensant certainement que quelqu'un passera derrière eux pour nettoyer leur merde. De sorte à remédier à ces problèmes dont tout le monde semble se foutre, les « Greenbirds » (« oiseaux verts ») ont migré dans la capitale française en 2007, constituant la première antenne de cette association japonaise.

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Née dans le quartier artistique de Tokyo en 2003, Greenbird est une organisation à but non lucratif de ménage urbain. Elle a été créée afin de sensibiliser les citadins à la propreté. Pour ce, ses membres nettoient les saloperies des grandes villes « pour qu'elles restent belles comme sur une carte postale ». La filiale Greenbird Paris a été lancée dans l'espoir de toucher une grande population de touristes – Paris étant le leader mondial du tourisme avec près de 47 millions de visiteurs chaque année –, mais aussi de sensibiliser les passants parisiens « aux petits gestes quotidiens qui peuvent améliorer l'environnement ».

Ainsi, chaque mois, les organisateurs donnent rendez-vous aux volontaires pour une séance de nettoyage d'un quartier emblématique de Paris. En mai, le rendez-vous a été fixé au dimanche 23 à 15 heures sur le Champ-de-Mars dans le cadre de la journée « Paris, fais-toi belle ». Pour l'inscription, il suffit de prévenir les organisateurs par mail et se rendre au point de rendez-vous indiqué sur leur site. Afin d'en savoir plus sur ce groupe de Japonais et de locaux qui passent un samedi par mois à glaner les déchets des autres, je suis allé les retrouver.

À mon arrivée sur les lieux du meeting, les « oiseaux verts » étaient déjà tous là, en rang. La petite bande était facilement reconnaissable grâce à son équipement directement envoyé du Japon. Ils arboraient notamment des débardeurs verts floqués de deux oiseaux, de la mention « Green Birds » et du numéro 22, des pincettes en métal et des sacs poubelle à l'effigie de leur association. À Paris, le nombre de membres aurait dépassé les 100 personnes, mais ce jour-là, ils n'étaient qu'une petite dizaine. L'équipe était composée principalement d'expatriés japonais et de quelques Français – aucun Parisien n'était présent.

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Les Greenbirds regroupent des gens sérieux qui aiment Paris et qui veulent se rendre utiles à leur communauté. Ce sont des nettoyeurs amateurs d'un nouveau genre qui forment une sorte de branche radicale de l'écologie citoyenne. Mais c'est aussi un groupe très informel – selon leur site, « toute personne qui s'engage à ne jamais jeter de déchet dans la rue est un Greenbird ».

En arrivant sur place, je suis allé voir Yoshiko – la responsable de Greenbird Paris – qui m'a filé un maillot floqué du numéro 22, comme celui des autres volontaires. Mais pourquoi ce numéro 22 ? Elle n'en a aucune idée. Elle m'a aussi donné des gants, un sac en plastique et une pince pour ramasser les mégots, la tâche qu'on m'avait confiée. Chaque membre avait une mission précise. J'aurais aussi bien pu tomber sur les déchets papiers ou plastiques. Je me suis mis au boulot tout en observant le professionnalisme confirmé des autres Greenbirds. Ils ramassaient les déchets avec un méthodisme exemplaire et ressemblaient ainsi à de véritables machines écologiques extrêmement bien rodées. Ils déambulaient dans les jardins parmi les touristes, la tête baissée et les yeux rivés au sol en quête de papiers, de bouchons et de mégots.

Ils ont quadrillé les lieux avec une efficacité exemplaire tout en répondant aux questions de certains passants qui se demandaient ce qu'ils faisaient – même si la plupart des gens s'en foutaient et traçaient leur route sans égard pour leur travail. À chaque apostrophe, les volontaires levaient le bec pour répondre simplement « qu'ils [faisaient] partie d'une association dont l'objectif était de nettoyer les rues de la ville ».

