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Les véganes sont détestables

Des efforts sont nécessaires pour rendre le mouvement végane plus ouvert, même si c’est plus exigeant que de remplacer un cheeseburger par un bol dragon de chez Aux Vivres.
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Le végétalisme grand public couleur lait aux amandes semble craindre de lutter contre autre chose que les calèches à Montréal ou les poules prisonnières de cachots sans lumière ni espace. Parfois, le mouvement en vient même à reproduire des oppressions, en pleurant devant une mouche tout en écrasant le corps d'une femme sur le béton, coincée dans une installation de PETA rappelant des sachets de viande.

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En visant plutôt l'intersectionnalité, plus de personnes verraient le végétalisme comme un mouvement dans lequel elles peuvent se sentir en sécurité, et la cause des droits des animaux ne serait pas mise de côté pour autant. L'intersectionnalité lie les différentes oppressions entre elles, comme le racisme et le sexisme, qu'elles soient directement rattachées entre elles ou qu'elles se recoupent. Au lieu de diviser un mouvement, elle permet de le solidifier, de le rendre plus cohérent.

Devenir ami avec le seitan et Google

Élise Desaulniers, conférencière et auteure sur le véganisme, admet que tout le monde a besoin d'être informé et de reconnaître les autres oppressions. « Les véganes sont des gens normaux. Ils ont grandi dans la société que nous connaissons. Ils sont socialement conditionnés par le sexisme, le racisme ou le capacitisme ambiant », dit-elle.

Rien n'empêche toutefois les véganes de devenir de bons alliés pour les droits de tous, si Google devient leur meilleur ami entre deux blondies au beurre d'arachide de Rose Madeleine.

Il n'y a pas d'enzyme magique antiraciste dans le tofu du Général Tao. Le racisme entrave l'adhésion des personnes noires au mouvement végane. Et le racisme n'est pas seulement un acte d'agression, mais aussi d'indifférence. Pour renverser la marginalisation des noirs et déconstruire les préjugés, il est impératif de s'éduquer.

La militante Nzinga Young mentionne qu'il y a plusieurs raisons pour lesquelles la viande est énormément consommée par les Noirs en Amérique : des centaines d'année d'esclavage et de pauvreté font en sorte qu'ils se débrouillent avec ce qu'ils ont comme ressources et des recettes ont été transmises de génération en génération. Quand la nourriture est ainsi connectée à la survie et aux valeurs familiales, il est violent de reprocher à une communauté de ne pas porter de t-shirt « EAT PUSSY NOT ANIMALS ».

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Lutter contre les déserts alimentaires et la cruauté

Au lieu de nier les besoins de certaines communautés, le véganisme peut lutter contre les déserts alimentaires. Statistiquement, les personnes racisées ont plus de risques de résider dans une zone sans tomate bio, noix variées et fauxmages Daya. Il est alors évident que, si on ne peut trouver ou se payer du brocoli à 15 $, les produits animaliers demeurent dans les habitudes alimentaires. « Nous ne pouvons penser que les gens vont vivre de riz instantané et de nouilles Ramen juste pour le bien des animaux », soulève Nzinga Young.

Comme Élise Desaulniers le signale, les principes moraux qui sont à la base du véganisme impliquent de lutter non seulement contre l'exploitation des animaux, mais aussi de se soucier des humains. Les travailleurs dans les fermes ou les champs, récoltant avocats et amandes, ont des conditions de travail horribles. Les véganes se doivent d'être solidaires et de revendiquer zéro maltraitance pour eux comme pour les cochons.

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Afin de se montrer plus ouvert et de ne pas instrumentaliser la voix d'autrui, le mouvement devrait mettre de l'avant l'expérience des Noirs. Des initiatives intéressantes comme celle de l'activiste Aph Koh, qui a compilé une liste de 100 véganes noirs et créé le site Black Vegans Rock, permettent de sortir de l'image trop blanche du véganisme grand public. « Il faut améliorer la visibilité des Noirs, surtout dans un système qui tente de nous fragmenter et de rabaisser notre culture. Nous sommes un groupe diversifié de personnes, et rendre compte de cette diversité déclenche plein de possibilités », explique-t-elle. Sur le site Black Vegans Rock, Leona Lewis, la chef Babette et les sœurs Williams y discutent de leurs parcours et des défis qu'elles rencontrent, comme véganes racisées. Les Noirs n'y sont pas utilisés pour être comparés violemment à des animaux disséqués.

Lors du dernier Festival végane, Margaret Robinson, une femme Mi'kmaw et végane, avait été invitée, rappelle Élise Desaulniers. L'année précédente, le sexisme et l'homophobie avaient été discutés avec Pattrice Jones, écoféministe et militante pour les droits LGBTQ. « Un effort conscient est fait. Les choses évoluent », ajoute-t-elle, m'informant qu'en Europe, 269life France a annulé un événement le 10 mai, date de commémoration de l'esclavage. Cette annulation ne s'est toutefois pas faite sans heurts : le collectif 269life France a expliqué que leurs intentions avaient été mal comprises, et c'est après quelques jours de polémique que l'action prévue a été annulée.

Se taire et apprendre de ses erreurs

Lorsqu'une erreur est commise, inutile de la mettre sur le dos d'une mauvaise interprétation, d'argumenter ou de se défendre. Il suffit de s'excuser et d'apprendre de ses erreurs. « Voici l'argument ultime pour lequel l'esclavage ne devrait jamais être évoqué lors de discussions sur le véganisme : on vous répète que c'est souffrant et aliénant. Vous êtes parfaitement capables de parler contre la consommation animale sans devoir absolument faire référence à l'esclavage », répète Claire Heuchan, une journaliste et féministe radicale noire.

Pour être plus inclusif, le mouvement végane doit cesser d'être utilisé pour faire un procès d'intention et ne pas fuir les sujets qu'il juge sensibles, comme le racisme. En se montrant ouvert, flexible, prêt à s'informer et à applaudir tout petit geste, le mouvement sera moins source d'angoisse et de rejet pour une diversité de personnes désirant aussi dire, lors d'un brunch, non merci au bacon et œufs bénédictine.