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Je me suis retrouvé en binôme avec Kevin, lui aussi Français et débutant. Il a entendu parler de l'association par le bouche à oreille et s'est dit que nettoyer la capitale au moins une fois par mois serait une bonne idée. « C'est ma première fois avec les Greenbirds mais, quand on voit l'état des lieux, on se rend compte qu'il faut faire quelque chose, m'a-t-il expliqué. Au premier abord, la capitale semble assez sale, mais c'est en fait pire que ça. Je n'arrive pas à croire que des gens s'allongent dans un jardin tapissé de vieilles cigarettes. » Selon cet étudiant originaire d'un petit village des Bouches-du-Rhône, la différence de propreté entre sa ville natale et sa ville d'adoption est choquante. « Mon arrivée à Paris a été un choc ; je trouve la ville dégueulasse », argumente-t-il. J'en ai déduit que, comme des centaines de touristes – essentiellement chinois et japonais –, il est lui aussi vraisemblablement victime du syndrome de Paris.

Rumi, expatriée japonaise membre des Greenbirds Paris depuis près d'un an

Cette différence entre le Paris fantasmé et le Paris réel est en partie la raison du lancement de l'association dans la capitale française. Le but était ainsi de « donner une meilleure image de la capitale à des milliers de compatriotes japonais qui viennent visiter Paris chaque année, affirme Yoshiko. L'image de Paris doit rester bonne aux yeux du monde qui l'admire ». Mais est-ce que ramasser des déchets quelques heures par mois règle vraiment le problème ? Non, mais leur action reste « symbolique » comme l'explique Rumi, une expatriée japonaise membre des Greenbirds depuis près d'un an. « On fait ça une fois par mois, on sait très bien qu'on ne peut pas changer le monde, mais si on arrive à sensibiliser quelques passants ou quelques personnes par le bouche à oreille, alors c'est déjà bien. L'objectif final est de construire le réseau des "oiseaux verts" dans le monde entier. »

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Après près d'une heure et demie, certains ont pris une courte pause histoire de redresser leur colonne vertébrale, avant de s'accroupir à nouveau et de se remettre au boulot. Les sacs se remplissaient rapidement. Alors que je vagabondais, je me suis retrouvé en compagnie d'un agent d'entretien de la mairie de Paris. « Le parc est crade, heureusement qu'on est là pour vous aider », lui ai-je lancé, ce à quoi il m'a répondu sans humour que ça allait rester propre pendant seulement 30 minutes. S'il avait sûrement raison, chaque membre de l'équipe a continué à faire de son mieux pour glaner les saloperies qui trainaient un peu partout, sans penser aux aspects négatifs.

Le sac de mégots de Kevin

Selon les volontaires, il y a généralement un peu plus de monde présent – entre 8 et 25 participants selon les week-ends. Mais, même après huit ans d'activité, le réseau parisien a du mal à s'étendre pour la simple raison que les Parisiens « se foutent de tout » selon Philippe, étudiant en 3e année de Droit. « Ils se croient tout permis et pensent tout le temps que quelqu'un va passer derrière eux. C'est la mentalité française », assure-t-il. Il a sûrement raison.

Après près de deux heures de boulot, la mission des « oiseaux verts » touchait à sa fin. Ils sont tous revenus au bercail avec des sacs remplis de détritus. J'étais surpris par le nombre de déchets ramassés dans les jardins en si peu de temps.

C'était maintenant l'heure du pot : un goûter offert par la mairie qui se limitait à de l'eau et à du jus d'orange. Par curiosité, j'ai demandé à Yoshiko quel était le coin le plus crade de Paris. Sans hésitation, elle m'a expliqué qu'ils avaient « battu tous les records » aux alentours de la gare de Lyon. Au moment de trinquer une dernière fois, Yoshiko nous a remercié d'être venu et nous a donné rendez-vous au prochain événement, le dimanche 14 juin à 15h30 au Trocadéro.

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